Revenant sur les dernières statistiques du marché mondial de l'armement, l'expert en Défense Philippe Migault explique pourquoi les performances des entreprises russes traduisent une mutation de l'ordre géopolitique international.
La Russie vient d’accéder au second rang mondial des ventes d’armes, derrière les Etats-Unis, selon le Stockholm International Peace Reseach Institute (SIPRI), l’un des plus célèbres think-tanks traitant des questions de défense. Une performance qui n’est pas surprenante, dans la mesure où la Russie, quels que soient les critères de classement utilisés (export seul ou export + marché domestique, livraisons, prises de commande…), se place régulièrement sur le podium entre les indétrônables américains et une nation de l’Union européenne (UE). Mais il s'agit là d'un résultat qui ne va pas manquer de satisfaire les autorités politiques, militaires et industrielles russes.
Ce sont surtout les significations géopolitique et industrielle de ces performances qui sont significatives
Car ce succès survient alors que les Etats-Unis et leurs alliés de l’UE ont placé la Russie et l’industrie de défense russe sous sanctions. Washington menace tous ceux qui osent acheter du matériel militaire russe de rétorsions commerciales. Rosoboronexport, l’agence gouvernementale russe en charge des exportations d’armement, les principaux responsables de l’industrie de défense russe, tout ce qui, de près ou de loin, participe à des programmes militaires ou duaux est mis à l’index. Ce qui n’empêche pas ces acteurs de truster les parts de marché en Chine, en Inde, en Turquie, en Asie, en Afrique, en Amérique latine… Systèmes de défense antiaérienne élargie S-400, sous-marins, frégates, hélicoptères, etc. : les produits phares confirment leur succès, à la grande satisfaction, on l’imagine, des patrons d’Almaz-Antey, OSK et autres filiales de Rostekhnologiï.
Ce succès survient alors que les Etats-Unis et leurs alliés de l’UE ont placé la Russie et l’industrie de défense russe sous sanctions
Mais au-delà de cette capacité à accroître ses ventes, ce sont surtout les significations géopolitique et industrielle de ces performances qui sont significatives. Depuis la reprise de la Crimée par la Russie, les Américains, fidèles à leur pratique d’extraterritorialité de leur droit domestique, promettent poursuites et sanctions à toutes les nations, entreprises, ou individus, qui viendraient à transgresser leurs consignes. Or plus personne, en dehors des vassaux de l’UE, ne tient compte de ces rodomontades. Loin d’être isolée, la Russie renforce ses liens avec ses partenaires Indiens et Chinois. Pleinement ancrée dans une mondialisation condamnant à terme le leadership des Etats-Unis, elle tire profit de toutes les opportunités qui lui sont offertes pour renforcer ses positions commerciales, financières, industrielles, militaires et, au final, sortir plus résiliente encore de cet épisode des sanctions qu’elle n’y est entrée.
Ces nations ne font pas seulement un choix commercial majeur [...] mais aussi un choix politique et diplomatique : celui de Moscou plus que de Washington
Le monde, de plus en plus, rejette l’ascendant moral, l’autorité de tutelle, auxquels les Occidentaux prétendent. Un œil rivé sur une Corée du Nord, contraignant les Etats-Unis à négocier, forte de sa capacité de chantage nucléaire, l’autre sur une Chine ne pliant pas devant la guerre commerciale engagée par Donald Trump, nombre d’Etats tentent d’allier économie de marché dirigée et forces armées modernes et dissuasives afin de mettre en échec la volonté de domination américaine. La Russie, qui propose les solutions de défense les plus performantes en dehors des entreprises occidentales, est naturellement devenue l’arsenal de ces nations. Lesquelles ne font pas seulement un choix commercial majeur, en se liant par des contrats de plus en plus importants à leurs fournisseurs russes, mais aussi un choix politique et diplomatique : celui de Moscou plus que de Washington. Ces chiffres de ventes d’armes traduisent une mutation progressive des (dés)équilibres mondiaux.
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