Le président américain ayant déclaré vouloir retirer son pays du traité sur les Forces nucléaires à portée intermédiaire, l'expert en défense Philippe Migault explique pourquoi ce nouveau coup de poker de Donald Trump est sans doute celui de trop.
En deux années de présidence, le monde entier a appris à connaître Donald Trump. Sa totale désinhibition, son outrance, son culot, son amour du bluff, son goût de l’insulte et ses diatribes au vitriol. Son sens tactique incontestable aussi. Celui qui lui a fait remporter l’élection présidentielle, lui a permis d’aller plus loin sur un dossier aussi compliqué que la Corée du nord qu’aucun autre président américain depuis 1950.
On pouvait s’attendre, les mid-terms approchant, à ce qu’il joue, une fois encore, de ce mélange de roublardise manœuvrière et de fanfaronnade patriotique qui l’ont porté à la Maison Blanche. Sauf qu’en déclarant que les Etats-Unis allaient se retirer du traité sur les Forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI), vraisemblablement pour complaire aux faucons républicains les plus hostiles à la Russie, il est allé bien plus loin que d’habitude. Trop loin.
Ce traité n’est pas un simple texte de droit international. C’est un symbole
Car ce traité, aussi appelé Traité de Washington, n’est pas un simple texte de droit international. C’est un symbole. Celui de la fin de la première guerre froide, entre les Etats-Unis et l’Union soviétique. Celui de la dénucléarisation de l’Europe entre Atlantique et Oural. Celui d’un immense espoir, l’espoir des retrouvailles entre Européens de part et d’autre du Boug∗. L’espoir, plus fou encore, de la constitution d’un grand espace de paix et de prospérité unissant l’Europe, de Brest à Vladivostok, et sa fille, la civilisation nord-américaine, de part et d’autre du Détroit de Béring. Ridicule ? Oui, sans doute, avec le recul. Mais tellement fort, pour tous ceux qui ont l’âge de se rappeler de la première guerre froide, les plus de quarante ans, qu’on ne peut évoquer la fin du traité FNI sans effarement. Car ce qui existait avant était terrifiant.
La situation n’avait jamais été aussi tendue depuis la crise des missiles de Cuba. Jusqu’à ce que Gorbatchev tende la main
Rappelons-nous du monde en 1987, lorsque fût signé le traité de Washington.
L’Union soviétique, timidement engagée sur la voie des réformes par Iouri Andropov, semblait être retombée quelques années auparavant dans l’immobilisme brejnevien le plus complet avec Constantin Tchernenko, grabataire stalinien bas de plafond, mais garant de l’orthodoxie marxiste-léniniste chère à la vieille garde du Kremlin. Un nouvel homme, plus jeune, dynamique, Mikhaïl Gorbatchev, avait pris la tête du pays en 1985 et semblait vouloir infléchir la politique de son pays. Mais l’Ouest – on parlait peu d’Occident alors, en dehors d’une certaine droite – jugeait son sourire aussi trompeur que carnassier.
Côté américain, Ronald Reagan, sorte de Trump survitaminé, donnait son assentiment à tous les coups tordus contre l’URSS, armant massivement les islamistes radicaux –jusqu’ici inoffensifs – en Afghanistan, envoyant les porte-avions et les sous-marins de l’US Navy provoquer la marine russe au large de la presqu’île de Kola.
Depuis la fin des années 70 les Soviétiques pointaient sur nous leurs SS-20, en mesure de transformer l’ensemble de l’Europe de l’Ouest en désert en quelques minutes. L’OTAN avait riposté en déployant les Pershing-2 et des missiles de croisière BGM-109G, mettant tout le Pacte de Varsovie, jusqu’à Moscou, sous la menace d’une frappe nucléaire massive, ne laissant aux Soviétiques et à leurs alliés qu’un très faible préavis pour riposter et s’abriter.
La situation n’avait jamais été aussi tendue depuis la crise des missiles de Cuba. Le monde semblait constamment à deux doigts de l’affrontement final.
Jusqu’à ce que Gorbatchev tende la main. Et que Reagan la saisisse.
Reagan et Gorbatchev, d’un trait de plume, bannirent d’Europe toutes les armes nucléaires sol-sol d’une portée comprise entre 500 et 5 500 kilomètres
Mais ce fût laborieux. Reagan, d’un anticommunisme primaire, bien décidé à ne rien lâcher, se montrait inflexible. Gorbatchev plus rêveur encore qu’Obama, proposant dès janvier 1986 un monde dénucléarisé pour 2000, oscillait entre naïveté un jour et ténacité le lendemain, suivant les évolutions de la politique intérieure soviétique. Jusqu’à ce 8 décembre 1987. Jusqu’à ce jour où Reagan et Gorbatchev, d’un trait de plume, bannirent d’Europe toutes les armes nucléaires sol-sol d’une portée comprise entre 500 et 5 500 kilomètres.
La suite, on la connaît. La chute du mur de Berlin. La réunification allemande. L’effondrement du totalitarisme communiste. La fin de l’Europe champ de bataille atomique.
S’ils avaient décidé de tout faire pour relancer une course aux armements à grande échelle, ils ne s’y prendraient pas autrement
Et c’est sur cela que propose aujourd’hui de revenir Donald Trump. A des fins purement électorales, selon des intérêts strictement américains. Car il ne nous a pas demandé notre avis avant de décider de ce nouveau coup d’éclat. Reagan avait Thatcher, Kohl, Mitterrand derrière lui. Trump n’a consulté personne.
Les Etats-Unis ont toujours refusé de renégocier le traité FCE de 1990, totalement vidé de son sens compte tenu de l’élargissement de l’OTAN et désormais caduque.
Fin 2001, ils se sont unilatéralement retirés du traité ABM de 1972, pilier de l’équilibre stratégique entre Washington et Moscou pendant plus de trente ans.
Jusqu’où vont-ils aller ? Le traité New Start, ramenant le plafond des têtes nucléaires opérationnelles autorisées à 1 550 pour les Russes et les Américains, est valable jusqu’en 2021. Ont-ils déjà fait une croix sur sa prorogation ? S’ils avaient décidé de tout faire pour relancer une course aux armements à grande échelle, ils ne s’y prendraient pas autrement.
∗ Fleuve marquant la frontière entre la Pologne, à l'ouest, et l'Ukraine ainsi que le Bélarus à l'est, il traverse notamment Brest ou fut signé le 3 mars 1918 entre les empires centraux et la jeune République soviétique de Russie le traité de Brest-Litovsk.
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