A l'issue d'une campagne présidentielle d’une «médiocrité sans nom», c’est le programme néolibéral et en faveur du fédéralisme européen tutélaire d'Emmanuel Macron qui l’a emporté, estime l'économiste Dany Lang.
RT France. Beaucoup de gens sont satisfaits d’avoir fait barrage au FN lors du deuxième tour de l’élection. Pour autant, peut-on considérer que Macron est une meilleure option ?
Dany Lang(D.L.) : Le FN est un parti qui a une longue histoire et qui a été fondé par des nostalgiques du IIIe Reich et de l’Algérie française. Contrairement aux caricatures qui en sont souvent faites, je ne pense pas qu’au FN il n’y ait que des fascistes et des racistes. De nombreux électeurs du FN sont des perdants de la mondialisation néolibérale et expriment un authentique désespoir et une colère légitime. Mais le parti a tout de même un passé, voire un passif. Au plan de la politique économique, le programme actuel du FN est assez contradictoire, il a tendance à dire tout et son contraire. Mais je pense que lors du deuxième tour de la présidentielle, les deux programmes économiques proposés étaient mauvais et dangereux pour des raisons très différentes et c’est le programme néolibéral et en faveur du fédéralisme européen tutélaire qui l’a emporté.
Le programme d'Emmanuel Macron est extrêmement brutal, d’inspiration thatchérienne
RT France : Quels seraient les défauts du programme économique d’Emmanuel Macron ?
D. L.: Ils sont nombreux. Je vous conseille de vous référer aux notes que j’ai rédigées avec Henri Sterdyniakpour les Economistes Atterrés : Emmanuel Macron se prépare à faire tout le contraire de ce qu’il faudrait faire dans le contexte actuel de risque de déflation et de fragilité de l’économie mondiale. Ce programme, sous prétexte de faire baisser le chômage, va le faire augmenter tout en aggravant la précarité et le désespoir. Il est extrêmement brutal, d’inspiration thatchérienne. Il va inutilement faire souffrir les Français tout en aggravant la récession au plan européen car la France est une grande économie européenne et que quand elle éternue, c’est toute l’Europe qui tousse. En matière budgétaire, le programme d’Emmanuel Macron est étrange. D’un côté, il y a 60 milliards d’euros de baisse des dépenses publiques. De l’autre, 50 milliards d’investissement public annoncé, ce qui ramène les économies projetées à 10 milliards d’euros nets. Comme Macron a annoncé qu’il respecterait très rigoureusement les critères de Maastricht, il est d’ailleurs loin d’être certain que les 50 milliards de dépenses prévues seront engagées.
La France est une grande économie européenne et que quand elle éternue, c’est toute l’Europe qui tousse
De plus, avec les ajustements promis, on assistera à une baisse de la consommation parce que les heures supplémentaires seront payées peu ou prou comme des heures normales. S’y surajoutent la suppression prévue de 120 000 postes de fonctionnaires et tous les emplois induits que cette mesure va contribuer à détruire, la perpétuation du CICE de Hollande que Macron avait initié sous forme de baisses de cotisations sociales. L’emploi «CICE» coûte 280 000 euros par an ! Ces 280 000 euros [par emploi] viendront s’ajouter aux baisses de cotisations déjà existantes, politique entamée dans les années 1990 et qui n’a jamais fonctionné. N’oublions pas non plus sa promesse de démantèlement complet du droit de travail par ordonnances, qui va accentuer très fortement la logique de la loi El Khomri, avec tous ses travers. Cette politique économique sera particulièrement brutale pour les employés, les salariés, les fonctionnaires, les PME – tous les perdants de la mondialisation, en somme.
RT France. Pensez-vous qu’Emmanuel Macron soit en mesure de décrocher une majorité aux législatives et de mettre en œuvre les réformes que vous venez de mentionner ?
D.L. La question se pose. Vous savez que, traditionnellement, les Français donnent une majorité au parti du président élu, surtout depuis l’inversion du calendrier électoral de 2002. J’ignore ce que disent les sondages actuels, sachant en outre qu’ils se trompent souvent. Dimanche soir, il est apparu qu’un grand nombre de gens se sont abstenus (près de 25%), que 12 % des inscrits ont voté blanc ou nul, que, analyse faite de la composante électorale et de ses motivations, le taux de votants Macron adhérant aux idées d’En Marche! est vraiment faible.
Macron a fait comme si une majorité de Français adhéraient à son programme ce qui n’est pas le cas
La question de la majorité va donc se poser puisqu’il est fort probable que l’état de grâce soit très limité : une fois Macron à l’Elysée, les gens vont se pencher sur ses propositions et son programme. Or, le peuple français n’est majoritairement pas favorable au libéralisme économique. On l’a vu au soir du premier tour : les projets néolibéraux ont acquis un soutien minoritaire par rapport à l’ensemble des voix recueillies, même si l’on ne peut pas additionner les voix du FN, de Dupont-Aignan, de la France insoumise, etc. Le libéralisme est tout de même minoritaire en France, même au sein de l’électorat de droite. Peut-être que l’Histoire me donnera tort, mais je ne suis pas convaincu de l’obtention automatique de cette majorité. D’un côté, il y a les traditions du peuple français qui a toujours donné une majorité à son président élu, de l’autre, le faible taux d’adhésion à un projet économique brutal et néo-thatchérien. Macron a fait comme si une majorité de Français adhéraient à son programme ce qui n’est pas le cas.
La campagne présidentielle qui vient de s’achever a été d’une médiocrité sans nom
Enfin, n’oublions pas l’aspect de politique internationale. Je ne suis pas persuadé du fait que son côté atlantiste, suiviste des américains à tout-va, anti-russe et pro-guerre à tous les niveaux satisfasse de larges majorités, loin de là ! S’engagera-t-on dans toutes les guerres derrière Donald Trump ? Je ne pense pas que cela corresponde à la volonté du peuple. Il est donc probable que le thème de la paix et des relations internationales sera très discuté lors des législatives.
Il y a pas mal de gens qui se plaignent qu’on leur a volé cette élection et qui vont se mobiliser pour les législatives
La campagne présidentielle qui vient de s’achever a été d’une médiocrité sans nom, à l’image du président sortant qui avait bien caché son projet sous une fumée de discours creux, de phrases incomplètes et d’incantations vides de sens. Après, s’il y a une campagne de presse pro-Macron aussi intense que celle qu’il y a eu aux présidentielles, qui sait, peut-être obtiendra-t-il une majorité. Cependant, il y a pas mal de gens qui se plaignent qu’on leur a volé cette élection et qui vont se mobiliser pour les législatives. Il n’est pas exclu qu’en cas de majorité relative, Macron essaye de gouverner avec les libéraux du PS et ceux des Républicains. On verra.
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