RT : Donald Trump a rencontré les dirigeants de plus de 50 pays musulmans, le 21 mai, lors d'un sommet à Riyad dont l’Iran était évidemment absent. Quelle est votre vision de cette situation ?
Martin Jay (M. J.) : C'est simple : l’Iran ne fait pas partie de sa vision globale, qui implique en grande partie un retour de la politique étrangère des Etats-Unis au modèle des années 1980 : réformer et rétablir les relations avant tout avec l’Arabie saoudite, et les rassurer d'un point de vue idéologique dans la région... Regardez, l’Iran étend son influence sur la région ces dernières années. Il est obligé de laisser l’Iran de côté, le contraire aurait été malhabile d'un point de vue politique. Mais en réalité, tout cela relevait des marchés de la Défense.
Donald Trump a mis de côté le fait que ces groupes terroristes sont financés par l’Arabie saoudite et que leur idéologie provient directement d’Arabie saoudite
En fait, voilà ce qu'il a dit à tous ces délégués, dont certains ont un très mauvais bilan en termes de droits de l’homme : «Nous ne sommes pas préoccupés par les droits de l’homme dans votre pays, par ce que vous faites avec vos propres peuples, nous allons même vous aider à rester au pouvoir. La chose la plus importante que vous devez comprendre, c’est que si vous achetez des armes américaines, nous vous aiderons et nous vous soutiendrons toujours.» Je crois que c’est là le principal message, et il a été exprimé avec force.
RT : Comme nous le savons, le président américain avait par le passé accusé l’Arabie saoudite de financer le terrorisme, et il n’était pas le seul. Cela signifie-t-il que tous ceux qui ont participé à cette réunion ferment les yeux sur cela ?
M. J. : Non, pas du tout. Il n’y pas beaucoup de gens qui regardent vraiment au-delà, qui n’ont pas cette vision bornée selon laquelle l’Arabie saoudite n’a aucun lien idéologique ou autre avec des groupes terroristes. Très peu de délégués présents à la réunion ont pu mettre de côté deux choses. D'abord, le fait que Donald Trump a complètement mis de côté non seulement cet aspect fondamental des choses qui est que ces groupes sont financés directement ou indirectement par l’Arabie saoudite, par le Qatar et d’autres, mais aussi que leur idéologie provient directement d’Arabie saoudite : le wahhabisme est la réplique de l’idéologie guidant nombre de ces groupes, comme Daesh et ses affiliés, de l’Atlantique jusqu’à l’Asie du Sud.
Trump critiquait l’Iran et ses alliés et intermédiaires, comme le Hezbollah, tout en contournant le fait que l’Iran et le Hezbollah ont été engagés dans des combats au corps à corps en première ligne avec Daesh
Mais, ensuite, l’essentiel n’est pas tant ce que Donald Trump a dit que ce qu'il n'a pas dit : il n’a pas mentionné Bachar el-Assad, par exemple. J'ai trouvé cela intéressant. Il a critiqué l’Iran et ses alliés comme le Hezbollah, occultant le fait que l’Iran et le Hezbollah sont bien sûr engagés dans des combats au corps à corps et en première ligne avec l’Etat islamique. Mais nous n’avons pas entendu de sa part de promesses concernant l'envoi de troupes américaines, de soldats américains pour soutenir des initiatives dans la région. Certains de ses discours ont pu sembler naïfs, mais, en tout cas, il y avait quelque chose de nouveau pour le président américain : la sobriété. Quand vous regardez Donald Trump, notamment à cause de certains de ses tweets, il peut parfois paraître fou ; mais quand il s’agit d'affaires importantes, de gros contrats, et si les professionnels en relations publiques ont établi un bon scénario (qui a dû être vérifié à l’avance avec beaucoup d'attention par les Saoudiens, j’en suis sûr) – quand cela arrive, Donald Trump devient sérieux et fait preuve d'un comportement intelligent. Il est même capable de saisir le sens de ce qu'il se passe au Moyen-Orient.
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