Journaliste, Romain Migus est le fondateur du site francophone d’information sur l’Amérique Latine, www.les2rives.info.

Juan Guaido reçu à l'Elysée : quel intérêt pour la France ?

Juan Guaido reçu à l'Elysée : quel intérêt pour la France ?© DENIS BALIBOUSE Source: Reuters
Juan Guaido, lors du Forum économique de Davos le 23 janvier 2020 (image d'illustration).
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Le sociologue Romain Migus revient sur la venue de l'autoproclamé président vénézuélien Juan Guaido en France. Il s'interroge : en quoi recevoir un tel personnage contribue-t-il au rayonnement politique et culturel de la France ?

A la suite du Premier ministre du Royaume-Uni, Boris Johnson, des eurodéputés de l'ultradroite espagnole VOX, et du chancelier autrichien conservateur Sebastian Kurz, le président Emmanuel Macron et la diplomatie française accueillent Juan Guaido. La question qui nous interpelle en premier lieu est de savoir en quoi une telle démarche défend les intérêts de la France et des Français, ou participe de l’influence de notre pays à l’étranger. Suite à l'autoproclamation de Guaido, les entreprises françaises ont été sanctionnées et ne peuvent plus commercer avec le Venezuela (à la différence des entreprises pétrolières des USA, exemptées de sanctions par leur gouvernement). Pourquoi donc s'enfermer dans un jusqu'au-boutisme idéologique qui pénalise nos industries ?

Des scandales de corruption ont éclaboussé Juan Guaido et son entourage, comme l'ont révélé le très droitier journal PanAm Post (le 18 juin 2019), le représentant de Guaido en Colombie en personne, Huberto Calderon Berti (le 30 novembre 2019) ou encore plus récemment l'agence de presse Reuters (le 22 janvier 2020).

N'oublions pas non plus les liens avérés qui unissent Juan Guaido et ses proches au cartel narco-paramilitaire colombien Los Rastrojos. En quoi recevoir un tel personnage contribue-t-il au rayonnement politique et culturel de la France ? Juan Guaido et son entourage cherchent, de manière réitérée, à provoquer un conflit armé contre le Venezuela dans le but de précipiter la chute du président Nicolas Maduro. La demande de recours au Traité interaméricain d'assistance réciproque est un des nombreux exemples de leur volonté d'embraser la région. Doit-on rappeler à notre président que, depuis le 17 juillet 1980, la République française et celle du Venezuela partagent une frontière commune fixée par le méridien 62 degrés 48 minutes 50 secondes ? Pourquoi donc dérouler le tapis rouge à une personne qui se targue d'amener le feu et le sang aux portes de notre pays ? 

Puisque Emmanuel Macron semble vouloir, ces jours-ci, singer son prédécesseur Jacques Chirac, rappelons que ce dernier avait eu le courage de se démarquer de la politique étrangère étatsunienne. La voix d'une France indépendante aurait pu contribuer au dialogue au Venezuela et à la recherche de résolution des conflits politiques. Au lieu de cela, la France persiste à soutenir de manière intransigeante la frange la plus radicale de l’opposition, celle qui se refuse à tout dialogue, et à toutes nouvelles élections. Si pour Juan Guaido et son gang, ce fanatisme politique est fort bien rémunéré, pas sûr en revanche qu'une telle politique étrangère grandisse notre pays sur la scène internationale.

La «marque» Guaido ne fait plus recette chez les antichavistes au Vénézuela

Au-delà des errements de notre diplomatie, la tournée de Juan Guaido en Europe a surtout été motivée par les évolutions politiques au Venezuela. Le 5 janvier 2020, un groupe de députés frondeurs de l’opposition ont ravi le perchoir de l’Assemblée nationale à Juan Guaido. Mais c’est surtout au sein de ses partisans qu’il a perdu le soutien dont il jouissait encore un an auparavant. Lassés des promesses non tenues, écœurés par la corruption de son entourage, de nombreux Vénézuéliens antichavistes se sont détournés de la «marque» Guaido.

L’album souvenir concocté lors de ce voyage a pour but de montrer à ses partisans qu’il reste le leader incontesté pour les pays qui soutiennent la tentative de putsch institutionnel. Pas sûr que cela soit suffisant pour redorer son blason au sein de la population antichaviste.

Qui plus est, le bilan de cette tournée est absolument creux. Hormis les déclarations de soutien de principe, aucun accord concret n’a émergé de ces multiples rencontres. Lors de sa rencontre avec Boris Johnson, Juan Guaido a-t-il pu récupérer les 14 tonnes d’or vénézuélien séquestrées dans les coffres de la Bank of England depuis le 9 novembre 2018 ? Pourquoi donc le flamboyant politicien vénézuélien n’a-t-il pas profité de son séjour à Davos pour convaincre les dirigeants des nombreuses institutions financières présentes de rendre les 5,47 milliards de dollars volés à la République bolivarienne du Venezuela ? Mis à part les sourires de rigueur, aucun dirigeant visité n’a modifié la position de son pays après le passage de Guaido.

Si le blocus criminel contre le Venezuela se maintient, Washington a tout de même légèrement infléchi certaines sanctions qu'ils maintiennent depuis décembre 2014


Pendant ce temps-là, les Etats-Unis semblent prendre conscience que l’opération Guaido a échoué malgré le putsch institutionnel manqué, et les cinq tentatives de coups militaires qui ont émaillé l’année 2019. Ils font donc évoluer leur stratégie en tenant compte de la réalité de terrain, et des nombreux soutiens dont dispose le président Maduro tant au Venezuela que sur l’échiquier international.

La politique américaine se réoriente au Vénézuela

Si le blocus criminel contre le Venezuela se maintient, Washington a tout de même légèrement infléchi certaines sanctions qu'ils maintiennent depuis décembre 2014. Des organismes internationaux sont désormais autorisés par le département du Trésor à établir des transactions avec la Banque centrale du Venezuela (BCV). C'est une évolution par rapport à la politique d’embargo total promu par l'ancien conseiller à la sécurité, John Bolton.

D’autres organismes liés à l'ONU comme l’Unicef, ONU-Habitat, le Haut-commissariat aux Réfugiés, l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, le Programme alimentaire mondial, et ceux liés à la Croix-Rouge et au Croissant-Rouge pourront désormais réaliser des transactions avec la Banque centrale du Venezuela.


Certaines institutions financières, et ce n'est pas anodin, sont aussi autorisées : le FMI, la Banque mondiale, la Banque interaméricaine de développement, la Corporación Andina de Fomento. Après avoir délibérément saccagé l’économie du pays, comme l’a révélé récemment le sénateur républicain de Virginie Richard Black, les Etats-Unis chercheraient-ils à pousser le Venezuela dans les griffes d’institution financières qu’ils contrôlent ?

Cette mesure intervient après que le Venezuela a attribué des cargaisons de pétrole à ses partenaires au sein de joint-ventures, pour qu’ils commercialisent le brut à destination de l’Asie et de l’Afrique. Cela concerne avant tout les entreprises étatsuniennes exemptées de sanctions (Chevron, Haliburton, Schlumberger, Baker Hughes-General Electric et Weatherford International) par leur gouvernement. Le produit de la vente ne tomberait pas sous le coup des sanctions si celui-ci est utilisé pour rembourser les dettes que Pdvsa a contractées auprès de ses associés.

Au-delà des gesticulations de Juan Guaido sur le Vieux continent, un pragmatisme commercial, cher au président Trump, semble se dessiner pour l’instant outre-Atlantique sans pour autant diminuer la cruauté de la guerre livrée contre la Révolution bolivarienne sur les fronts économique, militaire, institutionnel, diplomatique et médiatique. Le futur du Venezuela se détermine plus que jamais depuis le Venezuela. A la lumière de ces évolutions politiques et stratégiques, la position adoptée ces jours-ci par la France relève quasiment du mystère scientifique…

Lire aussi : A Paris, Guaido réitère son appel à une «pression internationale» sur la «dictature» vénézuélienne

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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