Docteur en sciences et essayiste belge, Jean Bricmont est professeur à l’Université catholique de Louvain. Il est auteur et co-auteur de plusieurs ouvrages dont La république des censeurs, Impostures intellectuelles (avec Alan Sokal).

«Il est très difficile de dire quoi que ce soit de critique»

«Il est très difficile de dire quoi que ce soit de critique» Source: Reuters
Le magazine Charlie Hebdo
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Jusqu’à quel point peut-on tout dire et écrire ? Après les caricatures de Mahomet, du garçon syrien noyé et de Nadine Morano, Charlie Hebdo fait de nouveau polémique. RT France s’est entretenu avec l’essayiste belge Jean Bricmont sur ce sujet.

RT France : Charlie Hebdo est de nouveau au cœur d’une polémique à cause de sa Une qui met en scène la parlementaire européenne Nadine Morano en guise de fille trisomique de de Gaulle. Pourquoi autant de réactions ?

Jean Bricmont : De Gaulle avait une fille trisomique dont lui et sa femme ont pris soin au lieu de la « placer » dans une institution. Quoi que l'on pense de Mme Morano, la plaisanterie est de mauvais goût. Mais quand il s'agit de se moquer des « racistes », tout est permis.

RT France :Que pensez-vous du débat sur la publication de la caricature du garçon syrien noyé d’Aylan Kurdi ? Qui a raison ?

Jean Bricmont : Il faut d’abord comprendre la caricature montrant l'enfant mort devant une publicité pour McDonald et indiquant « si près du but ». Charlie Hebdo se moque ici de la société de consommation et cela est évident pour ceux qui connaissent ce magazine. C’est une blague de mauvais goût – mais on a droit au mauvais goût. Je trouve un peu irritante l’indignation parce que ce n’est pas la première fois que Charlie Hebdo est d'un mauvais goût extrême. Ce que Charlie Hebdo faisait avec l’islam était aussi de mauvais goût. Ils ne sont pas poursuivis (heureusement) pour l’utilisation d’un humour qui choque certains, contrairement à  Dieudonné ou d’autres, ce qui pose la question du « deux poids  deux mesures »

RT France :Pendant les marches républicaines de janvier 2015 la société s’est quasiment divisée entre ceux qui sont Charlie et ceux qui ne le sont pas…

Jean Bricmont : Qu’est-ce qu’on entend par «être Charlie» ? C’est un slogan qui, comme tous les slogans, est ambigu. Je suis très critique à l’égard de Charlie Hebdo mais j’étais bien sûr choqué quand j’ai appris que Cabu, Wolinski et d'autres ont été tués, des humoristes que je connaissais depuis que je suis jeune qui m’ont fait rire à certains moments, qui étaient sympas. Je comprends parfaitement que les gens descendent dans la rue parce qu’ils sont choqués. Ce qui me dérange c’est que le défilé se fasse avec tous les chefs d’Etat – même ceux qui ne sont pas idéaux du point de vue de la liberté d’expression –, que le défilé se termine à la synagogue de la rue de la Victoire où Netanyahou a fait une allocution, bref, tout était fait pour que les musulmans n'y participent pas, ce qui permettait de les stigmatiser par la suite. En plus, on a arrêté des gosses dans les écoles ou des gens pour des remarques politiquement incorrectes, parfois faites en état d’ivresse. Cette hypocrisie à propos de la liberté d’expression, l’hypocrisie des  «Je suis Charlie» était insupportable. Et je comprends donc la réaction des «Je ne suis pas Charlie». Je n’étais ni l’un ni l’autre parce que je n’aime pas les slogans vagues.

RT France : Est-ce qu’il y a des sujets tabous en France ?

Jean Bricmont : Evidemment – c'est le cas à partir du moment où il y a des lois qui interdisent de contester certains événements historiques. La loi Gayssot par exemple interdit de contester certaines décisions du tribunal de Nuremberg. Il y a une espèce de religion qui s’est instaurée en Occident, qui est une façon tout à fait irrationnelle de penser à la Deuxième Guerre mondiale et qui fait que l'holocauste est sans arrêt invoquée quand il s’agit des réfugiés, de l’intégration européenne, de la souveraineté nationale, des guerres humanitaires – par exemple pour lutter contre les «nouveaux Hitler» - Assad, Kadhafi ou même Poutine.

RT France : Vous avez évoqué dans une interview le fait que l’Europe ressemble désormais à l’URSS en matière de liberté d’expression, que la Russie et l’Europe ont échangé leurs rôles

Jean Bricmont : C’est une façon de parler. Certaines idées, comme la construction européenne, la globalisation ou la politique d'ingérence sont imposées sans demander l’avis des populations et sans véritable débat. En plus, les gens qui s’y opposent, qui contestent les idées reçues, sont systématiquement traités, surtout à gauche, de racistes ou de fascistes. C’est similaire à la façon dont les communistes stigmatisaient leurs adversaires. Cela peut très bien se terminer en catastrophe, comme le communisme.

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RT France : Vous avez dit lors d’une autre interview que si vous étiez jeune aujourd’hui vous n’auriez pas dit ce que vous dites et n’auriez pas écrit ce que vous écrivez. Pourquoi ?

Jean Bricmont : Je pense que, quand j’étais jeune, on était beaucoup plus libres de contester, surtout après mai 1968. Aujourd’hui il y a une pression énorme sur tout ce qui touche au Moyen Orient. Je trouve que nous sommes dans une mentalité qui ressemble à celle de la guerre froide des années 50, où il y avait un blocage idéologique total, venant d’une partie de la société, qui était catholique et conservatrice. Maintenant, le catholicisme a été remplacé par l'idéologie des droits de l'homme, et de l'abandon de la souveraineté nationale (justifiant à la fois les guerres humanitaires et la construction européenne). Le discours a radicalement changé mais est structurellement semblable au discours des années 50, parce qu’il s’impose grâce à une censure de fait combinée à une chape de plomb moralisatrice. Ceux qui ne sont pas d’accord avec les idées dominantes, par exemple avec la nécessité de « renverser Assad », sont tout de suite traités de tous les noms. Par ailleurs,  on a droit à tous les grands discours antiracistes mais quand il s’agit des peuples russe, chinois ou latino-américains, on est dans l’incompréhension totale de leurs aspirations politiques, des motivations qu’ils peuvent avoir. On ne cherche pas à comprendre leur histoire ou les problèmes de leurs sociétés. Tout est jugé à travers le prisme des droits de l'homme, prisme qui est utilisé  de façon très sélective et hors de tout contexte.

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