Spécialiste des questions européennes, Pierre Lévy dirige la rédaction du mensuel Ruptures. Précédemment, il a été journaliste au sein du quotidien L’Humanité, ingénieur et syndicaliste. Il est l’auteur de deux essais et un roman.

Macédoine : nouveau revers pour les dirigeants euro-atlantiques

Macédoine : nouveau revers pour les dirigeants euro-atlantiques© Ognen Teofilovski Source: Reuters
Un drapeau macédonien (image d'illustration).
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Au lendemain du référendum sur le changement de nom de la Macédoine, le rédacteur en chef de Ruptures Pierre Lévy revient sur les véritables raisons de ce scrutin et le respect des dirigeants européens pour les décisions populaires.

Angela Merkel, son ministre des Affaires étrangères, ainsi que plusieurs autres membres du gouvernement allemand ; Sebastian Kurz, le chancelier autrichien ; James Mattis, le secértaire américain à la Défense ; Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’OTAN ; plus une brochette de personnalités bruxelloises de premier plan, dont Federica Mogherini, le chef des affaires extérieures de l’UE et Johannes Hahn, le Commissaire chargé du «voisinage» : tous ceux-là ont fait le déplacement de Skopje ces dernières semaines. D’autres ont lancé des appels à distance, comme le président français. Avec un unique objectif : exhorter les citoyens macédoniens à se rendre aux urnes le 30 septembre.

Skople, qui n’avait jamais vu défiler autant de dirigeants de ce monde, est la capitale de la Macédoine, plus précisément de l’Ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM), nom officiel de ce petit Etat des Balkans (deux millions d’habitants) issu de l’éclatement de la Yougoslavie. Une appellation restée provisoire depuis 27 ans. La Grèce, par fierté nationale et crainte de l’irrédentisme, s’est en effet toujours opposée à ce que son voisin du nord porte le même nom que sa province septentrionale.

Mais, à l’issue des élections macédoniennes de décembre 2016, un gouvernement social-démocrate arrive au pouvoir, conduit par Zoran Zaev. Ce dernier, très proche des milieux atlantistes, s’est fixé pour mission de résoudre le conflit de nom avec Athènes avec pour objectif l’entrée de son pays d’abord dans l’OTAN, puis dans l’Union européenne – une double adhésion à laquelle Athènes oppose un veto tant que dure le différend. Le 17 juin denier, Zoran Zaev et son homologue grec, Alexis Tispras, trouvaient un compromis : le pays pourrait s’appeler Macédoine du Nord et voir ainsi s’ouvrir la porte du paradis euro-atlantique.

Un diplomate de l’UE a même osé : «Le choix est entre la Macédoine du Nord et la Corée du Nord»

Encore faut-il pour cela que les deux parties ratifient cet accord. C’était l’objet du référendum organisé le 30 septembre. Les amis de Zoran Zaev appelaient bien sûr à voter Oui, soutenus en cela par le parti se réclamant de la minorité albanaise. Pour sa part, le parti de droite nationaliste VRMO-DPMNE, d’avis opposé, n’appelait pas à voter Non, du fait des pressions occidentales. Mais ses dirigeants ont invité les citoyens à bouder le scrutin. Ce fut également la position du président de la République, Gjorje Ivanov, lui-même issu de la mouvance nationaliste.

Or la règle macédonienne impose que, pour être valable, un référendum mobilise au moins la moitié des électeurs inscrits. D’où l’appel au boycott des adversaires de l’accord. D’où également la fébrilité et le forcing des dirigeants américains et européens. Selon eux, si la Macédoine n’est pas intégrée à l’orbite de l’UE et de l’OTAN, d’autres auront vite fait de reprendre ce pays dans leur zone d’influence. Et d’accuser les Russes (la majorité de la population est d’ascendance slave), mais aussi les Chinois (qui investissent beaucoup dans les Balkans) de guetter, voire de créer l’occasion.

La question posée aux électeurs était du reste sans ambiguïté : «Etes-vous favorable à l’adhésion à l’UE et à l’OTAN en acceptant l’accord entre les deux pays?» La promesse implicite de fonds européens allant se déverser sur un Etat particulièrement pauvre était censée séduire les électeurs. Un diplomate de l’UE a même osé : «Le choix est entre la Macédoine du Nord et la Corée du Nord», stigmatisant cette dernière comme le symbole de l’isolement international…

Le résultat du vote a fait l’effet d’une douche froide pour les promoteurs du processus : certes, 91% des votants ont répondu Oui, un résultat attendu puisqu’aucune force politique n’appelait à voter Non. En revanche, l’indicateur scruté par les partisans comme les adversaires de l’accord était bien entendu la participation. Or, avec à peine plus de 36% de votants, celle-ci s’est établie à un niveau encore bien plus faible que ne le craignaient les dirigeants européens.

Difficile d’imaginer une pression plus explicite

Alors que moins d’un tiers des Macédoniens ont glissé un bulletin Oui, ces dirigeants ont réagi en usant de la méthode Coué – ou de la «vérité alternative» qu’on reproche souvent aux propos de Donald Trump. Zoran Zaev s’est ainsi réjoui que la «vaste majorité des citoyens aient choisi une Macédoine européenne». Le Commissaire européen chargé du voisinage, Johannes Hahn, a pour sa part salué le «large soutien» apporté à l’accord. Et jusqu’au secrétaire général de l’ONU, le Portugais Antonio Guterres, qui n’a pas hésité à affirmer : «Le fait qu’une majorité écrasante des votants ait soutenu l’accord est important.»

Quant au secrétaire général de l’OTAN, il a signé un communiqué commun avec sa consœur de l’UE pour exhorter les responsables politiques de Skopje à «prendre des décisions qui détermineront le sort de leur pays et de leur peuple pour de nombreuses générations à venir». Difficile d’imaginer une pression plus explicite.

Seul le président du Monténégro voisin a nuancé quelque peu la langue de bois officielle : «J'ai l'impression que l'enthousiasme pro-européen qui avait suivi la chute du mur de Berlin est en train de piétiner un peu.» S’il y avait un concours d’euphémismes, Milo Djukanovic remporterait à coup sûr la coupe du monde.

Du coup, Zoran Zaev s’est empressé d’affirmer que la règle du quorum de 50% de participation ne s’appliquait pas dans ce cas, puisque le référendum n’était que consultatif. Du reste, a-t-il martelé dans un style bruxello-thatchérien, «il n’y pas d’alternative».

Institutionnellement, la décision finale appartient désormais aux députés. Ceux-ci doivent ratifier l’accord à la majorité des deux tiers – et cette fois, le vote n’est pas «consultatif». Or il manque dix sièges aux sociaux-démocrates et à leurs alliés pour franchir cette barre. Et leurs adversaires du VRMO-DPMNE vont évidemment se sentir encouragés par le résultat populaire à refuser leurs voix.

Zoran Zaev a menacé, en cas d’échec, au demeurant probable, de déclencher des élections anticipées d’ici la fin de l’année.

En matière de respect du verdict populaire, Tsipras fait figure de maître incontesté

En outre, l’entrée en vigueur de l’accord est aussi conditionnée par l’approbation du Parlement grec. Or, dans ce pays, les forces jugeant que l’accord négocié par Tsipras constitue une trahison des intérêts hellènes sont nombreuses, à droite, mais aussi chez beaucoup de citoyens de gauche. Et le partenaire gouvernemental de Syriza, le Parti des Grecs indépendants, est également opposé au compromis. Tous ces opposants se sentent confortés par le vote macédonien.

Dès l’annonce des résultats, le chef du gouvernement grec a téléphoné à son homologue et voisin pour lui signifier qu’il «devrait poursuivre la mise en place de l’accord».

En juillet 2015, Alexis Tsipras avait lui-même appelé à un référendum anti-austérité qu’il avait largement emporté. Avant d’opérer une reddition mémorable en acceptant touts les conditions austéritaires imposées par l’UE, à peine quelques semaines plus tard.

En matière de respect du verdict populaire, il fait donc figure de maître incontesté.

 

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