Le Covid-19 est également l’objet d’une guerre de communication, pour l’Histoire. Entre une Chine luttant pour ne pas en porter l’entière responsabilité et des USA désireux de masquer leur propre incurie présidentielle, tous les coups sont permis.
Dans notre société d’hyper-profusion d’informations, on peut énoncer une vérité sans pour autant avoir raison à l’instant T.
A refuser par exemple toute crédibilité à certaines affirmations en apparence complotistes qui ne cessent de noyauter les réseaux sociaux, on peut finir par se demander si le réflexe pavlovien consistant à les réfuter en masse ne nous fait pas irrémédiablement passer à côté de quelque chose de vrai. Un virus venant du fameux laboratoire P4 à Wuhan ? Non, cela paraît trop gros... Car il manque toujours une preuve concrète chez la minorité conspirationniste qui essaie d’imposer son idée. Pour autant, balayer toute assertion au prétexte qu’elle semble conspirationniste, et serait de ce fait forcément fausse, devient parfois tout aussi suicidaire. D’autant plus quand, dans une opération globale de surenchère cognitive, on n’a de cesse de constater dans le même temps une montée du corpus de fake/corrupted news et mensonges émanant des gouvernements eux-mêmes pour s’y opposer. C’est la bataille que se livrent aujourd’hui les USA et la Chine.
Toute guerre est devenue aujourd’hui une guerre de communication. Nous retrouvons cela dans tous les Etats à travers l’histoire : chacun y trouve des enjeux politiques qui sont aussi des enjeux de communication. Quant au peuple, il s’y perd souvent et il est aussi difficile pour les professionnels de délivrer un message de plus en plus clair et définitif. Dans nos sociétés postmodernes, où nous balançons entre vérité et post-vérité, c’est souvent la communication qui détermine le succès en temps de crise. Ainsi, dans le contexte de la crise sanitaire mondiale du Covid-19, rejeter l’idée émise depuis des semaines selon laquelle le coronavirus pourrait venir du laboratoire P4 de Wuhan était encore récemment la preuve pour le moins d’un raisonnement scientifique sérieux et, à défaut de preuves tangibles, de l’intégrité de son propre raisonnement mental. Mais ce qu’il se passe depuis plusieurs jours, parmi les plus grands dirigeants politiques et les scientifiques de renom, nous fera-t-il bientôt passer pour des naïfs «qui n’ont rien voulu voir» (la critique numéro un d’un adepte du complotisme à l’égard d’un sceptique) ? Cela est fort probable, tant malgré une pandémie encore présente, l’histoire qui restera dans les annales s’écrit actuellement à grands renforts de communication américaine et chinoise à travers le monde pour tenter d'établir les responsables de ce drame. La première puissance mondiale est passée à l’action depuis quelques semaines et pointe désormais ouvertement et clairement du doigt la sécurité du laboratoire virologique de Wuhan, et donc la responsabilité des Chinois dans la pandémie. Au fond, et s’il y avait du vrai ? Un virus fabriqué, ça non ; mais un virus échappé par erreur humaine du laboratoire ?
Au fond, Trump ne chercherait-il qu’à détourner notre attention de son incurie dans la gestion de ce dossier, en désignant deux coupables clairs et nets de la mort des Américains des suites du virus − l’OMS et la Chine ? Ce que fait Donald Trump pour essayer de sauver sa peau, c’est un énorme coup de communication pour détourner l’attention : c’est un classique du genre, sauf qu’il reste le président de la première puissance mondiale face au patron de la seconde, et qu’il essaie de construire son propre narratif mensonger pour essayer de rivaliser avec celui dont est coutumière et experte l’Amérique depuis des décennies. S’il a mal géré la crise, ce n’est pas de sa faute, mais bien parce que les Chinois ont menti depuis le début sur la gravité du virus.
Trump fait donc son possible pour trouver des boucs émissaires, entre la Chine et les gouverneurs démocrates des Etats «rebelles» dont il appelle au déconfinement. On retient souvent l’histoire des vainqueurs, pas des vaincus. Génétiquement et théologiquement parlant, l’Amérique ne peut dans un certain sens pas être vaincue. Les USA sont justement le pays qui gagne toujours la bataille de la communication, malgré leurs nombreux errements, précisément parce qu'ils sont encore pour le moment la première puissance mondiale. On connaît tout des drames causés par les Américains depuis 1945 dans le monde sous prétexte de sauver celui-ci, mais ils n’ont jamais payé le prix fort. La Chine, elle, de l’autre côté, doit basculer dans le camp des vaincus de l’image et va payer. On ne connaîtra peut-être jamais la vérité sur les origines profondes du Covid-19, au bénéfice des USA et de la Chine communiste. Mais si, par miracle, le laboratoire P4 n’y est finalement vraiment pour rien, Mike Pompeo, avec sa théorie sur Wuhan, restera-t-il dans l’histoire comme le nouveau Colin Powell chargé de persuader la planète qu’il y avait bien des armes de destruction massive en Irak pour justifier l’invasion en 2003 ? Et dans la foulée imposer un narratif falsifié, dont tout le monde sait pertinemment qu’il est probablement faux, mais qui a fait Histoire. C’est cela, la communication par temps de crise !
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : avoir la légitimité et le pouvoir de faire Histoire de son récit. Quand la propagande mensongère vient de la Chine, elle résiste bien moins longtemps face au bulldozer américain. Dans sa quête de leadership global, il lui manque assurément cette capacité fulgurante à imposer son narratif et à lui octroyer force de loi, contrairement aux Américains. Ce qui est clair, et qui renforce les partisans du complot, c’est que les efforts massifs de la Chine visant à masquer l’information et faire disparaître recherches, médecins et journalistes, ne peuvent qu’inciter à penser qu’il y a des choses à cacher à tout prix (la critique numéro deux conspirationnistes à l’égard des fameux qui ne voulaient pas voir).
En fin de compte, c’est le balancier perpétuel entre le cœur et l’esprit, qui penche actuellement résolument du côté du cœur, des émotions, des passions et du sentiment ou du «feeling» face au drame mondial qu’est la pandémie. Les dirigeants populistes actuels, comme Trump, excellent à cela, avant tout en termes de bluff, de provocation, une forme de communication agressive qu'ils imposent. Exit le cerveau. Personne n’a de preuve, mais si le président américain assène sa vérité, aussi absurde puisse-t-elle être, elle risque bien de faire Histoire pour les raisons évoquées plus haut. Il y a fort à parier que la Chine non seulement perde définitivement la bataille des récits après la pandémie, mais également sa course au leadership mondial : les USA auront une fois encore réussi à gagner, malgré le marasme humain, cette guerre de la communication.
Au fond, ce n’est que de cela qu’il s’agit. Peu importe qui aura dit quoi en premier : ce qui compte, c’est de savoir qui aura le dernier mot !
Sébastien Boussois
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