Pour Philippe Mesnard de Politique Magazine, le gouvernement pense profiter de sa gestion de la crise (!) et les partis transformer la bonne image qu’ils croient avoir construite ces deux derniers mois. Sans toutefois penser aux Français…
L’ineffable Conseil scientifique Covid-19, qui expliquait en pleine pandémie que rien ne s’opposait à ce qu’ait lieu le premier tour des élections municipales, le 15 mars, vient de rendre un avis pour expliquer que le second tour pourrait avoir lieu le 28 juin… si le gouvernement met en place tout ce qu’il faut pour préserver les citoyens d’une interminable liste de risques incertains. Le gouvernement, fort de son excellente gestion de l’épidémie, dont tout le monde a pu apprécier les effets, s’apprête donc à renvoyer les Français aux urnes.
Dans son avis ubuesque, surtout soucieux de se dégager de toute responsabilité, le Conseil précise que «l’évaluation de la seule situation sanitaire ne prend pas en compte d’importants autres aspects plus généraux (régularité institutionnelle, effets sur l’abstention, sincérité du scrutin, légitimité des mandats exécutifs prolongés, etc.).» Effectivement. Pour peindre de couleurs démocratiques son absurde décision de maintenir les élections, le gouvernement a prévu de demander un second avis au Conseil (qui lui rendra un texte tout aussi prudent en ne s’engageant à rien) et sur un débat parlementaire qui aura lieu en juin, dans la belle tradition LREM qui consiste à ne donner le temps à personne de débattre et ensuite à faire voter le troupeau de la majorité présidentielle.
On voit se profiler l’une de ces situations aberrantes auxquelles les grands défenseurs de «l’Etat de droit» nous ont habitués : d’un côté, plus de 30 000 communes ont vu leurs conseils municipaux être pourvus… mais ces conseils ne peuvent pas se réunir pour élire leurs maires, les anciens maires ayant donc été prorogés ; de l’autre, un peu moins de 5 000 communes, dont les plus grandes villes, ne savent pas qui pourrait remporter ces élections. Ces communes représentent plus de 25 millions d’habitants. Et faute de deuxième tour rapide, il faudra reprendre tout le processus électoral à zéro.
Le décret du 15 mai 2020 va permettre à la plupart des communes pourvues en conseils complets d’élire leur maire – quand bien même ce premier tour ne présente pas vraiment les garanties de «sincérité du scrutin» (de nombreux recours ont d’ailleurs été localement déposés pour annuler ces scrutins). Quant aux autres communes, on va relancer la machine mais dans la même incertitude sanitaire : après nous avoir laissés nous déplacer sans masque, puis nous avoir sévèrement reproché de ne pas être prudents, le gouvernement va continuer à nous expliquer d’une part qu’il faut voter, d’autre part que se déplacer est très risqué. On risque donc d’avoir un deuxième tour entaché des mêmes problèmes : parents de jeunes enfants et vieilles gens vont rester chez eux, ne sachant comment interpréter les injonctions contradictoires d’une démocratie qui, à Montcornet, vante «l’esprit de résistance» et, partout ailleurs, exige la soumission la plus parfaite à l’Etat même quand il fait défaut.
On voit les effets sur l’abstention : à quelques centaines de voix près, le scrutin peut très bien ne pas du tout refléter l’électorat. Et de quoi sera faite une campagne électorale sans visite en porte-à-porte, sans tractage, sans réunion publique ?… Cela n’arrête ni Anne Hidalgo, ni Christian Estrosi, ni François Rebsamen. Ils viennent de réclamer la fin du «confinement démocratique» dans une tribune publié dimanche 17 mai dans Le JDD. Evitons d’évoquer la démocratie selon Hidalgo ou Rebsamen, on a pu mesurer leur autoritarisme et leur mépris des oppositions. Que dit leur tribune ? Que les maires sont des piliers de la lutte contre le coronavirus (le gouvernement a tout imposé et les préfets ont jugulé les maires), que 70% de la commande publique sont réalisés par les communes et les intercommunalités (on connaît l’état désastreux des finances des grandes villes) et surtout que les Français ne pourraient accepter «la perte de temps et d'énergie requise par une nouvelle campagne électorale, alors que la situation de notre pays exige une mobilisation totale». Voilà donc les maires des plus grandes villes de France qui réclament, en fait, qu’on ne discute absolument pas de l’épidémie ; qu’on ne discute absolument pas de leur rôle pendant cette épidémie ; qu’on ne discute pas de leurs décisions aberrantes, de leur manque de préparation, de leur incapacité à avoir supplée aux manques criants de l’Etat ; qu’on ne discute pas de la manière dont ils ont en permanence collaboré avec l’administration centrale pour qu’aucun contre-pouvoir efficace ne s’installe dans les métropoles, les régions, les départements.
Ces maires, et ce gouvernement, veulent que l’épidémie soit considérée comme une parenthèse nulle et non avenue et que le seules alliances entre les partis constituent le jeu démocratique du deuxième tour, chacun y allant de son petit calcul électoral, tel espérant que la popularité chancelante du gouvernement lui profitera, telle autre que son opposition médiatique durant l’épidémie a consolidé sa candidature. Le premier tour des municipales était une idiotie imprudente. Le second tour sera une infamie. Quant à la démocratie, confinée depuis longtemps par l’état d’urgence hollandien puis l’état d’urgence sanitaire macronien et son incroyable recul des libertés, ces élections ne la déconfineront pas. Elles montreront, une fois de plus, que les Français sont prisonniers des appareils des partis et des calculs partisans, à cent lieues des exigences du bien commun.
Philippe Mesnard
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