RT : Qu'est-ce qui a, d'après vous, provoqué ce différend entre le Qatar et les autres pays du Golfe ?
Ali Rizk (A. R.) : Je crois que le Qatar n’était pas très enthousiaste concernant ce qui s'est passé lors de la visite de Donald Trump en Arabie saoudite. En fait, ce qui c’est passé, c’est que nous avons vu le président américain entrer dans le camp saoudien. Le discours du roi Salmane a été d'une hostilité sans précédent envers l’Iran et le Qatar n’est pas trop enthousiaste envers ce qui constitue une politique hostile anti-iranienne. Et cela pour diverses raisons, dont l'une est un gisement de gaz naturel qui est à cheval entre l’Iran et le Qatar. De plus, le Qatar est circonspect lorsqu’il s’agit des tensions régionales, car il ne veut pas de différend qui implique des tensions religieuses.
Car il ne s'agit pas simplement de la rupture des relations diplomatiques, mais aussi de la fermeture des frontières terrestres et maritimes... C'est quelque chose de jamais vu jusqu'ici dans les relations des pays membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG).
L’administration Trump devrait être satisfaite d’un tel développement, parce que lors du discours qu'il a prononcé à Riyad, le président américain a placé le Hamas dans le même cadre que d’autres organisations terroristes. Et c’est vrai, les Qatariens ont des liens étroits avec Hamas : Khaled Mechaal, le chef du bureau politique du Hamas réside au Qatar.
RT : Mais certains pourraient dire qu'en coupant les liens et en accusant le Qatar de soutenir les groupes terroristes, comme de déstabiliser la région, l'attitude de l'Arabie saoudite a des airs d'hôpital qui se moque de la charité…
A. R. : C’est vrai. Je suis absolument d’accord. Il est bien documenté que l’Arabie saoudite appuie les terroristes, qu'elle est derrière l’idéologie wahhabite... C’est l’Arabie saoudite qui a diffusé cette idéologie à travers ses madrasas [écoles musulmanes]. Les journaux britanniques disent souvent que l’attentat de Manchester, par exemple, est le résultat de la diffusion de l'idéologie wahhabite que nous constatons à travers le monde. Mais moi, je crois que c’est tout simplement le résultat des doubles standards avec lesquels nous vivons.
Juste un exemple pour la mettre en lumière. Quand ils mentionnent que le Qatar fournit du soutien aux organisations terroristes, ils parlent principalement des liens étroits du Qatar avec les Frères musulmans. Et on sait par ailleurs que le Hamas est proche des Frères musulmans, et aussi que beaucoup de membres des Frères musulmans résident au Qatar.
Plus les gouvernements occidentaux nieront le fait que les liens des Saoudiens avec le wahhabisme ont contribué à l’intensification des attaques terroristes, plus longtemps ces attaques persisteront
Mais l’Arabie saoudite, et aussi les Emirats arabes unis, de même que le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, sont derrière cette décision à cause des liens étroits entre le Qatar et les frères musulmans. Mais vous avez raison – l’Arabie saoudite a joué un rôle beaucoup plus décisif que le Qatar en ce qui concerne la propagation de l’idéologie extrémiste, de laquelle le terrorisme se nourrit.
RT : Pourtant, il semble que les dirigeants anglais et américain continuent de se rapprocher des Saoudiens…
A. R. : Oui, il est intéressant que nous n’ayons vu aucune accusation émanant des représentants des gouvernements occidentaux sur le fait que l’Arabie saoudite diffuse cette idéologie. Je crois que plus les gouvernements occidentaux nieront le fait que les liens des Saoudiens avec le wahhabisme ont contribué à l’intensification des attaques terroristes, plus longtemps ces attaques persisteront. Sans aborder ce problème idéologique, vous ne pouvez pas mettre fin à tout cela, quelles que soient les mesures que vous prenez à l’intérieur du pays. Regardez, dans une période de quelques jours seulement, il y a eu deux attaques au Royaume-Uni, d’abord à Manchester, et ensuite cette attaque à couteau à Londres, et il y en aura encore plus si l’Arabie saoudite réussit toujours à échapper à ses responsabilités. Jusqu’à présent, Riyad réfutait toute responsabilité, allant jusqu'à se faire passer à tort comme l'un des pays en première ligne dans la lutte contre terrorisme. C’est complètement faux.
Il y a des clivages dans le bloc sunnite anti-iranien et c'est l'Iran et ses alliés qui vont en bénéficier
RT : Comment voyez-vous les conséquences que cette décision pourrait avoir sur la région ?
A. R. : Contrairement à ce que beaucoup attendaient et espéraient, à savoir qu’un solide bloc sunnite anti-iranien se constituerait, on voit déjà apparaître des lézardes au sein de ce bloc. Au final, c’est l’Iran qui va bénéficier de ces clivages. On va voir aussi comment d’autres pays du Golfe vont se comporter. Le Koweït ne veut pas devenir un ennemi de l’Iran, pas plus qu'Oman. Mais le point le plus significatif, c'est qu’il n’y a plus de bloc sunnite unifié, on en a eu la preuve aujourd’hui.
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