Avec la mort de John McCain, les Etats-Unis ont perdu le plus fervent de leurs hommes politiques russophobes. Qu'on se rassure, affirme l'expert en Défense Philippe Migault : une armée de petits McCain est prête à prendre la relève.
John McCain, plus que quiconque, incarnait le faucon américain. L’œil aiguisé, la mâchoire carrée, le sourire aisément carnassier, il conservait, malgré les années, le morphotype de l’American Hero. Ses formules étaient volontiers brutales. Son phrasé pilonnait l’interlocuteur se trouvant dans son collimateur comme une volée de bunker busters. Petit-fils et fils d’amiral, il demeurait le pilote d’avion d’assaut de l’US Navy, l’officier turbulent, mais patriote jusqu’à la moelle, descendu au Vietnam. Un personnage de blockbuster hollywoodien avec, en sus, sa logique rudimentaire. Du cousu main pour Clint Eastwood, façon Gran Torino, la taille en moins.
Comme tous les militaires américains de cette génération, il n’avait jamais accepté la défaite
Tel le GI du film, jamais vraiment revenu de la guerre de Corée, McCain n’était jamais vraiment revenu du Vietnam, de sa captivité. Comme tous les militaires américains de cette génération, il n’avait jamais accepté la défaite, fruit du coup de poignard dans le dos asséné par une société américaine gangrenée par le flower-power et autres dérives gauchisantes. A l’instar de Schwarzkopf, de Powell, il vivait les guerres américaines de l’après-guerre froide comme autant de revanches.
Un bon Russe était pour lui un Russe soumis
Sauf qu’à ses yeux la guerre froide n’avait jamais pris fin non plus. Américain convaincu de la destinée manifeste de sa nation, n’envisageant entre elle et l’étranger, au mieux, que des liens de suzerain à vassal, un bon Russe était pour lui un Russe soumis. Qu’il soit Soviétique, orthodoxe ou capitaliste. Parce qu’il incarnait cette conception américaine de la guerre et de la paix qui n’admet que la capitulation sans conditions – le fameux Unconditional Surrender d’Ulysse S. Grant – il estimait qu’on avait eu tort de laisser la Russie se relever après le désastreux intermède des années 90. Qu’il convenait de la ramener à la place qu’on considère comme la sienne sur les rives du Potomac, celle d’une puissance régionale et marginale. A ce titre la faction la plus russophobe de l’Etat profond américain vient de perdre son chef de file, son étendard. Ce qui ne signifie pas, pour autant, que la russophobie va faiblir en quoi que ce soit aux Etats-Unis.
Accusant un – très relatif – déclin durant les années Obama, la tendance néoconservatrice effectue son retour au premier plan avec la nomination de John Bolton au poste de conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump. Et la génération d’officiers qui prend aujourd’hui les commandes des forces armées américaines s’annonce aussi russophobe que John McCain pouvait l’être.
Jeunes amiraux, jeunes généraux, ces hommes étaient encore adolescents lorsque Ronald Reagan a annoncé son initiative de défense stratégique, et quand il a fait le pari de l’islam radical pour vaincre les Soviétiques en Afghanistan. Ils étaient déjà officiers, ou élèves-officiers, lorsque l’URSS s’est disloquée, pliant, à leurs yeux, sous le poids de la course aux armements. Privés de leur ennemi de prédilection, celui de leurs aînés, de leurs pères, ils croient le retrouver aujourd’hui dans la Russie de Poutine. Or il n’est pas de scénario plus confortable intellectuellement, pas de défi plus motivant pour un militaire, que de renouer avec un ennemi traditionnel, permettant de rallier les soutiens et de plaider son budget. La Chine, certes, monte en puissance, mais elle est encore loin de constituer l’ennemi de référence idéal.
La résurgence d’une armée russe est un défi d’autant plus insupportable à l’orgueil américain qu’il n’en a plus connu de tel depuis près de trente ans
La résurgence d’une armée russe, bien moins puissante que sa devancière soviétique, mais disposant, de nouveau, des outils lui permettant de dissuader, localement, toute tentative de pénétration en force, est au contraire un défi d’autant plus insupportable à l’orgueil américain qu’il n’en a plus connu de tel depuis près de trente ans. On peut compter sur le Pentagone pour se persuader que remporter ce nouveau challenge, face à un adversaire strictement sur la défensive, est un impératif stratégique. Et pour générer, en conséquence, une armada de nouveaux McCain.
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