Spécialiste des questions européennes, Pierre Lévy réagit aux déclarations du président français accusant la Russie de «s’affirmer en tant que puissance»… ce qui est précisément l’ambition affichée de l’UE.
On l’avait presque oublié, en ces temps d’étrange campagne électorale : François Hollande règne toujours sur l’Elysée.
Le 6 mars, il recevait les chefs des gouvernements allemand, italien et espagnol. Ce mini-directoire qui ne dit pas son nom s’est retrouvé à Versailles, dans le château du Roi-Soleil ; il visait à préparer le sommet européen prévu les 9 et 10 mars, et surtout celui du 25 mars. Avec cette question lancinante qui torture les dirigeants des Vingt-sept : quel avenir pour l’UE ? Alors que cette dernière s’avère de plus en plus impopulaire.
C’est sur ce thème que le président de la République française avait choisi de s’exprimer le jour même dans les colonnes de six grands quotidiens européens, dont Le Monde daté du 7 mars. Il n’a cependant pas manqué de répondre aussi à des questions sur les rapports avec Moscou. Des questions totalement neutres et même bienveillantes, puisque la première fut ainsi formulée : «Quel niveau de menace représente la Russie actuellement ?»
Cette évocation de la «menace» russe a été accueillie tout naturellement par le chef de l’Etat, qui a pointé la volonté du Kremlin de «peser sur les espaces qui étaient autrefois les siens dans l'ex-Union soviétique». Et de citer évidemment l’Ukraine.
Peut-être la mémoire de François Hollande se brouille-t-elle ? Il faudrait alors lui rappeler que les événements de Maïdan, avec les suites qu’on leur connaît, sont la conséquence directe des années de pression intense exercée sur Kiev par l’Union européenne
Si un lecteur débarquait aujourd’hui et découvrait les événements internationaux des dernières années, il comprendrait donc que Vladimir Poutine a été subitement pris de l’envie de conquérir militairement l’ex-République soviétique, en commençant par la Crimée.
Peut-être la mémoire de François Hollande se brouille-t-elle ? Il faudrait alors lui rappeler que les événements de Maïdan, avec les suites qu’on leur connaît, sont la conséquence directe des années de pression intense sur Kiev exercée par l’Union européenne. Avec un but tout à fait officiel : mettre en place un «partenariat oriental» et «arrimer» ainsi – le terme est celui qui est traditionnellement employé à Bruxelles – les pays d’Europe de l’Est et du Sud-est.
Faut-il donc comprendre que cette coupable volonté de s’affirmer en tant que puissance est une exclusivité russe ?
Mais que veut donc dire «arrimer», si ce n’est récupérer dans sa zone d’influence ? Ce dont les dirigeants de l’UE ne faisaient au demeurant pas mystère. Mais ce qui est naturel pour l’UE – qui ne cesse d’afficher ouvertement sa volonté «de jouer un rôle majeur dans le monde» (il est vrai heureusement sans grand succès) – est détestable dès lors que ces intentions sont attribuées à la Russie. Ainsi, cette dernière «s'affirme comme une puissance ; elle teste nos résistances et mesure à chaque instant les rapports de force», accuse le maître de l’Elysée.
Faut-il donc comprendre que cette coupable volonté de s’affirmer en tant que puissance est une exclusivité russe ? Jamais les Etats-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni et… la France n’auraient imaginé une telle ambition…
Ni employé des moyens aussi déloyaux que Moscou qui – que les personnes sensibles évitent de lire ce qui suit – n’hésite pas à mettre en œuvre une «stratégie d’influence, de réseaux». Jamais, par exemple, le département d’Etat américain n’oserait mettre en place – certes discrètement, mais tout à fait officiellement – des relais dans les banlieues françaises pour «recruter des talents», ni des institutions sélectionnant les «young leaders» appelés à devenir les futurs dirigeants français, moyennant des stages de haut niveau outre-Atlantique.
Quant aux réseaux français, il faudra un jour révéler à l’ancien maire de Tulle – avec les précautions nécessaires pour les âmes sensibles – ce qu’étaient (ce que sont) les structures de la «Françafrique» sur le Continent noir.
Le rejet croissant de l’Union européenne, de la mondialisation, du politiquement correct ? C’est le poison de l’influence russe qui le fabrique, à tout le moins qui est déterminant pour bouleverser les tranquilles donnes électorales qui prévalaient depuis plus de trois décennies…
Enfin, le chef de l’Etat fait part d’une indignation particulière quant à une Russie qui «utilise tous les moyens pour influencer les opinions publiques». Dans le contexte, chacun comprend l’allusion au chef du Kremlin quotidiennement accusé de tirer les ficelles des élections françaises puis allemandes, après avoir réussi à installer Donald Trump à la Maison-Blanche.
Le pire, avec ces affirmations, c’est que leurs auteurs finissent par eux-mêmes les croire. Le rejet croissant de l’Union européenne, de la mondialisation, du politiquement correct ? C’est le poison de l’influence russe qui le fabrique, ou à tout le moins, qui est déterminant pour bouleverser les tranquilles donnes électorales qui prévalaient depuis plus de trois décennies…
S’ils finissent par se convaincre de la véracité de leur propre propagande, et ainsi par faire l’impasse sur les analyses lucides de la réalité, les dirigeants européens se préparent décidément des lendemains de plus en plus agités, pour ne pas dire cauchemardesques.
Et le maître de l’Elysée conclut : «Il faut démasquer les opérations idéologiques [et] dire très clairement qui est avec qui, qui est financé par qui.»
Chiche ?
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