L’historien et spécialiste de l’Afrique Bernard Lugan déсortique pour RT France les relations entre le continent africain et les Etats-Unis.
Il y a une année, du 3 au 5 août 2014, s'est tenu à Washington le premier Sommet Etats-Unis-Afrique. Durant les trois jours que dura cette réunion exceptionnelle, les questions de la misère ou de l'avenir de l'Afrique ne furent qu'esquissées. Rien pour l'agriculture ni pour l'agroalimentaire. En revanche, nombreuses furent les envolées lyriques sur les racines africaines d'une partie de la population américaine, répétitifs les poncifs éculés sur la démocratie, les «droits de l'homme» ainsi que les discours creux sur la corruption. Le but de ce sommet était ailleurs... vers les «secteurs captifs de revenus».
Le président Obama a d'ailleurs annoncé le déblocage de 7 milliards de dollars, non pas pour lutter contre la pauvreté, mais afin de stimuler les exportations américaines en Afrique
Le président Obama a ainsi déclaré vouloir mobiliser dans les années à venir 33 milliards de dollars pour créer en Afrique un environnement permettant le développement du business américain*. Le coeur des travaux de ce sommet fut donc le ciblage de trois secteurs potentiellement porteurs pour les firmes américaines à savoir l'énergie, d'où l'initiative Power Africa destinée à fournir de l'électricité à 60 millions de ménages en faisant travailler des firmes américaines, la construction et les machines. Rien de philanthropique, mais un simple retour sur investissements ; l'aide, mais en échange de bons de commande... Le commerce en un mot. Le président Obama a d'ailleurs annoncé le déblocage de 7 milliards de dollars, non pas pour lutter contre la pauvreté, mais afin de stimuler les exportations américaines en Afrique. Le président américain parla bien d'exportations, donc de ventes.
Oublié le discours de circonstance sur les droits humains ou l'égalité des sexes et place aux affaires
L'hypocrisie de la démarche était réelle car Washington exerce un chantage permanent au renouvellement de cette forme de néocolonialisme qui a pour nom AGOA (African Growth and Opportunity Act), loi qui fut votée en 2000 et qui n'est rien d'autre qu'un diktat. Aux termes de l'AGOA, les Etats-Unis sélectionnent en effet, selon leur bon vouloir, un certain nombre de produits pouvant bénéficier de la franchise tarifaire, afin d'échapper au sévère protectionnisme douanier que pratique sans états d'âme la «patrie du libre-échange».
Oublié le discours de circonstance sur les droits humains ou l'égalité des sexes et place aux affaires. Les apôtres de l'économie libérale parlent d'accords «gagnant-gagnant» quand en réalité il s'agit d'un moyen de pression : facilités douanières en échange de contreparties diverses.
Les apôtres de l'économie libérale parlent d'accords «gagnant-gagnant» quand en réalité il s'agit d'un moyen de pression
C'est aussi une forme de duperie pour deux grandes raisons :
1° Les Etats-Unis «tiennent» littéralement les bénéficiaires avec la menace de suspension de l'AGOA en cas de «mauvaises manières», par exemple un vote à l'ONU qui ne satisferait pas Washington.
2° Ils se réservent de pouvoir, et cela à tout moment, suspendre les clauses de l'AGOA en cas de menace sur leurs propres productions. Un exemple : si les hasards de la climatologie font que telle de leur production agricole est excédentaire, ils pourront édicter une réglementation de circonstance leur permettant d'interrompre les facilités accordées aux pays concernés et cela afin de protéger leur propre filière.
Les Etats-Unis disposent d'alliés en la personne de ces nouveaux milliardaires perçus en Afrique comme de véritables sangsues
Sans parler d'accords portant sur l'importation, sans droits de douane, de produits certes fabriqués ou transformés en Afrique, mais à base de matière première américaine, comme pour certaines cotonnades...
Dans leur entreprise de sidération des pays africains, les Etats-Unis disposent d'alliés en la personne de ces nouveaux milliardaires perçus en Afrique comme de véritables sangsues et qui, dans leur immense majorité, ont bâti leurs insolentes fortunes sur les industries extractives liées de près ou de loin à des consortiums américains.
Tous sont directement ou indirectement liés aux firmes anglo-saxonnes qui exploitent les richesses du sous-sol sud-africain et qui ont acheté leur silence ou leur complicité
L'Afrique du Sud présente un exemple éloquent à cet égard. Les Black Diamonds qui y sont les seuls Noirs à avoir gagné économiquement de la fin du régime blanc sont presque tous de hauts cadres de l'ANC ayant fait main basse sur l'économie du pays. Or, tous sont directement ou indirectement liés aux firmes anglo-saxonnes qui exploitent les richesses du sous-sol sud-africain et qui ont acheté leur silence ou leur complicité en leur permettant de bâtir d'insolentes fortunes. Cooptés dans les instances dirigeantes des consortiums miniers, ils sont les plus farouches opposants aux augmentations de salaire demandées par les mineurs.
* En 2014, avant la révolution des schistes, la part de l'Afrique dans le commerce extérieur des Etats-Unis était d'environ 2%, moins que la France, et sur ce pourcentage anecdotique, les hydrocarbures et les minéraux représentaient 90%.
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