Le président portugais Anibal Cavaco Silva a rejeté le projet de gouvernement que les gauches qui ont remporté les législatives lui ont présenté. Le coordinateur du Parti de Gauche français, Eric Coquerel, estime qu’on est en déni de démocratie.
RT France : Lors de dernières élections législatives au Portugal, la gauche a obtenu la majorité des voix mais le président a rejeté le projet de gouvernement présenté par la gauche. Certains experts, notamment Jacques Sapir, l’ont qualifié de «coup d’Etat silencieux». Comment évolue la situation dans le pays après ces événements ?
Eric Coquerel :On observe qu’à chaque fois, au nom de l’Europe, on se retrouve dans des situations absolument anormales. C’est-à-dire que la majorité du suffrage universel est reniée et même contournée par ceux qui devraient la respecter. Cela fut le cas pour la Grèce, où l’Union Européenne et l’eurogroupe ont imposé un diktat à Alexis Tsipras. Et dans le cas du Portugal, on peut dire que, de l’intérieur, le président du Portugal fait exactement la même chose : au nom de la politique d’austérité, au nom de ce qu’il conviendrait de faire, selon lui pour obéir à Bruxelles, il refuse que la majorité élue puisse former un gouvernement. C’est une anomalie démocratique et ça montre bien que l’austérité européenne se double d’une politique autoritaire qui est de plus en plus problématique pour la démocratie.
RT France : Selon le président portugais, il a rejeté ce projet de gouvernement pour assurer la stabilité économique du pays. Est-ce que ce but n’est pas suffisant pour justifier son action ?
Eric Coquerel :Non ! Rien ne peut justifier de contourner la souveraineté populaire et le mandat du peuple. L’essence même de la démocratie, c’est de respecter ce que les gens veulent, ce que les gens votent. Il n’y a donc pas de «droit naturel» venant des règles européennes, qui en fin de compte, empêcherait de nommer une majorité. Que je sache, pour l’instant, la majorité qui pouvait sortir des urnes ne remettait pas en question l’Union européenne. Cela veut dire qu’aujourd’hui, la moindre contestation de la politique d’austérité devient quasiment quelque chose d’impossible pour cette fausse démocratie que représente aujourd’hui l’Union européenne. C’est un diktat, et donc, c’est une forfaiture. De ce point de vue, je trouve que le président de la République portugaise prend des décisions très graves et qu’il se révèle même être un traître par rapport à sa patrie. Il y a une évolution logique aujourd’hui dans l’Union européenne : les Grecs votent d’une certaine manière, on les contraint à faire autre chose, la Commission européenne prétend que, par exemple, le Traité transatlantique pourrait être négocié sans que les nations s’expriment et la suite logique, finalement, c’est, à un moment donné, des responsables politiques qui n’acceptent pas le suffrage populaire.
Le coup d’Etat silencieux de #Lisbonne par Jacques Sapir @russeuropehttps://t.co/6sG3l1TrWVpic.twitter.com/yaFQgq4Foz
— RT France (@RTenfrancais) 27 Octobre 2015
RT France : Quelle importance ce précédent portugais peut-il avoir sur toute l’Union européenne, notamment les pays de l’Europe du Sud qui sont aussi en crise ?
Eric Coquerel :Jusqu’à maintenant on a eu déjà des membres de la Comission européenne qui appelaient carrément à renverser les gouvernements légaux. Il faut rappeler qu’il y a eu un blocus financier sur Chypre. Le Parlement n’a pas bien voté, selon eux, en 2010. Ensuite, on a eu véritablement des appels à quasiment renverser Alexis Tsipras après lui avoir imposé le mémorandum qu’il a malheureusement accepté. Donc, le coup d’après, c’est quoi ? C’est un président de la République en France qui n’accepte pas une majorité populaire issue des urnes qui donnerait, par exemple, une majorité au Front gauche pour ne pas accepter la politique d’austérité ? On voit bien qu’on est en situation de déni démocratique et finalement, une remise en question de ce qui doit être le fondement de nos démocraties. Nos démocraties sont nées du fait qu’à un moment donné, le peuple a exigé la souveraineté qu’exerçaient auparavant les monarques. Et bien aujourd’hui, au nom de la souveraineté des marchés, au nom du libéralisme, on voit que tout ça devient complètement contraire à la démocratie. On a une espèce de totalitarisme mou, voilà ! Il n’est certes pas policier, l’armée reste dans les casernes, mais il est quand même terriblement dangereux pour la démocratie et j’espère que le système portugais va se normaliser parce qu’il n’est pas normal que le peuple portugais soit privé de sa victoire.
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