Terrorisme : le Maroc, sentinelle de l'Europe, par Pierre-Alexandre Bouclay

Terrorisme : le Maroc, sentinelle de l'Europe, par Pierre-Alexandre Bouclay© Alain Jocard Source: AFP
La garde royale marocaine passe devant son drapeau national à l'Institut de Formation aux Métiers des Energies Renouvelables et de l'Efficacité Energétique (IFMEREE) dans la ville de Tanger, le 20 septembre 2015 (image d'illustration).
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Pour le grand reporter et écrivain Pierre-Alexandre Bouclay, le Maroc, malgré tous ses problèmes, est à la pointe de la lutte antiterroriste, et l'Europe est désespérément en besoin de partenaires solides en Afrique du Nord.

Au Maroc, la troisième audience des assassins présumés de deux jeunes femmes d’origine scandinaves, violées, égorgées et décapitées dans le sud du pays en décembre 2018, a eu lieu le 30 mai. Après une interruption, le procès reprendra le 27 juin, au tribunal de Salé, près de Rabat. Vingt-quatre prévenus ayant prêté allégeance au groupe Etat islamique (EI) y seront jugés pour «apologie du terrorisme», «atteinte à la vie de personnes avec préméditation» ou «constitution de bande terroriste». Les principaux accusés risquent la peine de mort.

Le terrorisme islamiste a une longue histoire, en Afrique du Nord, notamment à cause de la guerre civile qui a déchiré l'Algérie dans les années 1990. Depuis 2003, l'éclatement de l'Irak, de la Syrie et de la Libye a favorisé l'émergence et la circulation d'une myriade de groupes terroristes à travers le Proche-Orient, une partie de l'Afrique noire, mais aussi le Machrek et le Maghreb. La vague des printemps arabes, notamment en Tunisie, a renforcé la présence et la circulation de groupes islamistes dans la région.

Le royaume développe une stratégie mêlant répression, intégration sociale et lutte contre l'extrémisme religieux

Dans ce contexte chaotique, et malgré le drame des deux jeunes femmes sauvagement assassinées dans les montagnes, le Maroc se situe parmi les partenaires les plus fiables en matière de coopération antiterroriste (après les sanglants attentats de Pâques, c'est par exemple à lui que le Sri Lanka a demandé conseil pour prévenir de nouvelles attaques). En 2016 et 2017, le Maroc avait également co-présidé le Forum international contre le terrorisme. Il se situe actuellement aux avant-postes de la lutte contre le terrorisme international et constitue, pour l’Europe, un partenaire incontournable pour endiguer la menace terroriste avant son arrivée sur notre sol. 

Le Maroc a été durement frappé en mai 2003, quand un groupe lié à Al-Qaïda a bouleversé le pays en lançant une série d'attaques suicides à Casablanca, faisant trente-trois morts. Pour autant, le royaume a subi sa dernière attaque d’envergure avec un attentat à Marrakech qui a fait dix-sept morts en avril 2011.

Depuis, le roi Mohammed VI a impulsé une politique globale, visant à protéger efficacement son pays du péril islamiste. Le royaume développe une stratégie mêlant répression, intégration sociale et lutte contre l'extrémisme religieux. Le tout sous l'autorité de la forte figure de Mohammed VI, commandeur des croyants et descendants du prophète Mahomet.

Le gouvernement a d'abord redéfini la notion de terrorisme, renforcé l'arsenal juridique, puis accordé plus de moyens aux forces de l'ordre, notamment en leur permettant de placer des suspects en garde à vue durant douze jours (sans possibilité d'avoir un avocat).

En 2015, le Bureau central des investigations judiciaires (BCIJ), sorte de FBI marocain, a été créé. Une unité de cybersécurité a également été mise en place, afin de traquer les islamistes sur la Toile, puis de les interpeller dans la foulée.

En 2017, le Maroc semble avoir été le premier pays d’Afrique du Nord à se doter d’un satellite de surveillance. Bien que l’outil semble avoir de multiple usages, son utilisation sert sans doute aussi à la surveillance des frontières et en appui aux forces de l’ordre et aux militaires marocains.

Malgré leurs critiques, les autorités européennes ont admis que plusieurs attaques terroristes visant l'UE avaient été évitées grâce à une coopération efficace avec le Maroc

A travers le pays, un puissant réseau, fort de 50 000 fonctionnaires chargés de remonter des informations, permet aux forces de l'ordre de détecter au plus tôt des changements de comportements chez certains radicalisés. Plusieurs centaines de personnes ont été emprisonnées pour leurs liens avérés, de près ou de loin, avec des filières terroristes.

Certains juristes européens ont reproché au Maroc sa définition étendue du terrorisme. Les autorités marocaines préfèrent en effet démanteler les cellules le plus tôt possible, avant même que les suspects aient mis au point un projet d'attentat.

Ce faisant, le Maroc a prouvé sa capacité à obtenir un important renseignement humain pour détecter les moindres signaux, et une grande efficacité dans le combat quotidien contre les filières djihadistes. Malgré leurs critiques, les autorités européennes ont admis que plusieurs attaques terroristes visant l'UE avaient été évitées grâce à une coopération efficace avec le Maroc.

Sur le plan religieux, Mohammed VI défend un «islam du juste milieu»

A la suite des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, de Bruxelles en 2016 et Barcelone en 2017, qui impliquaient tous des citoyens marocains expatriés ou des Européens d'origine marocaine, Abdelhak Khiame, patron du contre-terrorisme marocain, a proposé une surveillance renforcée des membres suspects de la diaspora marocaine, en lien avec les services européens.

Toujours dans la perspective de tuer le fondamentalisme religieux à la racine, le Maroc a investi d'importants fonds pour le développement de la population, afin de favoriser l'intégration sociale des plus pauvres. Des budgets ont été consacrés au système scolaire, afin de mieux encadrer les plus jeunes et leur éviter de verser dans la radicalisation.

Sur le plan religieux, Mohammed VI défend un «islam du juste milieu», dont il suit méticuleusement la mise en œuvre et qu'il utilise à la fois comme un outil de pacification à l'intérieur et de «soft power» à l'extérieur. Commandeur des croyants, il a lancé un Institut de formation des imams afin de lutter contre l'islam radical promu par les prêcheurs extrémistes. Plus de 900 imams, hommes ou femmes, sont passés par l'Institut de formation marocain avant d'essaimer en Afrique du Nord, en Afrique noire et en Europe.

Dans les lieux de culte comme à l'école ou dans les médias, l'Etat marocain exerce un contrôle très strict sur la sphère religieuse. Non seulement en surveillant la nature des messages délivrés par les représentants religieux, mais aussi en dictant quelles pratiques et interprétations sont licites ou illicites.

En 2011, l'objectif du roi du Maroc était de se donner les moyens de véritablement lutter contre les groupes terroristes en provenance du Proche-Orient ou d'Afrique subsaharienne. Résultat : le Maroc est devenu l'un des champions de la lutte antiterroriste et de la déradicalisation dans le monde musulman. D'après les statistiques présentées par Abdelhak Khiame, chef du Bureau central d'investigation judiciaire, les services de sécurité marocains ont démantelé 183 cellules terroristes à divers stades de développement et déjoué 361 projets d'attentats dans le pays. Plus de 3000 personnes impliquées dans des filières terroristes ont été arrêtées.

Les derniers l’ont été parallèlement au procès des assassins des deux jeunes Scandinaves. Début mai, le BCIJ a en effet annoncé le démantèlement d’une cellule de huit terroristes. Le groupe, qui avait réuni des armes de guerre, s’apprêtait à perpétrer des attentats de grande envergure près de Tanger. Le 18 juin, à Tetouan, une autre cellule  a été neutralisée. Elle se composait de cinq personnes ayant prêté allégeance à l’organisation Etat islamique. 

L'intérêt vital des pays européens, et notamment de la France, est de trouver des partenaires solides en Afrique du Nord

Pour autant, d'après le gouvernement marocain lui-même, malgré cette lutte incessante, plus de 1 600 ressortissants marocains ont pu rejoindre les djihadistes en Irak ou en Syrie. Et les impressionnants résultats du BCIJ lui-même attestent de la puissance du vivier islamiste au Maroc et des efforts qui restent à faire en matière de lutte antiterroriste.

Mohammed VI a profité de ses succès pour consolider ses partenariats en matière de sécurité avec ses partenaires européens. La coopération se fait sur la base d'échanges de renseignement, de stages de formation d'agents dans les deux pays, ou d'opérations conjointes. Les services chérifiens entretiennent d'étroites relations avec leurs homologues européens bien que l'on puisse déplorer, par exemple, le net ralentissement de la coopération avec la Belgique, faute de moyens financiers du côté de Bruxelles ! Surtout lorsque l'on songe à la puissance de l'emprise islamiste dans certains quartiers comme le tristement célèbre Molenbeek.

On peut également déplorer que, si Rabat entretient d'excellents rapports avec des Etats comme l'Espagne ou la France, tel ne soit pas le cas avec l'Union européenne, qui, depuis le débuts des attentats qui frappent notre territoire, souhaite développer une politique antiterroriste essentiellement fondée sur la défense des droits de l'homme, avec le succès que l'on sait. Les juristes européens sont notamment freinés par les méthodes jugées trop «anticipatives» des services marocains, qui préfèrent neutraliser les actions en amont plutôt qu’attendre l’imminence du passage à l’acte, afin de limiter les risques. 

Il n’empêche : aujourd'hui, l'intérêt vital des pays européens, et notamment de la France, est de trouver des partenaires solides en Afrique du Nord, afin de juguler la menace islamiste. Actuellement, le Maroc est la sentinelle de l'Europe. Ne pas en tenir compte, au nom de valeurs universelles assez peu observées par les djihadistes eux-mêmes, reviendrait à nier le réel et à mettre en danger la sécurité des citoyens européens, tous pays confondus.

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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