Fusion Alstom-Siemens : Le Maire furieux contre la Commission européenne
Le ministre français de l’Economie dénonce un «droit de la concurrence européen obsolète» en réponse aux réticences de Bruxelles à autoriser la fusion Alstom-Siemens. Mais en France, tout le monde n’est pas convaincu de la pertinence de ce projet.
Le ministre français de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire ne décolère pas contre la Commission européenne. Bruxelles tarde en effet à donner son feu vert à la fusion, annoncée en septembre 2017, d’Alstom Transport (qui fabrique les rames du TGV) et de son rival allemand Siemens Mobility (qui produit les trains à grande vitesse ICE).
«Si jamais la Commission européenne devait donner une décision défavorable à cette fusion, elle le ferait pour de mauvaises raisons», a ainsi déclaré le 6 janvier Bruno Le Maire, invité de l'émission Le Grand Rendez-Vous diffusée sur Europe 1. «Ce ne serait pas simplement une erreur économique, ce serait une faute politique parce que ça affaiblirait toute l'industrie européenne face à la Chine», a-t-il ajouté.
Dans cette attaque contre Bruxelles, d’une rare virulence de la part d’un ministre français, le locataire de Bercy a été jusqu'à dénoncer un «droit de la concurrence européen obsolète [...] qui ne permet pas à l'Europe de créer ses propres champions industriels». Le ministre de l’économie a également pris pour argument la différence de capacité industrielle entre le chinois CRRC qui fabrique 200 trains à grande vitesse ou très grande vitesse par an, contre 35 pour Alstom et Siemens ajoutant : «CRRC a pris quasiment tous les appels d'offres aux Etats-Unis sur les trains et les transports publics de voyageurs dans les villes, qu'est-ce qu'on attend pour se réveiller ?»
La Commission a jusqu'au 18 février pour approuver ou non ce mariage franco-allemand, annoncé en septembre 2017. Mais Bruxelles s'inquiète de la position dominante de la nouvelle entité, qui risquerait selon elle de faire grimper les prix et de freiner l'innovation dans l'UE.
Une décision déjà retardée de six mois
Pourtant, en juin 2018, lors d’une audition au Parlement européen la commissaire à la Concurrence Margrethe Vestager avait déclaré : «Nous sommes tous favorables à une croissance des entreprises en Europe et bien sûr, nous voulons avoir un panorama complet, incluant les pressions de la concurrence chinoise.»
Si jamais la Commission européenne devait donner une suite défavorable à la fusion Alstom-Siemens, ce serait une erreur économique mais aussi une faute politique. Cela enverrait le signal que l’#Europe se divise et se désarme #industrie#LeGrandRDVpic.twitter.com/xcrbRkcqpU
— Bruno Le Maire (@BrunoLeMaire) 6 janvier 2019
Un casse-tête pour Bruxelles
Mais l’action de certains Etats membres de l’Union européenne (UE), inquiets de l’apparition de ce géant franco-allemand, a pu inciter la commissaire européenne à laisser mûrir sa réflexion. A la fin décembre, les autorités de la concurrence britannique, néerlandaise, belge et espagnole lui ont en effet écrit pour l'alerter d’une «perte globale de concurrence très importante» si la fusion avait lieu.
Avant de prendre une décision finale, la Commission européenne consulte en comité les autorités nationales de la concurrence des 28 pays de l'UE. Or, des source citées par l’AFP estiment que, même si ce comité consultatif ne s’est jamais opposé à une décision de la Commission, «politiquement, l'impact de cette lettre compte».
Margrethe Vestager se retrouve donc face au choix de mécontenter soit la chancelière allemande, Angela Merkel, et le président français, Emmanuel Macron (qui soutiennent la fusion), soit les quatre autres pays. Dans une lettre rendue publique, également fin décembre, l'association européenne des gestionnaires de réseaux ferroviaires (EIM), à laquelle appartiennent notamment le belge Infrabel ou le danois Banedanmark, a aussi appelé la Commission à rejeter la fusion.
Scepticisme quant aux chances de la fusion d’aboutir
Le 12 décembre, Siemens et Alstom avaient pourtant tenté d'amadouer Bruxelles en proposant des mesures compensatoires. Elles consistaient en cessions de licences pour un montant équivalent à environ 4% du chiffre d'affaires de l'entité fusionnée, mais le groupe n’a pas proposé de cession d’actifs, équipements industriels ou filiales.
#Alstom : à la date butoir, le gouvernement confirme sa sortie du capital de l'ex-fleuron français
— RT France (@RTenfrancais) 17 octobre 2017
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Des concessions suffisamment peu convaincantes pour qu’en les présentant Siemens et Alstom conviennent eux-mêmes qu'«il n'y avait pas de certitude que le contenu de cette proposition soit suffisant pour répondre aux préoccupations de la Commission». Et pour un «expert du secteur» cité par l’AFP : «Les deux groupes vont proposer de nouveaux remèdes, [mais] ils seront cosmétiques et la fusion va finir pas être interdite.»
Cette fusion n'est pas bonne dans le sens où elle n'a pas de vocation industrielle [...] et que le seul objectif est de faire plaisir aux actionnaires
En France, tout le monde ne partage pas l’enthousiasme affiché aux sommets des Etats français et allemand pour cette fusion. L’intersyndicale d'Alstom transport à Belfort, par exemple, se réjouirait même de son annulation. Car pour André Fages, délégué CFE-CGC cité par l’AFP : «Cette fusion n'est pas bonne dans le sens où elle n'a pas de vocation industrielle [...] et que le seul objectif est de faire plaisir aux actionnaires.»
Un suspense à 1,8 milliard d'euros pour les actionnaires
Que le contentement des actionnaires ait motivé ou non le soutien de Paris au projet, il est vrai que, en cas de blocage définitif par Bruxelles, ils perdraient 1,8 milliard d’euros de dividendes prévus. Lors de la présentation du projet de fusion en septembre 2017, les représentants des deux groupes s’étaient en effet engagés à verser deux «dividendes spéciaux» d'un montant de 4 euros par action chacun.
Le premier était présenté comme une «prime de contrôle» censée dédommager les actionnaires d'Alstom de leur perte d'influence dans le futur ensemble, où Siemens doit avoir un poids prépondérant avec une majorité du capital. L’intitulé et la justification de cette prime relativisent le sens du terme «fusion des égaux» alors employé pour qualifier le rapprochement entre les deux entreprises.
Si elle s’était produite à temps la fusion aurait été une excellente affaire pour les détenteurs d’action d’Alstom transport. En effet, trois mois à peine avant l’annonce du projet dont le soutien apporté par le tout nouveau président de la République, Emmanuel Macron, était déjà connu, l’action cotée à Euronext Paris valait en moyenne 25 euros.
Au cours le plus haut atteint début juin 2018 elle en valait 40. A cette époque la fusion aurait presque permis aux actionnaires de doubler leur mise. Mais, les atermoiements de la Commission qui devait initialement rendre son avis dès juillet ont sans doute pesé sur le cours qui s’est depuis replié vers 34 euros.
On peut imaginer pour ce groupe français, leader mondial quasi centenaire, un destin plus honorable
L’idée que cette fusion ne soit en revanche pas une bonne affaire pour Alstom et pour la France s’exprime parfois dans la presse. Dans une tribune publiée le 9 janvier par le quotidien Les Echos, Edouard Tétreau essayiste et gérant associé du cabinet de conseil en stratégie Mediafin estime qu’«on peut imaginer pour ce groupe français, leader mondial quasi centenaire, un destin plus honorable, à l'image de sa performance opérationnelle et financière récente».
En 2018 Alstom transport a en effet réalisé un chiffre d’Affaires de 7,95 milliards d’euros pour un résultat net de 485 millions d’euros avec un coût d’endettement en baisse et une trésorerie de plus d’un milliard d’euros. La direction du groupe revendique en outre pour l’exercice 2017/2018 (qui va de mars à mars) plus de 7 milliards d’euros de commandes.
Dans sa chronique intitulée «Alstom-Siemens, une fusion menacée ? Et alors ?» Edouard Tétreau propose aussi d’explorer un partenariat transatlantique avec le canadien Bombardier, ou encore un rapprochement avec les activités de signalisation de Thales pour créer un vrai leader mondial. Pour lui : «“Que le meilleur gagne !“ est un projet plus stimulant qu'une abdication en rase campagne face à des concurrents déterminés, si soutenus par leurs Etats d'origine.»
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