Par Philippe Migault Tous les articles de cet auteur
Philippe Migault est directeur du Centre européen d'analyses stratégiques, analyste, enseignant, spécialiste des questions stratégiques.

Rapprochement franco-russe : Wait and see

Rapprochement franco-russe : Wait and see© MAXIM SHEMETOV Source: Reuters
Jean-Yves le Drian et Sergueï Lavrov à Moscou le 8 septembre 2017
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Si l’heure est au réchauffement entre Paris et Moscou après la rencontre au format 2+2, il faudra juger sur les actes, et non sur les paroles, estime Philippe Migault.

Le sommet 2+2 franco-russe qui s’est tenu hier à Moscou, réunissant les ministres des Affaires étrangères et de la Défense français et russes, constitue une vraie bouffée d’air frais. Entre les deux pays, les tensions s'accumulent depuis six ans. Au point qu’il n’est plus possible, en France, de défendre la nécessité d’un rapprochement avec la Russie sans se faire traiter de collabo ou d’agent du Kremlin par de courageux internautes anonymes. Cette reprise du dialogue permettra peut-être, enfin, de calmer les passions et d’échanger avec assertivité. 

Florence Parly, Jean-Yves Le Drian, Sergueï Lavrov et Sergueï Choïgou ont montré la voie en la matière. S’il est évident que les relations franco-russes connaissent un certain nombre de points d’achoppement évoqués en conférence de presse − Ukraine, Syrie… – et que le dialogue est «franc et exigeant» entre les deux pays, traduction en langage diplomatique du terme «musclé», les quatre ministres se sont félicités de la qualité des échanges. A cette aune, la voie semble donc ouverte au rétablissement d’une coopération constructive entre deux pays qui comptent bien plus de facteurs de proximité que de causes de conflit.

Jean-Yves Le Drian l’a rappelé : la Russie fait partie de l’Europe par la géographie, l’histoire et la culture. Elle doit demeurer européenne. Ce qui revient à dire en filigrane qu’il faut cesser de la jeter dans les bras de la Chine, à force de vouloir la marginaliser au sein de son ensemble civilisationnel. Les deux nations partagent une histoire commune, ont souffert et combattu côte à côte. Elles font objectivement face à la même menace, celle de l’islamisme armé. Il est donc de leur intérêt de restaurer une coopération bilatérale forte en matière de lutte contre le terrorisme. De leur intérêt, pour reprendre les propos de M. Le Drian, de «réduire la défiance entre la Russie et l’Europe qui devraient être partenaires (…) nos divisions (nuisant) à nos intérêts réciproques.» Français et Russes ont par ailleurs une même perception du dossier du nucléaire iranien.

Sauf que, comme d’habitude, le diable se cache dans les détails et qu’entre les paroles et les actes, une foule d’obstacles se dressent. Certains ont été évoqués en conférence de presse, explicitement ou implicitement. Mais il en est d’autres dont le grand public n’a pas nécessairement conscience.

Ecoutons M. Le Drian. Il est réjouissant de l’entendre déclarer que la Russie et la France doivent être en mesure d’agir en tant que «puissances souveraines actrices de leur propre sécurité.» Le terme «souverain» désignant le camp du mal, des réactionnaires et des Français bas de plafond aux yeux des atlantistes et autres tenants d’une UE sans cesse plus fédérale, on ne peut que saluer ce courage sémantique.

Mais une autre déclaration, de Florence Parly, a aussitôt mis un sérieux bémol à ce qui pouvait sembler une velléité d’indépendance. Si l’Elysée et le Kremlin souhaitent coopérer sur certains dossiers, ceux-ci concernent «bien d’autres acteurs que la Russie et que la France», a-t-elle souligné.Paris conduira donc avec prudence sa collaboration et son rapprochement avec Moscou, en concertation avec ses partenaires. C’est-à-dire avec l’OTAN et l’Union européenne, deux organisations dont on connaît la volonté de dialogue constructif avec la Russie… Qui la France privilégiera-t-elle ? Ses amis russes ou bien Bruxelles et Washington ? Poser la question…

Madame Parly et Monsieur Le Drian ont par ailleurs ouvertement mis le doigt en conférence de presse sur les dossiers qui fâchent. Récentes tensions autour d’une rencontre «inamicale» dans l’espace entre un satellite russe et un satellite de communication français, problématiques de cyberdéfense, avion MH17 abattu… Le dialogue est bien «franc et exigeant». Mais était-il nécessaire d’en faire démonstration publiquement, à moins de vouloir donner des garanties d’orthodoxie à une presse française dont on connaît les tendances très peu russophiles ?

Enfin, s’il est bon de se réjouir de ces retrouvailles entre ministres de la Défense et des Affaires étrangères français et russes, format 2+2 qui ne s’était pas réuni depuis une demi-douzaine d’années, il ne faut pas oublier qu’une première tentative de rapprochement a déjà eu lieu fin 2015, dans la foulée des attentats parisiens du 13 novembre.

A l’époque, les chefs d’état-major des armées françaises et russes, Pierre de Villiers et Valeri Guerassimov se rencontrent à Moscou. L’ambiance est excellente. Les Russes signalent déjà à leur groupe aéronaval naviguant en Méditerranée orientale que le Charles de Gaulle va venir les rejoindre et qu’ils vont opérer de concert contre l’Etat islamique. Jean-Yves Le Drian se rend à Moscou pour rencontrer Sergueï Choïgou. Sauf que rien ne se passe. Chacun agit de son côté. Et la guerre froide entre Paris et Moscou se poursuit.

Pourquoi en irait-il autrement aujourd’hui ? Qu’est-ce qui a changé ? Le Président de la République française ? Macron est-il moins atlantiste, plus gaullien que Hollande ?

Il est certain que le chef de l’Etat aimerait en tout cas qu’on le croie. On connaît son souci de la posture jupitérienne.

France et Russie sont condamnées à s’entendre, dans l’intérêt de l’Europe, de son autonomie stratégique. Mais il n’y a pas de sens de l’histoire, pas de logique imparable, a fortiori quand ceux qui prétendent défendre l’Europe servent d’autres intérêts.

On a noté, aussi, son discours aux Ambassadeurs, fin août dernier, à l’occasion duquel il a plaidé pour un rapprochement avec la Russie, fustigeant les résistances d’un «Etat profond» français, hostile à cette politique, ce qui lui a valu les foudres de la bien-pensance universitaire et journalistique. Mais quelle mesure compte-t-il prendre pour contraindre cet «Etat profond» néoconservateur, mis en place par Nicolas Sarkozy ? Compte-t-il écarter les gêneurs ? Ce serait un signal fort mais on doute qu’il survienne.

Rappelons qu’avant d’être ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian était ministre de la Défense. Son directeur de cabinet s’appelait Cédric Lewandowski. Un frère du ministre en maçonnerie, homme de l’ombre et des réseaux, autoritaire, imposant ses vues, hostile au rapprochement avec la Russie. Suivant des sources concordantes, française et russe, c’est lui qui serait à l’origine de l’échec de la visite de Jean-Yves Le Drian à Moscou en décembre 2015 dont rien, absolument rien, n’est sorti.

Or qui est le secrétaire général du quai d’Orsay aujourd’hui, chargé de mettre en musique le rapprochement avec la Russie ? Nicolas Roche. L’un des leaders de la sensibilité neocon en France, récemment mis en cause par Marianne. Celui-ci va-t-il avaler la couleuvre et œuvrer suivant la direction souhaitée par la Présidence de la République et – officiellement – son ministre ? Va-t-il demander au CAPS de taire ses états d’âme ? On peut en douter.

Il en va de même au ministère de la Défense. Martin Briens, directeur du cabinet de Florence Parly a «fait pratiquement toute sa carrière au Quai d'Orsay où il a été notamment directeur adjoint de cabinet de Laurent Fabius au ministère des Affaires étrangères entre juillet 2013 et février 2016. Après le départ du ministère de Laurent Fabius (…) il aurait rejoint, selon la presse, la DGSE en tant que directeur de la stratégie», soulignent nos confrères de La Tribune. Bras droit de Laurent Fabius, qui s’est signalé par une intransigeance plus que véhémente vis-à-vis de la Russie, puis directeur de la stratégie de la DGSE : Martin Briens est sans doute tout indiqué pour conduire un dialogue «franc et exigeant» avec ses homologues russes, mais n’est sûrement pas le profil le plus indiqué pour tisser des liens de confiance avec eux.

De même, on voit mal la DGRIS – et les chercheurs avec lesquels elle collabore – obéir à un «silence dans les rangs !» de Florence Parly, femme de caractère mais pas de convictions.

Alors ? Il faudra juger sur les actes, pas sur la com’. France et Russie sont condamnées à s’entendre, dans l’intérêt de l’Europe, de son autonomie stratégique. Mais il n’y a pas de sens de l’histoire, pas de logique imparable, a fortiori quand ceux qui prétendent défendre l’Europe servent d’autres intérêts. N’ayons pas trop d’illusions. Wait and see…

Lire aussi : «Guerre des étoiles» : à Moscou, ministres français et russes évoquent la militarisation de l'espace

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