Lors de la 70e session de l’Assemblée générale, les Etats-Unis ont accusé la Russie d’avoir abusé de son droit de veto. Pourtant, l'éminent philosophe et professeur de linguistique Noam Chomsky a déclaré à RT que cette tendance appartenait aux USA.
RT : Si on imagine que l’ONU n’existait pas du tout, à quoi le monde ressemblerait-il ?
Noam Chomsky (N. C.) : Il serait pire que maintenant. Les Nations Unies ne sont pas un acteur indépendant des affaires mondiales mais cette organisation ne peut agir tant que les grandes puissances ne le lui permettent pas, ce qui signifie qu’elle est extrêmement limitée dans ses actions. On voit beaucoup de cas où les grandes puissances veulent déléguer l’autorité et le degré d'indépendance à l’ONU et celle-ci peut réaliser certaines activités importantes. L’aide humanitaire, par exemple, qui est fournie par les Nations Unies est cruciale pour la survie de nombreuses personnes. En effet, aucune partie du monde n’en possède assez, pourtant elle est essentielle pour la survie. On voit aussi d’autres activités pour le maintien de la paix et dont les bénéfices sont mélangés mais revêtent de l’importance. Si tout cela se terminait, la situation serait pire qu'aujourd'hui.
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RT : Le Conseil de Sécurité est en principe le seul instrument de résolution des conflits internationaux. Quelle est votre attitude face aux appels à changer les règles du jeu, par exemple, de retirer le droit de veto à la Russie ?
N. C. : Pourquoi s'attaquer à la Russie ? Depuis les années 1960, lorsque l’ONU est devenue un représentant de l’opinion publique après la décolonisation, les Etats-Unis ont eu tendance à opposer leur veto aux résolutions du Conseil de Sécurité sur toute sorte de sujets. La Grande-Bretagne arrive en seconde place. La Russie, elle, est loin derrière. Ces dernières années, la Russie a rattrapé les Etats-Unis et les deux pays ont opposé à peu près le même nombre de vetos, mais il s'agit d'un développement assez récent. Les Etats-Unis étaient les champions du veto depuis des décennies.
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RT : Le monde a beaucoup changé depuis la création de l’ONU après la Seconde Guerre Mondiale. Nous n'avons pas connu de conflit global mais on a vu de nombreuses situations violentes priver de vie des millions de personnes. Est-ce le moment de réévaluer la façon dont l'ONU fonctionne ?
N. C. : L'ONU fonctionne mieux qu'auparavant. Juste après la Seconde Guerre Mondiale, les Etats-Unis occupaient une position dominante. Durant une longue période, les Nations Unies sont devenues l’instrument de pouvoir des Etats-Unis, souvent utilisé contre l’Union soviétique. De plus, au début de la création de l’ONU, on a pu voir beaucoup de vetos soviétiques.
La situation était en train de changer, le monde aussi. L’ONU a alors elle aussi commencé à changer. Les puissances industrielles ont commencé à se remettre après la guerre. La décolonisation est arrivée. Il s'agit d'un phénomène hésitant, difficile et brutal mais grâce auquel l’ONU est devenue en quelques sortes la voix des pays du Sud. Et dans les années 60, c'étaient des puissances significatives. Le mouvement des non-alignés, la CNUCED, est apparu. Ce mouvement est devenu une partie cruciale de l’ONU et a commencé à proposer de nouvelles politiques pour un nouvel ordre économique international qui répondraient aux besoins des gens oppressés et colonisés.
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Il y a eu des efforts de créer ce qu’on appelait un ordre de la nouvelle information qui fournirait aux pays du Sud, ceux du tiers monde, un certain degré de participation dans le système d’information des médias internationaux. Tous cela a été très durement endommagé par les Etats-Unis et ses alliés occidentaux.
Ce changement était très saisissant. Vous pouvez le voir, comme je l'ai déjà fait remarquer, dans l’usage du droit de véto. Les Etats-Unis ne l'utilisaient pas jusque dans les années 1970. Leur premier veto était en soutien au régime raciste de la Rhodésie du Sud que les Nations Unies essayaient de sanctionner. Depuis, les Etats-Unis ont continué à poser leur veto, et ce, jusqu’à présent. Ils sont devenus les champions du veto contre les résolutions du Conseil de sécurité parce que le monde se diversifiait.
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Maintenant, depuis les deux dernières années, la Russie a elle aussi commencé à opposer son veto contre les résolutions. Et la Chine la rejoint souvent également. Mais globalement, les Nations Unies fonctionnent mieux aujourd'hui qu'à leurs débuts. Pas parfaitement, puisque l’organisation reste entre les mains de cinq Etats qui exercent le droit de veto, dont les Etats-Unis et dans une certaine mesure la Russie. Le Conseil de Sécurité doit être élargi et comprendre le Brésil, l’Inde, le Japon ainsi que d’autres pays. Le rôle de l’Assemblée générale doit également être élargi car elle est plus représentative de nos jours qu'auparavant.
Enfin, les Nations Unies en général devraient être plus indépendantes des volontés des grandes puissances. Mais c’est une voie difficile à suivre. Par exemple, la Chine s’oppose fermement à l’extension du Conseil de sécurité.