Universitaire spécialiste de l'Afrique, Bernard Lugan est l'auteur de nombreux livres. Il anime un blog consacré à l'actualité et à la géopolitique de l'Afrique. Il dirige la revue par internet L'Afrique réelle www.bernard-lugan.com

La crise algérienne : la difficile mais nécessaire réforme

La crise algérienne : la difficile mais nécessaire réforme Source: Reuters
Un rassemblement à Algiers
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L’historien et spécialiste de l’Afrique Bernard Lugan poursuit, dans son article pour RT France, l’explication de la crise en Algérie.

Nous avons vu dans un précédent article que l'Algérie pourrait cesser d'exporter des hydrocarbures vers 2030. Cette échéance serait apocalyptique pour un pays qui vit à 97 % de l'exportation de son pétrole et de son gaz et qui devra alors nourrir 50 millions d'habitants.

Afin de préserver la paix sociale, le gouvernement maintient des tarifs artificiellement bas

A défaut de relancer sa production d'hydrocarbures, pour l'Algérie, l'urgence est de la faire durer le plus longtemps possible, donc d'en rationaliser l'usage. Or, afin de préserver la paix sociale, le gouvernement maintient des tarifs artificiellement bas. Ce choix politique conduit à consacrer une proportion considérable et croissante des ressources en pétrole et en gaz à la consommation des ménages et non à l'exportation génératrice de devises ou à une transformation sur place qui allégerait la facture des importations.

La gravité de la crise algérienne peut-être résumée à travers le rappel de quelques données de base :

- Le pétrole et le gaz assurent bon an mal an entre 95 % et 97 % des exportations et environ 75 % des recettes budgétaires de l'Algérie.

- En un an, le prix du baril de pétrole est passé de 125 $ à +/- 40 $ ; or, selon le FMI
(mai 2015), dans l'état actuel de l'économie de l'Algérie, le prix d'équilibre budgétaire de son pétrole devrait être de 111 dollars le baril.

- Après le choc des années 1986, les autorités algériennes avaient constitué des réserves avec le Fonds de régulation des recettes(FRR). Or, ce FRR s'épuise chaque jour qui passe puisque l'Algérie ne produisant rien, tout y est importé. Le gouvernement puise donc dans cette réserve afin de continuer à nourrir, habiller, soigner et équiper sa population. Or, le FRR qui n'est plus alimenté depuis plusieurs mois en raison de la baisse de la fiscalité pétrolière ne pourra, au mieux, couvrir le déficit commercial de l'État que jusqu'en 2017. L'Algérie sera alors en faillite avec toutes les conséquences sociales et politiques qui en découleront.

- En dehors des hydrocarbures, l'Algérie ne fabrique rien et ses fleurons non pétroliers ne comptent pas dans l'économie nationale. Ainsi, en 2014, les 40 millions de dollars rapportés par les exportations de dattes ont été «gommés» par les seules importations de mayonnaise et de moutarde[1]...

- Avec 70 milliards de dollars par an, les subventions (essence, électricité, logement, transports, produits alimentaires de base etc.) totalisent entre 25 % et 30 % du PIB. Pour mémoire, le litre de gazole est vendu à environ 0,10 euro le litre.

Gaspillage et incohérence caractérisent l'économie algérienne

- Les salaires de la pléthorique fonction publique ont été augmentés en 2011-2012, au moment du pic pétrolier afin de calmer la grogne et empêcher la contagion des «printemps arabes». Avec un baril à moins de 50 dollars, ce fardeau n'est plus supportable.

- Les rentiers de l'indépendance qui forment le noyau dur du régime prélèvent, à travers le ministère des Anciens combattants, 6 % du budget de l'État algérien...soit plus que les budgets des ministères de l'Agriculture (5 %) et de la Justice (2 %)...

- Gaspillage et incohérence caractérisent l'économie algérienne[2]. Un exemple : des investissements colossaux ont été faits à Arzew pour augmenter les capacités de liquéfaction du gaz...alors que la baisse de production ne permet même plus aux anciennes installations de fonctionner à plein.

- Les derniers chiffres communiqués par la Banque d'Algérie sont alarmants. Sur le seul mois de mai 2015, le déficit commercial du pays s'est chiffré à 1,28 milliard de dollars alors que, un an plus tôt, au mois de mai 2014 l'excédent était de 64 millions de dollars. Comme sur la même période, les exportations ont baissé de 5,6 à 3,25 milliards de dollars, les revenus de l'État ont chuté de 42,25 % (Banque d'Algérie, 23 juin 2015). 

Face au double phénomène de baisse de la production et de baisse des cours, l'État-providence est condamné à prendre des mesures afin de faire des économies : suspension des recrutements de fonctionnaires, abandon de projets sociaux indispensables, de projets dans le domaine des transports comme de nouvelles lignes de tramway ou la réfection de voies ferrées.

L'Algérie va donc devoir procéder à des choix économiquement vitaux, mais politiquement explosifs

Il est également condamné à rétablir les licences d'importation afin de limiter les achats à l'étranger. Le coût des produits importés n'est en effet plus supportable ; d'autant que, même les productions traditionnelles (dattes, oranges, semoule pour le couscous) étant insuffisantes, leur volume d'importation est toujours en augmentation. Pour ce qui est des biens de consommation, la facture est ainsi passée de 10 milliards de dollars en 2000 à une prévision de plus de 65 milliards de dollars pour 2015. Quant aux subventions et aux transferts sociaux, ils atteignent 70 milliards de dollars par an, soit environ 30 % du PIB.

L'Algérie va donc devoir procéder à des choix économiquement vitaux, mais politiquement explosifs. Autrement, le matelas d'environ 80 milliards de dollars de son fonds de régulation et ses réserves de change qui étaient d'un peu plus de 180 milliards de dollars au mois de janvier 2015, soit au total environ 220 milliards de dollars, ne lui permettront de faire face que durant deux années. Les dépenses inscrites au budget 2015 sont en effet de 100 milliards de dollars.

[1] Amara Benyounès, ministre du Commerce, Le Soir d'Algérie, 18 juin 2015.

[2] Sans parler de la corruption et des détournements de fonds publics comme l'a démontré le scandale de l'Autoroute trans-algérienne.

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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