Après la démission du chef d'état-major des armées Pierre de Villiers, le général Didier Tauzin se dit scandalisé par la réaction du président. Il craint que «dire la vérité aux élus de la Nation» quand on est général ne devienne «une faute».
RT France : La démission du général Pierre de Villiers de ses fonctions de chef d'état-major des armées met fin à une semaine de polémiques. Quel sentiment vous laisse cette affaire ?
Didier Tauzin (D. T.) : Je la regrette profondément, parce qu'il n'est pas en faute. Le général de Villiers a rempli son devoir de chef d'état-major des armées en disant aux élus français la vérité tel qu'il la vit. Il a été dans son rôle. Je suis scandalisé par l'attitude du chef de l'Etat à son égard : il l'a humilié en public. Ce n'est absolument pas une attitude de vrai chef, du moins tel que nous l'entendons dans l'armée. C'est-à-dire un chef humain, qui respecte ses subordonnés car il sait que ses hommes ont fait le don majeur de leur vie pour la France.
Au-delà de cette démission, une situation très inquiétante se met en place. En quelques années, c'est le deuxième général qui doit démissionner parce qu'il a dit ce qu'il pensait à des élus de la République. Le premier a été le général Soubelet, qui a dû partir après avoir simplement dit que la France allait mal et que les moyens de sa sécurité n'étaient pas suffisants. Cela se passe aujourd'hui, comme si dire la vérité aux élus de la Nation quand on fait partie de ceux qui sont chargés de la défendre et la protéger était devenue une faute.
Il revenait au général de Villiers de parler de ces coupes : l'argent que l'on enlève à l'armée se transforme en sang sur le terrain
RT France : Ce que reproche Emmanuel Macron au général De Villiers est d'avoir tenu ses propos dans l'espace public. Est-ce une raison qui vous semble valable ?
D. T. : Tout ce qui a été dit a été dit à huis clos, puis il y a eu une fuite. Elle n'est pas du fait du général de Villiers. Je ne connais que peu le général de Villiers, qui est bien plus jeune et qui n'était pas dans les mêmes services que moi, mais c’est un homme d'une très grande qualité et surtout c'est un légaliste ! C'est-à-dire quelqu'un qui respecte et a une haute estime de la loi et la hiérarchie. La fuite est sans doute le fait d'un député.
Mais d'où part l'affaire ? Tout commence quand Gérald Darmanin, ministre de l'Action publique et des Comptes, a proposé un plan de réduction des dépenses qui comprenait une coupe de de 850 millions d'euros dans le budget de la Défense pour cette année. Il l'a fait sans demander l'avis du général de Villiers, le responsable des forces. Emmanuel Macron, qui sans doute a bien d'autres choses à faire, a validé cette réduction des dépenses. Si Gérald Darmanin, qui est un homme très intelligent mais également arriviste et orgueilleux, avait condescendu à appeler le général de Villiers, ce dernier lui aurait expliqué qu'en ce moment au Mali les militaires français ont des véhicules qui ont le double de leur âge. Imaginez conduire en pleine opération un véhicule de 40 ans ? Le général de Villiers aurait pu dire au ministre que nos armements sont à bout de souffle, que pour faire voler un hélicoptère il faut en désosser quatre. Peut-être qu'en entendant cela, Gérald Darmanin serait revenu sur sa décision. Or, il ne l'a pas fait. Il revenait au général de Villiers de parler de ces coupes : l'argent que l'on enlève à l'armée se transforme en sang sur le terrain.
Emmanuel Macron sera peut-être un jour un bon chef d'état – le chemin est encore long
RT France : En conseil des ministres, Emmanuel Macron a déclaré que ce n'était pas «le rôle du chef d'état-major de défendre le budget des armées, mais celui de la ministre, Florence Parly». Partagez-vous cette façon de répartir les rôles ?
D. T. : Telle que fonctionne la démocratie française, cela ne peut pas marcher comme cela. La ministre des Armées vient d'arriver et n'y connaît rien. Elle a été manifestement complètement dépassée par cette affaire. De plus, est-ce que vous imaginez la ministre des Armées aller contre Emmanuel Macron ? Est-ce que vous imaginez la ministre des Armées qui poursuit une carrière politique s'élever contre une suppression de 850 millions d'euros ? Moi, pas du tout.
De son côté, le général de Villiers, qui n'a pas de carrière politique, est comptable du sang de ses soldats mais aussi de la sécurité des Français et de l'avenir de la France. Cette comptabilité de l'avenir de la France revient avant tout au président de la République, mais il est assez évident que cette dimension échappe un peu à tous nos présidents depuis 40 ans.
Emmanuel Macron sera peut-être un jour un bon chef d'état – le chemin est encore long – mais il y a une dimension qu'il a besoin d'acquérir pour cela : c'est que la vie des nations est tragique et que ce n'est pas uniquement en faisant une politique économique qu'on fait de la vraie politique. Le bien commun national passe d'abord par la protection de la France et des Français et donc par une armée solide. Or, aujourd'hui la France n'a plus une armée solide.
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