Police de sécurité du quotidien, lutte anti-terrorisme, intransigeance face aux violences contre les policiers, le discours du président français a-t-il convaincu ? Décryptage avec Eric Stemmelen, commissaire divisionnaire de la police nationale.
RT France : Quel sentiment vous a laissé le discours d'Emmanuel Macron détaillant son plan de sécurité pour le quinquennat ?
Eric Stemmelen (E. S.) : Il a répondu à beaucoup d'interrogations. Son discours était assez clair et revient aux fondamentaux de la police : la prévention et la répression. Il remet en place la police de sécurité du quotidien. Bien que sur ce point, il n'annonce pas grand chose de concret puisqu'il a annoncé qu'il y aurait des groupes de travail, des consultations pendant deux mois, des questionnaires diffusés auprès de tous les policiers pour définir une nouvelle doctrine... Néanmoins, je suis globalement assez content de la direction que semble vouloir prendre le président.
RT France : L'une des grandes annonces du président demeure l'introduction d'une police de sécurité du quotidien (PSQ). Emmanuel Macron a tenu à détailler qu'il ne s'agissait pas de réintroduire simplement la police de proximité. Quelle différence voyez-vous entre elles ?
E. S. : En matière de PSQ, il fait la différence avec la police de proximité mise en place par le gouvernement de Lionel Jospin en disant que c'est une police dont la mission première sera d'être au service de la population et qui devra être en liaison avec les élus locaux et les associations.
La grande différence que j'y vois, c'est que la police de proximité avait été décidée au niveau parisien alors que là, semble-t-il, le président donne une orientation générale derrière l'idée de la police de sécurité du quotidien mais renvoie aux acteurs locaux la mise en pratique en leur donnant par exemple des concentrations budgétaires. Il renvoie aux services locaux de police, aux départements, aux régions sous l'autorité du préfet d'organiser cette police de sécurité du quotidien. Ce qui est une bonne chose car on ne peut pas par exemple mettre en place le police de proximité au quotidien en banlieue parisienne et en milieu rural de la même manière. Il faut s'adapter aux besoins de la population.
Je rappelle d'ailleurs que la police de proximité ou la police de sécurité du quotidien – car il n'y a pas de si grosses différences de fond – ne date pas de Lionel Jospin, mais de Napoléon III et du XIXe siècle, avec ce qu'on appelait les Hirondelles, à Paris, la police de sécurité. On revient donc bien à un des fondamentaux de nos forces de police.
RT France : Etait-il important selon vous de réintroduire une telle unité ?
E. S. : C'est essentiel. Je crois que la président de la République l'a d'ailleurs bien défini : c'est essentiel pour la reconnaissance par la population du rôle de la police. Un rôle qui n'est pas uniquement dans la répression, mais aussi dans la prévention et, pour cela, il faut être présent dans la rue.
Il faut bien dire que, depuis une dizaine d'années, on voit de moins en moins de policiers dans la rue. Or, il faut avoir des gens expérimentés – et non pas de jeunes policiers ou de jeunes gendarmes – qui soient fidélisés dans les quartiers et qui connaissent les populations locales de manière à ce que ces dernières puissent faire confiance en leur police.
Je vous rappelle que la mission première de la police est de protéger sa population, d'être à son service. C'est d'ailleurs inscrit dans la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen. La notion de sécurité est primordiale : il n'y a pas de liberté, de fraternité ou d'égalité s'il n'y a pas de sécurité.
RT France : Le président a longuement parlé de la menace terroriste. Ses propositions vont-elles dans le sens d'une amélioration de la lutte anti-terroriste au sein des services de forces de l'ordre ?
E. S. : Oui, en ce sens qu'il a dit qu'il fallait mettre en place des circuits courts d'informations et partager les informations entre la police, la gendarmerie, les acteurs sociaux, l'administration pénitentiaire, etc. C’est une bonne réponse mais le problème, avec le terrorisme, et pas qu'en France, reste qu'on a attendu des attentats pour réaliser l'étendue de la menace. Or les services spécialisés le savent et mettent en garde contre cette menace depuis des dizaines d'années. En d’autres termes, on a eu trop souvent tendance à avoir une politique de réaction (on lance l'état d'urgence après un attentat et il faut deux ans pour réussir à le lever) mais pas vraiment de politique pro-active. Or, une politique pro-active implique de nombreuses questions. Est-ce qu'on peut neutraliser juridiquement – c'est-à-dire mettre en prison – sur des opinions en démocratie ? Il est en réalité très difficile de lutter non pas contre les actes de terrorisme en eux-mêmes mais contre la banalisation de la radicalisation dans les esprits. Or ce dernier point concerne en France non pas des dizaines de personnes mais des milliers.
RT France : Emmanuel Macron a également annoncé que, désormais, chaque agent de police serait un agent de renseignement. Est-ce leur rôle ? Cela peut-il permettre d'éviter les erreurs commises par le passé par les services de renseignements ?
E. S. : Bien sûr. C'est une évidence première. Le policier est là pour être sensible à tous les signaux,faibles ou forts, sur la délinquance mais aussi sur le terrorisme. Pour être très franc, la suppression des services de renseignements généraux sous la présidence de Nicolas Sarkozy par François Fillon, Premier ministre de l'époque, a été une erreur et une faute. Tout cela uniquement pour des questions budgétaires. Ces services ne luttaient pas directement contre le terrorisme mais étaient implantés dans les quartiers et pouvaient faire remonter les informations.
On a ensuite créé le service de renseignement territorial qui dépend de la sécurité publique mais jusqu'à maintenant le service de renseignement territorial n'est pas intégré à la communauté du renseignement. Or l'effort, manifestement, va être d'intégrer de plus en plus tous les services dans le renseignement. C'est un peu le sens de la task force de l'Elysée afin de coordonner la lutte contre le terrorisme.
Il faut aussi – le président l'a mentionné brièvement – que la population dans son ensemble, un peu comme dans les pays anglo-saxons, soit beaucoup plus concernée par cela et donne des informations. Mais là, on se retrouve face à l'histoire de la France et ce qu'on appelait la dénonciation pendant la Seconde Guerre mondiale. Il y a toujours une prudence chez les hommes politiques avant de parler de dénonciation alors que la dénonciation d'une infraction criminelle, d'un acte de terrorisme ou même de radicalisation islamiste est un devoir civique. Il y a toujours une confusion entre dénonciation et délation en France à cause, notamment, de notre histoire.
RT France : Ce discours a été prononcé alors que se font entendre une forte grogne policière depuis plus d'un an et les inquiétudes des agents quant à leur sécurité après la mort de plusieurs de leurs collègues ces derniers mois. Le président a-t-il selon vous su répondre à leurs préoccupations ?
E. S. : Oui et non. Les policiers attendent des actes concrets. Le problème en France, selon moi, en matière d'ordre public et de manifestations qui dégénèrent, est qu'on confond le droit de manifester avec les émeutes. Quand on a eu la COP21 à Paris, il y a eu des manifestations mais il y a aussi eu 400 interpellations préventives. En France, on a trop tendance à avoir comme politique de disperser les manifestants violents plutôt que de les interpeller. Ils reviennent donc. C'est un gros problème. Il s'agit d'un conflit entre la police administrative et la police judiciaire.
Il y a aussi un autre problème lié à l'abandon en 1981 de la loi anti-casseur. Il faut pouvoir aujourd'hui en droit français prouver que telle personne nominativement désignée a bien lancé telle pierre sur tel policier. Or dans une manifestation, ces gens-là sont cagoulés. Il est donc très difficile de prouver une infraction. D'autant qu'il n'y a pas de responsabilité collective dans la législation actuelle, contrairement à ce que l'on trouvait dans la loi anti-casseur de 1970, pour pouvoir imputer collectivement la faute d'une ou deux personnes.
Il y a enfin un problème politique : on attend qu'il y ait des manifestations qui dégénèrent et donnent lieu à des infractions pénales pour agir alors qu'on pourrait le faire préventivement. C'est une question de politique de sécurité publique. Dans la police, on a quand même des règles de base : il vaut mieux prévenir que guérir et il vaut mieux montrer sa force pour éviter d'avoir à l'employer.
RT France : 10 000 agents de police seront recrutés sur le quinquennat, dont 1 870 dès 2018. Est-ce une bonne nouvelle ?
E. S. : Ce n'est pas une surprise, le président l'avait annoncé dans son programme. D'ailleurs, tout ce qu'il a présenté aujourd'hui était dans son programme. Le problème actuel n’est pas de recruter 10 000 policiers de plus, mais que de nombreux policiers et gendarmes – et ils sont plus de 10 000 – font du travail administratif. Il faudrait mieux à mon sens recruter 10 000 administratifs pour faire ce travail de bureau et remettre les policiers sur la voie publique. Cela coûterait beaucoup moins cher que de recruter 10 000 policiers. Mais politiquement, ça passe mal. Quand on vous dit «je recrute dix policiers» politiquement c’est mieux que de dire «je recrute dix secrétaires».
RT France : Vous parlez d'agents administratifs pour alléger la charge de travail de bureau des forces de l'ordre. Emmanuel Macron a également affirmé sa volonté de travailler plus étroitement avec les sociétés de sécurité privée notamment pour la surveillance de certains événements et bâtiments. Est-ce selon vous une bonne chose ?
E. S. : La sécurité privée n'a pas le même rôle que la police, mais, par définition, assure aussi la sécurité des citoyens. Dans un stade de football, ceux qui vous contrôlent ne sont pas policiers mais des agents de sécurité privée. On l'a vu le jour des attentats du 13 novembre 2015, lorsqu'un agent de sécurité privée a empêché l'entrée des terroristes dans le stade de France. Ce sont eux, également, qui contrôlent les sacs dans les magasins par exemple. Si, bien sûr, ils n'ont pas les mêmes pouvoirs que les forces de police, il est évident que la sécurité privée comme la police municipale, la police nationale et la gendarmerie doivent travailler ensemble.
Reste le problème dont on ne parle pas beaucoup : la réponse pénale. C'est-à-dire quand la police interpelle des gens, que se passe-t-il après ? C'est l'erreur de Nicolas Sarkozy qui ne calculait que le nombre de gardes à vue. Mais ces statistiques là n'ont aucune importance, c'est la réponse de la justice derrière qui compte. Emmanuel Macron a déclaré qu'il allait faire avec la ministre de la Justice une circulaire à destination des procureurs pour être beaucoup plus fermes. Mais, il manque aujourd'hui de place dans les prisons en France, ne serait-ce que pour appliquer les condamnations à des peines de prisons fermes. Le programme d'Edouard Philippe est de créer 15 000 places de prisons en plus sur le quinquennat, mais ce ne sera même pas suffisant pour revenir à un détenu par cellule – une loi pourtant vieille de 150 ans qui n'est pas appliquée. De même, il y a environ 90 000 condamnations à des peines de prison fermes chaque année qui sont en attente d'être exécutées.
On fait des lois au Parlement, mais ensuite quelle est l'application concrète sur le terrain ? On ne peut pas jeter la pierre aux magistrats non plus : ils n'ont pas de moyens. C’est une cohérence totale qui manque : la police ne fera rien sans la justice et inversement. Il faut une réponse pénale du début à la fin. On verra ce que fera ce gouvernement. L'intervention du président était la traduction de son programme de campagne. Il n'a pas fait d'annonces très concrètes mais je considère qu'au regard de tout ce qui a été dit, cette intervention va dans le bon sens.
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