Après la rencontre entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine à Saint-Pétersbourg, lors du SPIEF, l'historien John Laughland analyse la nouvelle approche diplomatique que le président français a choisi d'adopter face à son homologue russe.
Le discours prononcé par Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse commune avec Vladimir Poutine à Saint-Pétersbourg le 24 mai représente une rupture claire non seulement avec la politique étrangère de son prédécesseur, François Hollande, mais aussi avec la politique étrangère actuelle des alliés principaux de la France en Europe et dans le monde.
De ce discours, en effet, trois choses sont remarquables : les références insistantes faites par Emmanuel Macron à l'indépendance de la politique étrangère de la France, qui sont des propos destinés à ravir les Russes ; les allusions au général de Gaulle qui s'était toujours profilé comme le garant de cette indépendance, y compris à l'égard des Etats-Unis ; et la description de la France comme «le partenaire européen crédible» de la Russie. Ces propos sont tout simplement révolutionnaires.
Ils sont révolutionnaires car ils sont en décalage total avec les prises de position des autres pays membres de l'Union européenne (UE) et des Etats-Unis. Quelques heures seulement après qu'Emmanuel Macron avait dit qu'il «respect[ait] le rôle renforcé que la Russie se donne dans son environnement régional», dont il serait difficile de nier que l'Ukraine fait partie, le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, a coupé court une visite en Inde pour rentrer à La Haye où il a validé la décision de son gouvernement d'accuser formellement l'armée russe d'avoir abattu l'avion du vol MH17 en Ukraine en juillet 2014.
La décision néerlandaise a été explicitement soutenue par Londres qui a renouvelé sa caractérisation de la Russie comme un Etat voyou qui viole systématiquement le droit international. Emmanuel Macron, lui, dit tout le contraire, décrivant de la Russie comme une solution à de nombreux enjeux internationaux et non pas comme un problème.
Sur l'Ukraine, Emmanuel Macron est allé plus loin encore. Il a expliqué à son homologue que «le règlement pacifique de la crise au Donbass est l’élément clé d’un retour à des relations apaisées entre l’Europe et la Russie.» Il n'a donc fait aucune référence ni à «l'annexion» de la Crimée, qui est pour Londres une ligne rouge que la Russie aurait franchie car cette «annexion» serait une violation inacceptable du droit international, ni à l'avion abattu, ni à l'empoisonnement de Salisbury que d'aucuns ont caractérisé comme un acte de terrorisme international commis par Moscou. Pour Macron, par contre, un rétablissement des bon rapports entre la Russie et l'Europe dépend seulement du règlement du conflit en Ukraine orientale, ce à quoi la Russie est plus que prête. Les autres pommes de discorde sont tout simplement oubliées.
Vers une désescalade spectaculaire initiée par la France ?
Autrement dit, là où Londres et La Haye font monter d'un cran leur opposition à la Russie, Paris est en train d'entamer une désescalade spectaculaire. Là où le ministre britannique des affaires étrangères traite Vladimir Poutine d'assassin, et le compare à Hitler, Emmanuel Macron le tutoie et l'appelle «cher Vladimir». Le président français semblait même vouloir faire la cour à son homologue russe quand il a souligné non moins que trois fois la «fiabilité» de la France dans ses rapports avec la Russie.
Le président russe ne pouvait que boire du petit-lait en écoutant Emmanuel Macron évoquer le rôle de la Russie soviétique dans la Second Guerre mondiale, dont le souvenir est un élément constitutif de l'identité nationale russe aujourd'hui mais qui est souvent négligé en Occident, et insister sur l'indépendance de la politique étrangère de la France. Le message était on ne peut plus clair : «Le président Poutine le sait, la politique étrangère de la France, sous ma direction, est pleinement indépendante. Nous ne nous alignons jamais sur personne, nous prenons nos décisions par nous-mêmes et pour nous-mêmes... Notre dialogue avec la Russie est un élément de cette indépendance.»
Le général de Gaulle, dont Emmanuel Macron a soigneusement posé un exemple des Mémoires ouvert sur son bureau pour sa photo officielle en 2017, n'a pas dit autre chose lors de sa visite historique en URSS en 1966, donc pendant la guerre froide, quand aucun autre dirigeant occidental ne s'y rendait. Cette visite était, pour celui qui axait la totalité de sa carrière politique sur la liberté de la France, la preuve de son indépendance vis-à-vis de l'OTAN avec laquelle la France restait pourtant une alliée fidèle.
Sur la Syrie, Emmanuel Macron a souligné la rupture de sa politique avec celle de son prédécesseur quand il a dit que «depuis mai 2017», la politique française n'est pas de soutenir un changement de régime à Damas. En parlant de la Syrie, le président de la République s'est, de fait, dissocié des Etats-Unis de Trump quand il appelé de ses vœux des négociations entre «toutes les puissances concernées par la crise syrienne», dont incontestablement l'Iran fait partie, au moment même où Washington veut, avec Israël, chasser l'Iran le plus loin possible.
Une culture de l'ambiguïté
Les ennemis d'Emmanuel Macron ironisent souvent sur sa volonté affichée de réunir les opposés. La phrase «en même temps», tant utilisé pendant sa campagne électorale, en est devenu le symbole. Le président de la République applique désormais ce principe aussi à sa politique étrangère : allié des Etats-Unis et membre de l'UE (avec laquelle il a dit en Russie que «notre solidarité sera toujours sans faille»), mais en même temps un partenaire fiable de la Russie («sans doute le partenaire économique le plus fiable dans la durée»). La présence même d'Emmanuel Macron au Forum économique de Saint-Pétersbourg, où la France était l'invitée d'honneur et où il insisté sur les échanges économiques entre la France et la Russie, y compris les nouveaux contrats qui seront signés, incarne cette volonté macronienne d'échapper aux contradictions en les embrassant : l'UE dans son ensemble, qui est pour Macron le vecteur principal de la politique étrangère française, maintient un lourd programme de sanctions économiques contre Moscou et elle n'a aucune intention de les lever pour le moment.
Seul le temps nous dira si cette culture de l'ambiguïté fera de Macron un nouveau Mitterrand, c'est-à-dire un Florentin dont les ruses éternelles et les contradictions à outrance n'ont abouti à aucune réussite sauf personnelle, ou un Houdini politique qui réussira à extirper la France du carcan politico-institutionnel dans lequel elle s'est emprisonnée par son adhésion décennaire à l'UE et l'OTAN. Dans cette dernière hypothèse, sa visite en Russie aura été un premier pas.
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