RT France : Comment voyez-vous le quinquennat d’Emmanuel Macron ?
Jacques Myard (J. M.) : Ce sera difficile, parce qu’il a été élu par défaut. Il n’a pas de majorité politique stable. Il va devoir encercler le carré. Il ne peut pas véritablement compter, aujourd’hui, sur une majorité à l’Assemblée. Il dit «Je suis socialiste, je ne suis pas socialiste», le discours n’est donc pas clair. Il a été élu par défaut parce qu'en réalité les Français ne voulaient pas de Marine Le Pen. Elle a fait une très mauvaise prestation lors du débat télévisé, elle a été agressive, elle a perdu des points, elle a terminé à 34%. On voit très clairement qu’elle ne pouvait pas gagner. Pour ce qui est d’Emmanuel Macron, il a non seulement une base politique fragile, mais surtout il ne propose pas une politique économique forte de réformes. Il se borne à des réformettes insuffisantes pour lancer la croissance. En matière européenne, c’est un peu une fuite en avant : il propose la création d’un ministre de la zone euro qui contrôlerait les budgets : c’est une perte de souveraineté, et surtout cela ne va pas résoudre le problème, car on sait très bien que la zone euro est aujourd'hui en crise. L'Allemagne dégage des surplus commerciaux, la France est en déficit, les pays du Sud sont en extrême crise, l’Italie n’a pas retrouvé son PIB d’avant la crise de 2007. Comment faire ? Il y a une solution. C’est que cela devienne, bien sûr, une union de transfert, mais l’Allemagne ne veut pas payer pour le Sud, et même pour la France. On est donc véritablement dans une impasse. A ce titre, Emmanuel Macron est un idéologue eurobéat, il croit qu’il va pouvoir résoudre le problème. Je suis certain du contraire. A mon sens, il va vers un échec politique, car il n'est pas très clair en matière de choix politiques, et il ne va pas réussir sur le plan économique. Je suis très inquiet pour les mois, et même les années, à venir pour la France.
Aujourd’hui, nous sommes face à une France politique très balkanisée mais qui peut se regrouper sur des thèmes majeurs
RT France : Que disent de la situation actuelle en France les records du Front national et de l’abstention ?
J. M. : Certes, le Front national a fait un score important, mais à cause de gens qui ne voulaient pas voter Macron. On dit que 20% des gens qui sont venus de la droite conservatrice ont voté FN dans un élan de colère. Mais le FN est très loin de la majorité. Il lui reste encore à avoir un projet crédible sur le plan économique. Quant à l’abstention, cela montre que ces Français ne voulaient pas choisir entre Macron et Le Pen. Pire, quatre millions ont voté nul ou blanc. Moi, personnellement, j’ai voté blanc. C’est une défiance envers les deux candidats. Aujourd’hui on a une France politique très balkanisée, mais qui peut se regrouper sur des thèmes majeurs – la lutte contre le terrorisme, contre les dérives communautaristes –, à une condition : qu'ils soient incarnés par des hommes qui ont des idées claires. Emmanuel Macron n’a pas les idées claires, Marine Le Pen a peut-être des idées claires, mais elles ne plaisent pas aux Français. Attendez-vous à ce que la France surprenne encore le monde.
RT France : Quelles sont vos prévisions pour les législatives ?
J. M. : Les législatives c’est un combat dans chacune des 577 circonscriptions. On ne peut pas faire aujourd’hui un pronostic qui les englobe toutes. On sait que beaucoup de Républicains vont sauver leurs circonscriptions, Emmanuel Macron va sans doute en gagner, Marine Le Pen va en gagner, on risque donc d’avoir une chambre des députés, une Assemblée nationale extrêmement divisée. Ou il se peut qu’il y ait un groupe qui émerge, je souhaite que ce soit les Républicains, et qu’on impose à Emmanuel Macron une politique. Ce sera peut-être la cohabitation, mais au moins cela aura la mérite de la clarté. Je ne suis pas toujours favorable à la cohabitation, parce qu’un président socialiste avec une majorité républicaine, les Français n’aiment pas beaucoup cela. Mais pour les mois et les années à venir ce sera sans doute la meilleure solution.
On doit retrouver une coopération entre les Etats-nations, ce qui était à l’origine de la construction européenne et du traité de Rome
RT France : Quels seront les relations entre la France et l’Union européenne ?
J. M. : L’Union européenne est en crise. Il ne faut pas jouer à la politique de l’autruche. Aujourd’hui, on voit bien qu’il faut des réformes : il faut réformer Schengen, il faut arrêter les travailleurs détachés. Il faut appliquer le principe de subsidiarité – trop de choses sont montées à Bruxelles, elles doivent redescendre au niveau des Etats et on doit aller vers l’intergouvernemental. On doit retrouver des coopérations entre les Etats-nations, ce qui était à l’origine de la construction européenne et du traité de Rome. Il y a eu une dérive intégriste, idéologique et fédérale. Cette dérive est rejetée aujourd’hui par les peuples européens et en particulier par le peuple français.
RT France : Que pensez-vous de l’avenir de la relation entre la France et la Russie et de celle entre la France et les Etats-Unis ?
J. M. : La France doit conduire une politique indépendante. J’y tiens beaucoup. Sur ce point précis, Emmanuel Macron n’est pas clair. Personnellement j’ai toujours milité pour améliorer nos relations avec la Russie et lever ces sanctions. On ne peut pas continuer comme ça. La Russie est un grand partenaire pour la lutte contre le terrorisme, un grand partenaire économique et un grand partenaire pour la stabilité du continent européen. La même chose pour les Etats-Unis. Je ne suis ni pro-russe, ni pro-américain – je suis pro-français.
RT France : Que pensez-vous de la situation sécuritaire ?
J. M. : Sur ce point précis nous sommes tous unis contre le terrorisme. Il y a beaucoup à faire. C’est une plaie, c’est un danger, c’est un défi qui dépasse le cadre français, qui concerne aussi bien la Russie que les Etats-Unis. On a un combat commun à mener. C’est la raison pour laquelle la Russie n’est pas notre ennemi – la Russie est un partenaire pour lutter contre le terrorisme. Mais les Américains aussi, et on voit très bien que les Américains et les Russes coopèrent en matière de la lutte contre le terrorisme. Nous avons un combat commun, c’est un combat de civilisation contre le fanatisme.
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