Le «Flygskam» et le spectre d’une taxe sur le kérosène angoissent le secteur du transport aérien  

Le «Flygskam» et le spectre d’une taxe sur le kérosène angoissent le secteur du transport aérien    Source: Reuters
A 16 ans, la militante écologiste suédoise Greta Thunberg a popularisé l’idée de renoncer à prendre l’avion en préférant se rendre au Forum annuel de Davos, en Suisse, le 25 janvier 2019 au terme d'un voyage en train de 32 heures depuis Stockholm.
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Le secteur du transport aérien est pour la première fois confronté à une campagne de réputation venue de Suède qui remet en cause son principe même mais une autre menace vient de Bruxelles : un projet de taxe sur le kérosène.

«Ce mouvement m’inquiète parce qu’il est fondé sur une totale méconnaissance de ce que l’industrie aéronautique et les compagnies aériennes font pour limiter leur empreinte carbone […] depuis plus de dix ans», déclarait le 22 mai sur les ondes de RTL Alexandre de Juniac, ancien président d’Air France et Air France-KLM (2011 à 2016) actuellement à la tête de l’Association internationale du transport aérien (acronyme international IATA).

Il était interrogé sur le mouvement «Flygskam», un mot suédois équivalent à «honte de prendre l’avion» popularisé par Aningslösa Influencers, un compte anonyme sur le réseau social Instagram qui dénonce l’usage de l’avion, en particulier quand un déplacement peut-être effectué en train. Par kilomètre parcouru, le transport aérien dégage jusqu’à 45 fois plus de gaz carbonique que le train ; dans le cas du TGV par exemple, selon des chiffres de l’Agence française de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Pourtant ses défenseurs rappellent que le transport aérien ne représente que 2,5% de l'ensemble des émissions de CO2.

La veille de son passage sur RTL, Alexandre de Juniac était intervenu devant les membres de l'Usaire, une association d'entreprises américaines et européennes de l'aéronautique, de la défense et de l'espace. A propos du Flygskam, il aurait déclaré selon le quotidien La Tribune : «C'est une grande menace. Le secteur du transport aérien est confronté à un risque de réputation. C'est une première [… Ce mouvement] est parti de Suède et il va se propager.» 

En Suède, le phénomène de «honte de prendre l’avion» a pris suffisamment d’ampleur pour que le quotidien de référence, le Dagens Nyeter, lui dédie des articles chaque semaine, ainsi que des tribunes.

La Suède, pionnière en «honte de prendre l'avion»

Pionnière en la matière, l'adolescente Greta Thunberg, instigatrice de la Grève de l'école pour le climat, s'est rendue en janvier depuis Stockholm au Forum économique mondial de Davos en Suisse... après un périple de 32 heures en train. Le phénomène a déjà largement débordé les frontières de l’Etat scandinave, au moins du point de vue de sa notoriété. En avril le quotidien suisse Le Temps, consacrait au Flygskam un article illustré par l’exemple parmi d’autres d’un Italien vivant en Suède et ayant décidé de se résoudre, lui, à 37 heures de train pour aller voir sa famille à Turin à l'occasion des vacances de Pâques.  

si tout le monde prenait l’avion comme les Suédois, qui volent cinq fois plus que les autres Européens, on passerait complètement à côté de l'Accord de Paris sur le climat

Le gouvernement suédois a par ailleurs fixé au pays l’objectif ambitieux d’atteindre la neutralité carbone en 2045. Et, depuis 2018, il a mis en place une taxe spécifique de 5 à 35 euros sur les billets de tous les passagers partant d’un aéroport suédois. Ce n’est pas tout à fait un hasard si le mouvement est parti de Suède. En effet, l'article publié par Le Temps cite Isabella Lövin, la ministre de l’Environnement suédoise, qui reconnaît : «Il faut améliorer l’offre car si tout le monde prenait l’avion comme les Suédois, qui volent cinq fois plus que les autres Européens, on passerait complètement à côté de l'Accord de Paris sur le climat.»

Lors de son intervention sur RTL le président de l’IATA a aussi avancé les réponses du secteur aéronautique à la question de son impact sur l’environnement : «à partir de 2020 avoir une croissance neutre en carbone et en 2050 diviser nos émissions carbone par deux par rapport à 2005». Il a ajouté : «On est la seule industrie au monde à avoir pris des engagements de la sorte.»  Des engagements à première vue très ambitieux compte tenu des statistiques qui prévoient un quadruplement du trafic d’ici 2050.

Vers un marché mondial des permis de polluer

Toutefois la croissance neutre prévue à partir de 2020 serait pour une bonne part due à l’entrée en vigueur d’un système qu’on l’on pourrait brutalement qualifier de droit à polluer. Baptisé Corsia, il consiste en des compensations financières des émissions et a été décidé en 2016 par l'organisation internationale de l'aviation civile (l'OACI) qui régit le transport aérien mondial. Le coût de cette compensation devrait s'élever à 40 milliards de dollars entre 2020 et  2035 selon l'IATA.

Le président de l’IATA avance aussi qu’on pourrait obtenir une réduction des émissions de carbone en «optimisant» la gestion des vols (ponctualité, trajectoires) et que les avions de nouvelle génération consomment moins. Il appelle aussi les gouvernements à s’engager pour favoriser l’usage de biocarburants dans les avions, par exemple en faisant en sorte qu’ils soient disponibles dans les aéroports. 

A part les résidus d’huiles industrielles qui peuvent devenir des biocarburants parce qu’ils sont produits à part de carbone déjà émis et non fossile, la réalité des biocarburants utilisé par l’aviation est aussi leur base d’huiles végétales. Or, la solution consistant à consacrer des terres agricoles à la production de carburant, même si elle permet de faire baisser les émissions de CO2 des moyens de transport qui les utilisent, pose d’autre problèmes environnementaux.

A propos des reproches faits par les mouvements de société civile dénonçant l’impact du transport aérien sur l’environnement, Alexandre de Juniac a été jusqu’à parler de «fake news» et a annoncé une campagne de communication de l’IATA pour faire connaître les initiatives du secteur du transport aérien. Car, encore selon La Tribune, il aurait estimé que la méconnaissance des actions des compagnies faisait le lit de ceux qui prônent des mesures «stupides comme la taxation du kérosène».

De plus en plus de voix en Europe pour taxer le kérosène

Or, sur cette voie, le président de la puissante IATA risque de de se heurter à des contradicteurs influents, comme la président de la République française. Dans une interview accordée le 20 mai à un groupe de journalistes de la presse quotidienne régionale, Emmanuel Macron s’est, en effet, dit favorable à cette taxe envisagée par la Commission européenne et a déclaré : «Je voudrais que l'on avance sur la taxation commune du kérosène en Europe et que l'on ait une vraie négociation internationale.»

En plus de la campagne de réputation Flygskam, la perspective d’une nouvelle taxe est une seconde menace à laquelle doit faire face le secteur. Mi-mai, l’ONG Transport & Développement a fait fuiter son site une copie d’une étude financée par la Commission européenne sur l’impact qu’aurait une taxation du kérosène utilisé par le transport aérien.

Parmi les scénarios envisagés, celui d’une taxe au taux maximum de 0,33 euros par litre, qui existe déjà pour d’autre usages, permettrait de réduire de 16% par an les émissions de CO2 et n'aurait aucun impact net sur l'emploi ou l'économie. En revanche, il en aurait un sévère sur le transport aérien, avec une réduction du nombre de vols et des passagers d’environ 10%, parallèle à une augmentation à peu près égale du prix des billets d’avions, ainsi qu’une saignée d’environ 8% des emplois dans le secteur.

Néanmoins ce serait dans certains pays une manne considérable pour les finances publiques. Dans le cas de la France par exemple, l’étude commandée par la commission européenne anticipe 3,5 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires, une perspective non négligeable compte tenu des grandes difficultés du gouvernement à maintenir une trajectoire budgétaire conforme aux obligations européennes inscrite dans le traité de Lisbonne.

Jean-François Guélain

Lire aussi : L’écologie aux européennes : tout le monde en parle, mais qui fait du greenwashing ?

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