Suite à l'annonce d'Emmanuel Macron de créer une armée de l'air et de l'espace, le spécialiste des questions stratégiques Philippe Migault revient sur ce projet qui permettrait à la France de combler son retard face aux autres grandes puissances.
Jouer dans la cour des grands : en annonçant, le 13 juillet dernier, la création «à terme (d’une) armée de l’air et de l’espace», Emmanuel Macron a sans aucun doute voulu épater. Cette militarisation de l’espace, assumée, lui donne cette carrure de chef de guerre, assumant les décisions les plus difficiles pour le bien de notre pays, qu’il affectionne. Pour autant, il ne fait pas réellement œuvre novatrice.
Puissances atomiques les plus modernes, Russie, Etats-Unis et France sont conscients du caractère stratégique, incontournable, des moyens spatiaux dans le cadre de la dissuasion.
D’une part parce qu’il ne fait que s’inscrire dans le cadre d’un mouvement engagé par toutes les grandes puissances nucléaires et spatiales. En août 2015, au terme de quatre années de tâtonnements et d’oppositions internes, la Russie a donné naissance au VKS (Forces aérospatiales) en fusionnant ses forces de défense aérospatiale (VVKO) et son armée de l’air (VVS). Le 18 juin 2018, Donald Trump ordonnait à son tour la création d’une «force spatiale» américaine. Il était donc logique que nous en fassions autant. Puissances atomiques les plus modernes, Russie, Etats-Unis et France sont conscients du caractère stratégique, incontournable, des moyens spatiaux dans le cadre de la dissuasion. Satellites d’observation, radars, optique, optique-IR (infrarouge) pour la détection, satellites de guidage, de communications : qu’il s’agisse de la détection de la menace, de la frappe - réalisable sans moyens satellitaires toutefois - ou de sa validation, l’espace est indispensable aux Composantes nucléaires aéroportées (CAN) mises en œuvre par les armées de l’air, mais aussi aux autres composantes des forces stratégiques et aux forces antimissiles balistiques qui leur sont associées, même si la France, hélas, est de ce point de vue à la traîne malgré ses capacités technologiques. Stratégiques, les dispositifs militaires spatiaux constituent, en conséquence, des cibles privilégiées pour les adversaires potentiels. Brouillage, hacking, «aveuglement», destruction par effets cinétiques ou thermiques, etc. : l’éventail des menaces est vaste. Il implique des contremesures dont une partie peuvent être mises en œuvre depuis le sol ou les couches basses de l’atmosphère (armes ASAT, lasers…), tandis que d’autres peuvent être placées en orbite. Mais quelle que soit la zone de déploiement de ces moyens, la logique est de les confier à un même opérateur, qui les coordonnerait. Et les armées de l’air sont logiquement les mieux placées.
Macron fait aujourd’hui du Trump, rien de surprenant.
D’autre part parce qu’il y a longtemps, bien longtemps, que la France participe à la militarisation de l’espace tout en la condamnant. L’avantage du futur commandement dédié, qui en toute logique sera basé à Toulouse, capitale de l’aéronautique et du spatial français, est qu’il mettra donc un terme à une hypocrisie qui ne trompait que les néophytes. De ce point de vue, Emmanuel Macron s’inscrit dans la ligne décomplexée d’un Nicolas Sarkozy. En toute logique aussi. C’est sous ce dernier que la France a choisi d’infléchir sa politique de défense pour devenir le meilleur allié des Etats-Unis et un pilier de l’OTAN. Sous Sarkozy qu'ont été mis en place les décideurs néoconservateurs qui trustent aujourd’hui la plupart des postes de direction majeurs du ministère de la Défense et du Quai d’Orsay. Macron fait aujourd’hui du Trump, rien de surprenant.
Ni de critiquable, d’ailleurs. Pourvu que les moyens suivent et que l’on ne déshabille pas Paul pour habiller Jacques. Les Américains affichent leurs ambitions et y mettent le prix. Si nous voulons les imiter, il faudra aussi y consentir. Emmanuel Macron, qui pense déjà aux présidentielles de 2022, a dans la foulée du mouvement des Gilets jaunes renoncé temporairement à sa logique libérale en cessant de baisser les dépenses publiques. C’est à présent à nos aviateurs de profiter rapidement de la circonstance pour sanctuariser au plus vite les budgets qui leur seront nécessaires. Avant qu’on les en prive à l’approche du scrutin.
Lire aussi : Rafale F4 : la France entend rester au sommet de l’art
Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.