Par Philippe Migault Tous les articles de cet auteur
Philippe Migault est directeur du Centre européen d'analyses stratégiques, analyste, enseignant, spécialiste des questions stratégiques.

Arménie : «Toute la vertu du monde ne prévaut point contre le feu»

Arménie : «Toute la vertu du monde ne prévaut point contre le feu»© Stringer Source: Reuters
Un combattant arménien dans le Haut-Karabagh le 20 octobre 2020 (image d'illustration).
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Avec la cessation des hostilités dans la région du Haut-Karabagh, les Arméniens perdent des territoires. Pour Philippe Migault, ces derniers ont été victimes d’un complexe de supériorité faisant fi des réalités du nombre et de la technologie.

C’était beau comme un péplum. 1988-1994 : ne disposant pour toutes ressources que de leur courage et d’un matériel soviétique déjà vieillissant, les Arméniens vainquent au bout de six années de guerre les Azerbaïdjanais, utilisant un matériel similaire, mais plus nombreux, plus riches. Tous les pronostics sont renversés. L’Arménie, n’ayant pour alliés que sa diaspora, libère le Haut-Karabagh, terre historiquement arménienne attribuée en 1921 par Staline à l’Azerbaïdjan. Les plans machiavéliques du Vojd, visant à diviser pour mieux régner au sud du Caucase, s’effondrent. Ce n’est pas encore la Grande Arménie dont rêvent les plus fervents – et les moins réalistes – des nationalistes arméniens, mais c’est une écrasante victoire. Non seulement l’Artsakh, l’autre nom du Haut-Karabagh, est libre, mais les Arméniens s’emparent d’une bonne partie du territoire de l’Azerbaïdjan afin de sécuriser leur conquête en l’arrimant territorialement à l’Arménie. Cette page d’histoire, source de fierté pour toute la communauté arménienne, évoque irrésistiblement une autre épopée : celle d’Israël. Comme les Israéliens, les Arméniens ont été depuis des millénaires chassés de leurs terres. Comme eux ils en ont été réduits à vivre, pour la majorité d’entre eux, loin de leur patrie. Comme eux ils ont été en proie à un génocide. A la haine de populations musulmanes les environnant de toutes parts. Et comme eux, ils ont vaincu. Mais la comparaison s’arrête là.

L’Arménie est seule dans les faits

Israël, après sa victoire de 1948, a méthodiquement construit une force armée moderne, destinée à compenser ses faiblesses, exigüité du territoire et faible population. Il a pu compter sur une série d’alliés qui, successivement, lui ont fourni matériel militaire moderne et formation. Les Tchèques d’abord. Les Français ensuite, avec leurs Mirage, leurs missiles balistiques et leur assistance pour la mise au point de l’arme nucléaire israélienne. Les Américains enfin, avec toute la panoplie de leur puissance. Dès 1967, au moment de la guerre des Six jours, l’existence d’Israël n’était plus menacée dans les faits. L’Etat juif disposant des appuis des Occidentaux et d’une des meilleures armées du monde, n’était même pas réellement en danger en 1973, lors de la guerre du Kippour.

Un quart de siècle après leur victoire de 1994, les Arméniens, eux, ne possèdent aucun de ces atouts. Certes l’Iran, au sud, n’est pas hostile. La Géorgie, chrétienne, non plus. Mais ce n’est pas une alliée. Quant à la Russie, à laquelle l’Arménie est unie par une alliance défensive, l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), elle n’est pas contrainte d’assister Erevan dans le cadre d’un conflit limité à l’Artsakh, qui ne fait pas partie, officiellement, du territoire arménien. L’Arménie est seule dans les faits. Seule avec ses 3 millions d’habitants, des ressources naturelles inexistantes, un PIB de 13,672 milliards de dollars, face à l’Azerbaïdjan, 10 millions d’habitants, 48 milliards de dollars de PIB, son pétrole, son gaz et sa pléthore de fournisseurs militaires.

Un arsenal de drones israéliens et turcs modernes pour l’Azerbaïdjan

Car cela fait des années qu’à Bakou, contrairement aux Arméniens, on bâtit un instrument de combat moderne, conçu pour prendre la revanche et les territoires perdus. Près de trois fois plus nombreuses que les forces arméniennes, les troupes azerbaïdjanaises ont pu compter, dans ce conflit, sur un matériel largement supérieur tant quantitativement que qualitativement, les armements azerbaïdjanais étant fréquemment d’une génération plus récente que leurs homologues arméniens et les moyens lourds plus conséquents. Quatre contre un pour les chars, deux contre un pour les blindés de transport de troupes, deux contre un pour les avions de combat, trois contre un pour les hélicoptères d’attaque et de manœuvre, un arsenal de drones israéliens et turcs modernes, aptes aux missions de renseignement et de frappes de précision, une artillerie mieux guidée et plus apte aux frappes lourdes dans la profondeur du dispositif ennemi : l’Azerbaïdjan était supérieur. Ces moyens, notamment les drones, lui ont permis de l’emporter en déjouant les seuls atouts des forces défendant l’Artsakh, lesquels se réduisent à leur parfaite connaissance d’un territoire montagneux, avantageant le camp sur la défensive, et leur farouche détermination, démontrée une fois encore.

Et c’est là que le bât blesse. Les Arméniens ont démontré que leur bravoure était, une fois encore au rendez-vous. Ils ont mené des contre-attaques avec leur infanterie ayant permis, à plusieurs reprises, de stopper l’offensive azerbaïdjanaise. Les djihadistes syriens mis à la disposition de Bakou par la Turquie, n’ont nulle part imposé leur expérience au combat face à des adversaires défendant leur sol et leur foi. Mais le courage ne pouvait suffire. Chauffé à blanc, notamment par les Karabakhtsis, depuis 1994, le nationalisme arménien a bercé le pays d’illusions. Coutumière des rodomontades musclées vis-à-vis de l’Azerbaïdjan (qui le lui rendait bien), l’Arménie a cru que ses qualités humaines lui permettraient une fois encore de vaincre l’adversité et qu’elle avait les moyens de s’en tenir là, forte du soutien de la Russie, dont on a vu qu’il était limité du strict point de vue du droit. Le pays doit à présent en tirer les leçons. Tant d’un point de vue diplomatique que militaire. Les temps de l’intransigeance et de l’honneur pointilleux, mais ne s’appuyant sur aucune autre force que celle du verbe haut et d’une prédisposition historique à endurer le martyre, sont révolus. Charles de Gaulle, dont nous célébrons le cinquantième anniversaire de la mort, le rappelait en 1938 : «Toute la vertu du monde ne prévaut point contre le feu.» Qu’Erevan l’entende et en tire les leçons avec, en tête, une autre citation gaullienne : «Foudroyés aujourd'hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l'avenir par une force mécanique supérieure.» Courage frères arméniens. Rebâtissez. Calmes et droits. L’efficience est ennemie des illusions.

Philippe Migault

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