Grand reporter, Emmanuel Razavi fait partie des journalistes occidentaux qui ont rencontré les Taliban à plusieurs reprises et avaient annoncé leur possible retour. Il livre pour RT France son analyse de la situation.
Il fallait s’y attendre : le G7 convoqué par le premier ministre britannique Boris Johnson, lors d’une visioconférence le 24 aout, n’aura pas fait plier Joe Biden. L'Union européenne notamment, qui voulait obtenir un délai quant au retrait définitif des troupes américaines qui sécurisent l’aéroport de Kaboul, s’est en effet vue opposer une fin de non-recevoir par le président américain. Les soldats américains partiront donc le 31 aout.
Français, Britanniques et Allemands se sont entendu dire que la mission des Etats-Unis en Afghanistan était «en voie d’être terminée».
Les Taliban avaient en effet fait savoir qu’une présence militaire américaine au-delà de cette date butoir constituerait une «ligne rouge» contrevenant aux accords de Doha, et qu’il y aurait des conséquences si celle-ci était prolongée. Biden, lui, a évoqué la possibilité d’une attaque de l’organisation terroriste Etat islamique contre les civils et militaires présents à l’aéroport de Kaboul*. L’EI «cherche à viser l'aéroport et attaquer les forces américaines et alliées ainsi que les civils innocents», s’est-il justifié.
Antony Blinken, le chef de la diplomatie américaine a cependant affirmé ce mercredi 25 août que les Taliban s’étaient engagés à laisser partir Américains et Afghans menacés par les Taliban ou en danger après le 31. Il n’a pas précisé dans quelles conditions sécuritaires.
Alors qu’après 20 ans de guerre les Etats-Unis ont subi un revers magistral face aux Taliban, les sept puissances réunies en urgence affichent donc leur impuissance. Prises de cours, sans aucune illusion sur ce qui attend la population – qui compte 18 millions de femmes –, leur seule arme semble reposer sur des communiqués.
Ainsi, expriment-elles dans une déclaration du même jour : «Nous réaffirmons notre ferme engagement envers le peuple afghan et nous soutenons la déclaration du Conseil de sécurité des Nations unies du 16 août dernier. Nous exprimons notre vive préoccupation au sujet de la situation en Afghanistan et nous appelons au calme et à la retenue afin de garantir la sécurité et la sûreté des Afghans vulnérables et des ressortissants internationaux, et de prévenir une crise humanitaire. Nous appelons au respect des obligations du droit international des droits de l’Homme, notamment les droits des femmes, des filles, des minorités, ainsi qu’au respect du droit international humanitaire en toutes circonstances. Le futur gouvernement afghan, quel qu’il soit, doit respecter les obligations et engagements internationaux de l’Afghanistan dans la lutte contre le terrorisme, protéger les droits de l’Homme, notamment pour les femmes, les enfants, les minorités ethniques et religieuses [...]»
Après la défaite, l’humiliation et le déshonneur
A la lecture de ce communiqué, comment ne pas trouver la situation aussi désespérée qu’humiliante dans un contexte où l’on a l’impression qu’aucune de nos grandes démocraties occidentales n’est capable de s’imposer face à ces Taliban qui viennent de défaire la plus grande coalition militaire depuis la Seconde Guerre mondiale ?
Comment ne pas penser à tous ces Afghans auxquels nous avons vendu le concept de démocratie et que l’on lâche purement et simplement ?
Les diplomates et la cohorte d’ONG présents n’avaient à la bouche que le droit des femmes, la démocratie et la liberté d’expression. Tout cela, pour laisser tomber ce pays en quelques semaines
C’est une réalité : durant les années que j’ai passées à couvrir l’Afghanistan, les diplomates et la cohorte d’ONG présents n’avaient à la bouche que le droit des femmes, la démocratie et la liberté d’expression. Tout cela, pour laisser tomber ce pays en quelques semaines. Bien sûr, tous n’ont pas démérité et certains ont fait un travail remarquable sur place, jusqu’à récemment (on peut d’ailleurs saluer le travail des diplomates de l’ambassade de France à Kaboul, qui avaient anticipé la situation dès le Printemps).
On aura beau jeu de dire que l’affaire concerne désormais les Afghans, que leur armée n’a pas, dans son immense majorité, été à la hauteur. Bien sûr tout cela est vrai. Mais qu’avons-nous fait pour prévenir la débâcle ?
Dès 2004, l’on entendait sur place, à Kaboul, des officiers en charge de la formation des cadres de l’Armée nationale afghane (ANA), expliquer qu’elle manquait d’implication. Et pour cause : mal payés, dans un pays ou l’appartenance ethnique l’emporte sur toute forme de nationalisme, certains préféraient déjà déserter et partir chez les Taliban qui les payaient mieux.
Les Taliban d’aujourd’hui ne sont pas plus «inclusifs» qu’il y a 20 ans
En 2005, lors des élections législatives afghanes, faute de candidats, les Occidentaux ont naïvement négocié avec des Taliban dits «modérés», parmi lesquels le Mollah Khaksar ou Abdellah Rocketi. Il leur a été promis une amnistie et qu’ils pourraient se présenter s’ils déposaient les armes. Or ces gens-là, anciens compagnons de route du Mollah Omar avaient du sang sur les mains. Et lorsque nous les interviewions, ils disaient sans détour que leur projet était de reprendre le pouvoir, que la démocratie était «un outil» mis à leur disposition par les Occidentaux, mais que seule comptait la charia.
L’on avait connaissance de tout cela depuis bien longtemps.
Aujourd’hui, les «successeurs» des Taliban des années 90 ont conservé la même idéologie. Le socle de leur dogme religieux – et de leurs us tribaux – n’a pas évolué.
Ils tiennent bien sûr des propos rassurants à nos diplomates. Mais ils mentent, usant d’éléments de langage et d’artifices médiatiques pour faire croire qu’ils ont changé. Il serait pourtant vain de les croire. Les Taliban d’aujourd’hui ne sont pas plus «inclusifs» qu’il y a 20 ans. Ils ont juste pris la mesure de nos faiblesses et de notre naïveté.
Le communiqué du G7 a dû bien faire sourire les nouveaux maitres de Kaboul
«L’Amérique est de de retour», avait dit Joe Biden lors d’un précédent G7 devant les représentants des grandes puissances démocratiques. Le moins que l’on puisse dire est qu’il a sans doute parlé trop vite. Car il donne aujourd’hui le sentiment de céder à une bande de guérilleros archaïques, même si chacun a compris que l’Afghanistan n’intéresse plus les stratèges Américains, davantage préoccupés par la Chine et la Russie.
Le communiqué du G7 a dû bien faire sourire les nouveaux maitres de Kaboul. Ils doivent ainsi savourer, après la défaite qu’ils considèrent avoir infligé à la coalition et aux Américains, l’humiliation faite à Joe Biden et, par voie de ricochet, aux représentants de nos grandes démocraties. A leurs yeux, assurément, la victoire est totale.
Emmanuel Razavi
*A l’heure où nous écrivons cet article, deux explosions ont retenti aux abords de l’aéroport de Kaboul.
NDLR : Par la suite, l'Etat islamique a revendiqué cette attaque.
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