Punir Berlin tout en affectant une posture de fermeté vis-à-vis de la Russie : en retirant des troupes d'Allemagne, Trump flatte son électorat, estime Philippe Migault, spécialiste des questions stratégiques.
America first : Elu en 2016 sur un slogan nationaliste, Donald Trump entend bien montrer qu’il reste fidèle à sa ligne de conduite alors qu’il briguera un nouveau mandat en novembre prochain. Pour cela il doit notamment flatter deux publics.
En premier lieu ses électeurs, volontiers isolationnistes et soucieux d’une gestion rigoureuse des dépenses publiques privilégiant leur niveau de vie et l’American way of life.
En second lieu les faucons, qui n’ont pas oublié la seconde promesse de Trump : Make America great again, et la volonté de leadership américain incontesté qu’elle exprime.
Dans ce cadre, l’annonce du retrait de 12 000 soldats américains d’Allemagne et le déploiement permanent de 5 500 G.I. en Pologne, lui permet non seulement de jouer sur les deux tableaux mais est aussi justifiée que logique de son point de vue comme de celui de millions de ses compatriotes.
Les Allemands sont accusés de jouer un double jeu entre les Etats-Unis et la Russie
Justifiée, car la réduction du format des troupes américaines en Allemagne, où 25 000 hommes devraient tout de même demeurer stationnés en permanence, a été présentée par le Président américain comme une sanction vis-à-vis de Berlin, l'Allemagne refusant de consacrer 2% de son PIB à la défense, conformément à l’engagement des Etats membres de l’OTAN. Or Trump estime qu’il n’a aucune raison de continuer à faire un cadeau équivalent à plusieurs milliards de dollars à un pays refusant de se défendre lui-même, tandis que les citoyens américains consentent à financer un budget de défense équivalent à 3,5% de leur PIB.
Justifiée, parce que Donald Trump estime aussi que l’Allemagne est en grande partie responsable du déficit commercial dont pâtissent les Etats-Unis dans leurs relations commerciales avec l’Union européenne.
Justifiée car les Allemands ne sont, du point de vue du dirigeant, pas seulement coupables de laxisme financier et de tailler des croupières aux entreprises américaines. Ils refusent aussi de céder aux pressions et sanctions de Washington qui exige la fin du projet de gazoduc North Stream 2 en coopération avec la Russie. Faucons et électeurs républicains n’ont donc que des raisons de se réjouir tandis que, last, but not least, Trump punit aussi Angela Merkel.
La chancelière allemande, on s’en rappelle, a très vigoureusement critiqué la politique étrangère du président américain, estimant, quelques mois seulement après l’élection de ce dernier, qu’au sein de l’OTAN, «l’époque où on pouvait compter les uns sur les autres est quasiment révolue». Un comportement que le président américain a considéré comme un affront et une insolence d’une part, comme une absurdité de l’autre, le spectre d’un découplage Europe-Etats-Unis n’existant, nous le rappelions récemment, que dans l’esprit des médias occidentaux d’un point de vue militaire.
Les #EtatsUnis vont renforcer leur présence militaire en #Pologne
— RT France (@RTenfrancais) August 3, 2020
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La ligne de défense de l’OTAN passe peu à peu sur le Bug
En atteste le stationnement permanent − par rotations − de 5 500 soldats américains sur le territoire polonais, mesure dont Trump escompte qu’elle séduira aussi bien l’électeur isolationniste que le faucon du Congrès ou du Pentagone.
Aux yeux du premier, elle a le mérite de récompenser celui qui paie pour sa défense et se montre un vassal docile.
Pour le second elle se veut démonstrative de la fermeté de Donald Trump vis-à-vis du Kremlin, réfutant ainsi les accusations de l’establishment néo-conservateur américain qui n’a cessé de le présenter comme trop proche de Vladimir Poutine depuis son élection. Le maintien en permanence d’un contingent important de troupes américaines à proximité des frontières de l’OTSC, au mépris des garanties données par l’OTAN en 1997 lors de la signature de l’Acte Fondateur encadrant les relations entre l’Alliance Atlantique et la Russie, est en effet un acte fort. Les stratèges de l’OTAN, obsédés par le manque de profondeur stratégique de leur dispositif européen, ont toujours cherché à mettre en place une défense de l’avant forte, leur permettant de bloquer une offensive soviétique jusqu’à ce que les renforts venus des Etats-Unis aient traversé l’Atlantique et leur donnent les moyens de contre-attaquer et de refouler l’ennemi.
Cette ligne de défense, courant autrefois le long de l’Elbe, passe aujourd’hui, peu à peu, sur le Bug occidental, nouvelle frontière orientale de l’OTAN, à 900 kilomètres à l’est. Obama, Trump, Biden… En définitive, peu importe. La stratégie du rollback demeure. Et si la décision du président américain de déshabiller Berlin pour habiller Varsovie n’est pas très diplomate, elle est parfaitement cohérente du point de vue des intérêts américains. Les seuls qui comptent pour Trump et ses électeurs.
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