L’historien et spécialiste de l’Afrique Bernard Lugan explique pour RT France pourquoi la production d’hydrocarbures en Algérie est en crise.
Jusqu'en 2014, la baisse de la production pétrolière algérienne fut gardée secrète. Cette dissimulation fut d'autant plus facile que le phénomène était alors compensé par une spectaculaire hausse des cours du baril. Aujourd'hui, le choc est double avec à la fois, baisse des prix et épuisement des nappes.
Le 28 janvier 2013, interrogé par Maghreb Emergent, M. Tewfik Hasni, ancien vice-président de la Sonatrach (Société nationale pour la recherche, la production, le transport, la transformation et la commercialisation des hydrocarbures) et ancien PDG de NEAL, la filiale commune de Sonelgaz (Société nationale de l'électricité et du gaz) et de la Sonatrach, a déclaré :
«Tous les experts sérieux savent que nos réserves, y compris le gaz de schiste, garantissent moins de vingt ans de consommation au rythme actuel de leur exploitation [...] Il faut intégrer tous les paramètres. Si on tient compte par exemple de l'évolution de la consommation domestique au rythme actuel, pour ne prendre que ce seul exemple, Sonelgaz aura besoin de 85 milliards de mètres cubes de gaz en 2030 pour la seule génération électrique. Il ne restera plus rien pour l'exportation.»
Un mois plus tard, le 24 février 2013, M. Abdelhamid Zerguine, PDG de la Sonatrach affirma à son tour que l'Algérie aura épuisé ses réserves de pétrole et de gaz conventionnel entre 2020 et 2025 en raison d'un double phénomène de baisse de production ajoutée à l'augmentation de la consommation intérieure. Cette dernière passera en effet de 35 milliards de mètres cubes gazeux en 2012 à 70 milliards en 2017, notamment en raison du doublement de la production d'électricité par les turbines à gaz ou au diesel.
L'Algérie ayant connu son pic pétrolier entre 2005 et 2007 avec 2 millions de barils/jour, la courbe décroissante avait commencé dès 2008
Il fallut cependant attendre le 1er juin 2014, et une déclaration fracassante faite par le Premier ministre algérien, M. Abdelmalek Sellal devant l'APN (Assemblée populaire nationale) pour que le pays prenne conscience du drame qui se nouait : «D'ici 2030, l'Algérie ne sera plus en mesure d'exporter les hydrocarbures, sinon en petites quantités seulement [...]. D'ici 2030, nos réserves couvriront nos besoins internes seulement.»
Le Premier ministre confirmait ainsi les informations jusque-là demeurées confidentielles. Toutes soulignaient que l'Algérie ayant connu son pic pétrolier entre 2005 et 2007 avec 2 millions de barils/jour, la courbe décroissante avait commencé dès 2008. Or, comme il a été dit au début de cet article, jusqu'en 2014, cette baisse de production fut voilée par l'envolée des prix.
Pour ce qui est du gaz, la tendance est en apparence meilleure que pour le pétrole puisque les chiffres officiels annoncent des réserves de 4 600 milliards de mètres cubes prouvés. Cependant, là encore, il importe d'examiner ces chiffres plus en détail. En effet, comme la production moyenne de gaz est de 140 milliards de mètres cubes par an, dont 40 % réinjectés pour les besoins de la production, le pays ne dispose en réalité que de 86 milliards de mètres cubes de production commercialisée. A un tel volume, dans un demi-siècle, la production cessera.
Or, ces projections sont établies à partir des chiffres officiels qui sont contestés par certains experts indépendants pour lesquels les réserves disponibles ne seraient pas de 4 600 milliards de mètres cubes, mais de 2 200 à 2 500 milliards de mètres cubes seulement. Selon Mohamed Saïd Beghoul, expert en énergie et interrogé par Algeria Watch, sans nouvelles découvertes, la production gazière algérienne cessera dans un peu plus de 20 ans, soit vers 2035.
Gazprom est en mesure de fournir à l'Europe le gaz russe entre 10 à 15% moins cher que celui produit par l'Algérie
Pour le gaz, le pic de 90 milliards de mètres cubes fut atteint au milieu des années 2000, puis la production déclina. Or, parallèlement à la baisse de la production, la consommation interne ayant augmenté de 7 % par an, l'Algérie va donc avoir de moins en moins de quantités à mettre sur le marché et ses recettes extérieures vont donc baisser. De plus, Gazprom est en mesure de fournir à l'Europe le gaz russe entre 10 à 15 % moins cher que celui produit par l'Algérie. Et enfin, depuis 2014, devenu autonome grâce à ses gisements non conventionnels, le client américain qui représentait entre 30 et 35 % des recettes de la Sonatrach a disparu...
Le gaz de schiste pourrait-il alors être le recours ? L'Algérie disposerait d'énormes réserves en ce domaine mais la rentabilité de la production est incertaine. Le gaz de schiste américain était en effet à 3 dollars le MBTu (Million British Thermal Unit) en janvier 2015, un cours particulièrement bas qui remontera automatiquement tôt ou tard, mais qui ne permettra pas à l'Algérie de tirer son épingle du jeu avec un coût de production supérieur à 15 dollars le MBTu alors que le seuil de rentabilité est évalué à 10 dollars le MBTu. De plus, pour produire un milliard de mètres cubes gazeux, il faut un million de mètres cubes d'eau douce. Or l'Algérie manque cruellement d'eau...
Les prévisions les plus optimistes tablent sur une production annuelle de 20 milliards de mètres cubes de gaz de schiste
Le 24 janvier 2015, à Alger lors du Forum sur le développement énergétique, M. Abdelmadjid Attar, ancien Pdg de la Sonatrach a déclaré qu'à partir de 2019, l'Algérie allait devoir diminuer ses exportations d'hydrocarbures, le gaz de schiste, s'il était extrait, ne changerait pas la situation car il ne viendrait qu'en appoint pour simplement satisfaire les besoins du marché intérieur. En effet, alors que la production annuelle moyenne actuelle est d'environ 80 milliards de mètres cubes, dans dix ans, la consommation intérieure sera de 50 milliards de mètres cubes. Or, les prévisions les plus optimistes tablent sur une production annuelle de 20 milliards de mètres cubes de gaz de schiste.
Officiellement, tout va cependant bien. Le 21 janvier 2015, soit huit mois après sa déclaration fracassante du 1er juin 2014, le Premier ministre, M. Abdelmalek Sellal, déclara ainsi que grâce à de nouvelles découvertes, l'Algérie allait pouvoir produire du pétrole jusqu'en 2037 au lieu de 2025... Un maigre ballon d'oxygène qui ne remet pas en cause la tendance à la baisse.
Dans le plus style de la langue de bois, le ministre de l'Energie et des Mines, M. Youcef Yousfi expliqua à son tour que la baisse actuelle ne serait due qu'au déclin naturel de vieux gisements en production depuis les années 1960 et que la production pétrolière allait bientôt recommencer à croître. Quant au gaz, il parla d'une augmentation de la production de 40 % d'ici à 2020 et d'un doublement d'ici à 2030. De plus, toujours selon le ministre, l'Algérie possède d'immenses bassins sédimentaires non explorés dans lesquels des découvertes ne manqueront pas de se faire.
Cet optimisme gouvernemental a, depuis, été tempéré par la plupart des spécialistes et cela, pour cinq principales raisons :
1° Si de nouvelles découvertes avaient lieu aujourd'hui, elles ne seraient pas productives avant 10 ou 15 ans.
2° La plupart des «nouvelles» découvertes annoncées par le gouvernement ne concernent en réalité que des anciens gisements déjà connus qui ne sont pas exploitables avec la technologie actuelle.
3° Certaines découvertes ont effectivement été faites, mais elles sont mineures et donc non susceptibles de renverser la tendance ; d'autant plus que leur mise en production ne serait pas financièrement compétitive. Pour parler clair, la production ne trouverait pas de débouché en raison de son coût.
4° Les chiffres concernant les potentialités pétrolières de l'Algérie sont faux parce que les autorités politiques confondent réserves et ressources. Or, seulement 30 % environ des ressources peuvent être extraits.
5° Si nous nous basons sur les chiffres officiels qui donnent des réserves exploitables de 12 milliards de barils, et comme la production est d'un peu plus d'un million de barils jour, le calcul est vite fait : dans 30 ans, soit en 2045, le pétrole algérien cessera de couler. Or, les chiffres concernant les réserves datent de 2000 et comme, depuis, le pays a produit du pétrole sans limites, ces dernières ont spectaculairement baissé, ce qui fait que l'Algérie pourrait cesser de produire du pétrole bien avant 2045.
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