S'il estime que la situation en banlieue «peut exploser», Stéphane Gatignon, le maire de Sevran, met en avant les talents dont regorgent les quartiers dits difficiles. Mais regrette que peu de choses aient changé depuis les émeutes de 2005.
Il y a dix ans, à Clichy-sous-Bois, Zyed Benna et Bouna Traoré trouvaient la mort dans un transformateur électrique, au terme d'une course-poursuite avec des policiers. Durant les trois semaines qui ont suivi ce drame, les banlieues françaises ont été touchées par d'importantes émeutes, tout d'abord en région parisienne, puis dans la France entière. Dix ans plus tard, malheureusement, rien ou presque n'a changé, déplore Stéphane Gatignon, le maire de Sevran.
Nième coup ministériel en banlieue 10 ans après Clichy et au lendemain de Marseille
De la com, encore de la com et toujours de la com !
— Eric Anceau (@Anceau1) 26 Octobre 2015
RT France : 10 ans après le début des émeutes de 2005 en banlieue, la situation a-t-elle changé dans les quartiers ?
Stéphane Gatignon : En 10 ans sur certaines questions, rien n’a changé. Le réel problème, c’est qu’en 2005, on ne s’est pas rendu compte de ce qu’il s’est passé. Cela a été un moment important dans l’histoire proche, et on ne l’a pas pris en compte. On parle aujourd’hui de la banlieue comme il y a 15 ans. On ne reconnaît pas ces gens, ce qui se passe en périphérie. Aujourd'hui, on est sur la ligne jaune, ça peut exploser... Après, nous sommes dans des territoires hétérogène, tout n’est pas blanc ni noir. La situation pas meilleure qu’en 2005, mais on ne doit pas faire une croix sur la banlieue, car ce serait se couper de notre avenir !
Zyed et Bouna, 10 ans déjà 😇
— Le S (@Nico_Izi57) 26 Octobre 2015
RT France : Vous avez donc la sensation que les leçons des émeutes de 2005 n’ont clairement pas été retenues ?
Stéphane Gatignon : Après 2005, on a par exemple tout un tas de jeunes qui se sont engagés, qui ont participé au milieu associatif, au milieu politique. D’autres dans les milieux sportifs ou culturels. D’autres encore ont monté une entreprise… Mais tout ce qui a été fait depuis, on ne l’a pas calculé, pas pris en compte. Il n’y a eu aucune reconnaissance de ces talents. C’est ce qui me fait dire qu’aujourd’hui, le monde politique n’a toujours pas compris la banlieue.
Condamné pour contrôles au faciès, le pouvoir se pourvoit en cassation... mais se promène en banlieue. Sublime majesté de l'état.
— claude askolovitch (@askolovitchC) 26 Octobre 2015
RT France : La banlieue a toutefois reçu beaucoup d’aides, avec des financements importants. Cela n’a servi à rien ?
Stéphane Gatignon : Si, la politique de rénovation urbaine a été très utile. On a réhabilité des quartiers, on a fait des jardins partagés, des parcs, c’est très positif car cela permet de vivre dans des conditions dignes, mais cela ne règle pas la question des trafics, du chômage… Les problèmes sociaux, eux, persistent. Tout comme le manque de travail, la question du vivre ensemble. Tous ces plans ne règlent pas le problème de la société que l’on construit.
RT France : Vous avez fait une grève de la faim pour être entendu sur la question de la banlieue, pour obtenir des moyens. Cela a-t-il changé les choses ?
Stéphane Gatignon : Oui, on a obtenu des dotations en plus. Un apport financier notable, mais cela reste une goutte d’eau par rapport au budget de l'Etat. Surtout, il n’y a pas eu de vraie discussion sur la réforme de la fiscalité locale, par exemple, qui aurait pu changer des choses. Surtout, ce n’est pas qu’une question d’argent, il faut que le politique prenne conscience que ce monde existe, le reconnaisse, l’accepte. Voir aussi ce qui se passe en positif. Regardez, après 2005, il y a eu une dynamique, mais ces jeunes n’arrivent pas à intégrer les mondes médiatiques économiques. Aujourd’hui, on doit arriver à une vraie inclusion en banlieue, mais pour cela il faut chercher à la comprendre. Car quand on ne comprend pas quelque chose, c’est dur de trouver des solutions
RT France : Pour vous, la banlieue souffre toujours de son image ?
Stéphane Gatignon : Le problème c’est celui de la non-reconnaissance. Tous ceux qui réussissent ne sont pas reconnus. Des talents il y en a partout en banlieue. Les mecs qui réussissent il y en a beaucoup. Mais le problème c’est qu’ils veulent partir, cela prouve qu’il y a un problème. On doit se battre en France pour les garder, ces gens. C’est l’avenir du pays qui est là. On est dans des villes cosmopolites, jeunes, dynamique sur le plan culturel, sportif…
RT France : Il reste malgré tout une grande violence dans certains quartiers. Tout n’est pas rose non plus en banlieue ?
Stéphane Gatignon : Non, c’est certain qu’il ne faut pas tomber dans l’angélisme. Oui, la violence existe, oui il y a des trafics divers. Oui, la violence de 2005 pourrait se reproduire. On a par exemple eu d’importantes violences urbaines lors du 14 juillet, et oui, cela pourrait exploser. L’exaspération est massive, mais c’est le cas dans l’ensemble de la société, pas uniquement en banlieue.
RT France : Au moment des émeutes, la question de la religion n’était absolument pas prégnante. Avec les attentats récents, les départs en Syrie, on a la sensation que la religion prend une place importante en banlieue ?
Stéphane Gatignon : Oui, mais il n’y a pas qu’en périphérie qu’on se réfugie dans la religion. Dans une société en rupture totale, les gens ont besoin de croire, on avait pu le voir à la fin de l’URSS avec le retour au premier plan de la religion orthodoxe. Donc oui, le fait religieux existe en banlieue. Mais il faut juste accepter les évolutions. La République, elle aussi doit évoluer car on essaye aujourd’hui de la calquer une société qui a évolué.
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