Emmanuel Macron reste, malgré un petit infléchissement de vocabulaire, prisonnier d'un complexe de supériorité à l'égard de la Russie - ce qui rappelle à l'historien John Laughland une des Fables de la Fontaine.
Le langage du corps dit tout haut ce que les hommes pensent tout bas. Ainsi, le président Poutine est arrivé à Versailles le 29 mai avec un grand sourire, qui n'était pas partagé par son hôte, Emmanuel Macron. En revanche, le sourire avait disparu quelques heures plus tard, quand les deux présidents donnaient leur conférence de presse. Le visage du président russe était redevenu de marbre, comme cela est son habitude.
Si Poutine a pu se réjouir d'une invitation à Paris au début du mandat du nouveau président de la République française - une invitation qui clairement indiquait une volonté de la part de Macron de rompre avec la spirale infernale qu'ont connue les relations franco-russes sous François Hollande - l'évidence a vite sauté aux yeux que le nouveau président français reste, malgré un petit infléchissement de vocabulaire, prisonnier du même complexe de supériorité, à l'égard de la Russie, non seulement que son prédécesseur immédiat mais aussi de la quasi-totalité des dirigeants occidentaux depuis des siècles.
Il s'agissait pour Macron, au contraire, de profiler l'Europe comme supérieure, sur le plan de la civilisation et des mœurs, à la Russie
En effet, Emmanuel Macron semblait vouloir s'inscrire explicitement dans cette longue et douloureuse tradition européenne en soulignant, au tout début de la conférence de presse, combien Pierre le Grand était venu en France en 1717 pour apprendre à moderniser son pays arriéré. Il ne s'agissait pas, pour le président Macron, de célébrer une longue histoire d'amitié franco-russe qui remonte bien au-delà du XVIIIe siècle et qui ne se réduit aucunement aux abstractions des Lumières ni aux échanges culturels et technologiques que les deux présidents ont évoqués. Il s'agissait pour Macron, au contraire, de profiler l'Europe comme supérieure, sur le plan de la civilisation et des mœurs, à la Russie. «Pierre le Grand est le symbole de cette Russie qui veut s'ouvrir à l'Europe,» sermonnait le jeune président de la République, se positionnant ainsi en donneur de leçons à l'égard de son puissant invité. «Cette Russie qui s'ouvre à l'Europe ... c'est cela que je voulais vous faire partager en vous invitant à Versailles.» Une Russie qui se fermerait à l'égard de l'Europe, par exemple en se tournant vers l'Asie, ou en ne respectant les consignes du politiquement correct, ne serait apparemment pas la bienvenue.
Le pari de Macron est d'autant plus absurde que, s'il y a une chose que les Russes ne supportent pas, c'est d'être traités comme des demeurés qui ont besoin de puiser dans la post-modernité européenne
On ne peut qu'être frappé par son culot. Si Emmanuel Macron, président de la République depuis à peine quelques semaines, veut faire de Vladimir Poutine, dirigeant de la Fédération de Russie depuis dix-sept ans, un bon petit élève de la supériorité européenne – de cette Europe qui se comprend aujourd'hui comme la patrie des minorités sexuelles et de la fin de l'histoire – c'est mal parti pour un renouveau (reset) des relations franco-russes. Téméraire est celui qui croit pouvoir ainsi être l'interlocuteur supérieur d'un vieux rusé comme Poutine : en regardant les deux présidents, on ne pouvait pas ne pas penser, même sur le plan de la physiognomonie, au corbeau (Macron) et au renard (Poutine) de Jean de la Fontaine. Le pari de Macron est d'autant plus absurde que, s'il y a une chose que les Russes ne supportent pas, c'est d'être traités comme des demeurés qui ont besoin de puiser dans la post-modernité européenne pour pouvoir se remettre «du bon côté de l'histoire» comme se plaisait à le répéter le président Obama. En réponse à la dissertation macronienne sur les Lumières et les «valeurs» de la France, Poutine a d'ailleurs répliqué en invoquant une histoire beaucoup plus ancienne et infiniment plus charnelle : Poutine a rappelé qu'Anne de Kiev, l'épouse du roi des Francs Henri 1er au onzième siècle, avait fondé deux grandes dynasties européennes, les Valois et les Bourbons, dont une est encore régnante aujourd'hui. C'était une façon élégante et décidément pré-moderne de répondre au post-modernisme fade de son hôte.
Certes, Emmanuel Macron a donné quelques gages à la position de Moscou, par exemple sur la Syrie où la France affirme désormais accepter la volonté russe de préserver la Syrie comme Etat. Le président français a également évoqué des «points de détails» sur l'Ukraine, évacuant ainsi les questions de principe comme l'«invasion russe de l'Ukraine» que pourtant 'il avait évoquée à peine quelques jours plus tôt. En même temps, Macron continue la politique du président Obama, son modèle, et de François Hollande, son parrain, qui nuance, de manière décisive, une détermination affichée d'en finir avec le terrorisme, en évoquant, de manière obsessionnelle, le concept de «transition démocratique» en Syrie, ce qui veut dire, concrètement, le départ de Bachar al-Assad. L'Occident s'accroche à cette position sans doute principalement pour sauver la face, tellement cette éventualité semble éloignée à cause de l'immuabilité russe sur la question.
Comme si tout cela ne suffisait pas, Macron a tenu à annoncer à la conférence de presse que le courant ne passait aucunement entre lui et Poutine sur le plan personnel
Sans doute l'aspect le plus désolant de cette conférence de presse glaciale était la crise de colère qu'Emmanuel Macron a piquée en réponse à une question d'une journaliste de RT. Généralement modéré dans ses propos, Emmanuel Macron a eu un accès d'humeur à l'égard de RT et de Sputnik. Sans citer un seul exemple de fausse information que ces deux agences auraient répandue à son encontre, mais sans doute pensant à celles sur le compte au Bahamas qui ont été relayées par tous les médias au monde, Macron a, une fois de plus, révélé son caractère à la fois infantile et autoritaire. Cette obsession avec les deux agences confirme les instincts profondément conformistes d'Emmanuel Macron, qui, dans cette affaire comme dans tant d'autres, semble ne faire que suivre la ligne dictée par le Congrès américain à Washington. Et dans la mesure où les Etats-Unis sous Trump semblent vouloir s'éloigner du consensus pluri-décennal incarné par le jeune nouveau locataire de l'Elysée, il suivra la ligne de conduite dictée à Berlin, où, la veille de la venue de Poutine, la chancelière Merkel et son ministre des affaires étrangères, Sigmar Gabriel, avaient proposé une «Europe» qui désormais prendrait le relais de la défense de l'Occident que Trump ne souhaite plus garantir. Dans la création de cette nouvelle «Europe», la Russie joue un rôle clé : celui de repoussoir, d'image négative contre laquelle l'Occident se définit et se défend.
Comme si tout cela ne suffisait pas, Macron a tenu à annoncer à la conférence de presse que le courant ne passait aucunement entre lui et Poutine sur le plan personnel. Conformément aux consignes données par Mme Merkel, Macron accepte que l'Europe soit condamnée à essayer de vivre en «bon voisinage» avec la Russie. Mais pour un président de la République qui veut à la fois dorer son blason en vue des élections législatives, en lorgnant une droite assoiffée d'un président digne de ses fonctions, et aussi réconforter la gauche en se montrant toujours «exigeant» quand le «progrès» est en cause, cette obligation géopolitique est compensée par un autre dicton que sa froideur semblait communiquer : pour souper avec le diable, il vaut mieux prendre une longue cuillère. En 1717, décidément, les Français faisaient preuve de plus de délicatesse.
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