Bannir des populations c'est mal, mais les massacrer, n'est-ce pas bien pire ?

Le décret «anti-réfugiés» de Donald Trump a suscité un tollé aux Etats-unis mais rien de tel n'avait été remarqué quand Barack Obama soutenait les escadrons de mort djihadiste : un paradoxe sur lequel se penche le journaliste Neil Clark.

Qu'est-ce qui est moralement le plus répréhensible : (1) interdire temporairement l'entrée aux réfugiés et migrants d'un petit nombre de pays ou (2) tuer des individus et détruire leurs pays par l’intermédiaire de guerres illégales afin de procéder à un changement de régime ?

Ca semble clair, non ? C'est de toute évidence la deuxième proposition.

On dirait bien. Pourtant, certains croient que la première option est bien pire que la deuxième.

Comment expliquer autrement le fait que de larges pans de la gauche libérale occidentale soient plus outrés par le décret Trump concernant quelques pays musulmans (aussi injuste qu'elle soit) qu'ils ne l'étaient par la guerre qui a détruit la Libye, pays qui avait, à l'époque, le niveau de vie le plus élevé d'Afrique.

Dans leur croisade anti-Trump, certains «progressistes» semblent parfaitement à l'aise à l'idée de joindre les mains et chanter «Kumbaya» avec des fauteurs de guerres en série, guerres qui ont en premier lieu causé la crise des réfugiés.

Donald Trump a été traité de fasciste et comparé à Hitler et Mussolini au sein de la Chambre des communes

Le décret exécutif de Donald Trump a provoqué un gigantesque tollé de la part des libéraux, alors que rien de cette envergure n'a eu lieu quand Barack Obama soutenait les escadrons de la mort djihadistes en Syrie. On a effectivement vu des protestations massives aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Plus de 1,7 millions de personnes ont signé une pétition appelant à annuler la visite d'Etat du président américain au Royaume-Uni. Donald Trump a été traité de fasciste et comparé à Hitler et Mussolini au sein de la Chambre des communes, alors que, dehors, des manifestants en colère criaient sur Downing Street : «Donald Trump doit s'en aller !» 

«Si l'indignation synchronisée fait partie des Jeux olympiques, nous allons sans aucun doute avoir une médaille», a pu dire le commentateur politique Quentin Letts.

Il n'est pas surprenant que vous n'arriviez pas à vous souvenir d'un tel niveau d'indignation synchronisée lors des bombardement en Libye par Barack Obama. Des manifestations de cet ordre n'ont pas eu lieu. Personne n'évoquait de grève à Hollywood. 

Il ne faut pas être un partisan de Donald Trump pour reconnaître que «Barack O'Bomber» et ses prédécesseurs à la Maison Blanche s'en sont bien tirés. Déportations ? Le «libéral» Barack Obama a expulsé plus de 2,5 millions de migrants sans papiers entre 2009 et 2015, avec un record de 438 421 personnes en 2013.

Le décret exécutif de Donald Trump n'est pas apparu en un instant, la liste des «pays suscitant la préoccupation» avait déjà été compilée par l’administration de Barack Obama

Et, autant que je sache, Owen Jones n'a organisé aucune protestation.

Le décret exécutif de Donald Trump n'est pas apparu en un instant, la liste des «pays suscitant la préoccupation» avait déjà été, comme l’a souligné Seth Frantzman, compilée par l’administration de Barack Obama. Les médias devraient également être sincères avec le public : «Au lieu de clamer que Donald Trump a banni sept pays, ils devraient noter que c'est le Congrès américain et le département de la Sécurité intérieur qui l'ont fait», a indiqué Seth Frantzman.

Mais l’hypocrisie ne s’arrête pas à ça.

Nous avons beaucoup entendu, ces derniers jours, que le décret de Donald Trump était un «assaut sur les valeurs américaines» (Barack Obama lui-même a dit que les «valeurs américaines» étaient en jeu), évoquant l'image des Etats-Unis avant Trump dont les portes étaient grandes ouvertes au réfugiés en provenance du monde entier.

La vérité est qu'il a été assez difficile, pendant une longue période, d’entrer aux Etats-Unis si vous aviez le «mauvais» type de passeport, et parfois même si vous aviez le «bon».

«Les Américains semblent penser qu'il est bien de soumettre tout le monde à un kafkaïen passage entre les mains de leur Sécurité intérieur, alors que, lorsque eux-mêmes voyagent, ils s'attendent à ce que l'on les laisse entrer sans le moindre tracas,» écrit Peter Hill dans le Daily Express.

Nous connaissons tous quelqu'un qui a été refoulé par les services américains d'immigration pour ne pas remplir tel ou tel critère et a été renvoyé directement par le prochain vol. Le fils d'amis hongrois a toujours rêvé d’aller aux États-Unis et espérait y travailler, mais il a été refoulé à son arrivée, les autorités ne voulant pas croire qu’il avait assez d’argent pour subvenir à ses besoins.

C'est bien le droit des autorités américaines. Les Etats-Unis sont un pays souverain et ils déterminent leurs propres droits d'entrée. Cette approche rigoureuse des frontières n'est pas apparue au moment où l'incarnation du diable, Donald Trump, est officiellement devenu président.

Cela dit, il y a des motifs légitimes pour protester contre les ordonnances du nouveau président.

Même s’il n’était pas responsable des guerres menées à des fins de changements de régimes qui ont débouché sur la crise migratoire, et même s’il a promis une politique étrangère moins interventionniste, Donald Trump doit au moins reconnaître que les Etats-Unis ont une obligation morale d’accueillir les réfugiés provenant des pays qui ont été déstabilisés par les administrations américaines précédentes. 

Bertolt Brecht pourrait dire, s’il était là : qu’est-ce que c’est, pour un Libyen, un refus de visa comparé au largage d’une bombe ?  

On peut aussi demander, pourquoi certains pays sont touchés par cette interdiction temporaire, alors que d'autres non. Si c’est une question de la sécurité nationale, pourquoi donc l’Arabie saoudite, le pays d’origine de 15 des 19 terroristes du 11 septembre, n’est pas sur la liste ? Je ne propose pas d’interdire l’entrée aux Etats-Unis aux ressortissants saoudiens, je relève juste une omission. Mais, si l’ordre exécutif de Donald Trump étant, sans aucun doute, injuste, la réaction qui l'a suivi était exagérée par comparaison avec l’absence totale de réaction à des choses bien pires que le gouvernement des Etats-Unis a commises. Comme Bertolt Brecht pourrait dire s’il était là : qu’est-ce que c’est, pour un Libyen, un refus de visa comparé au largage d’une bombe ? Le Tribunal Nuremberg de 1946 a jugé que le commencement d’une guerre d’offensive était un «crime international suprême». Il semble bien qu’on l’ait oublié aujourd’hui.

La «sorosification» de la gauche libérale occidentale est telle qu'imposer un contrôle de l’immigration est maintenant considérée comme un crime plus abominable que le fait de déclencher des guerres impérialistes, cause principale de l’immigration depuis le Moyen-Orient. En parallèle, les gens qui créent et incitent à des guerres destructives pour des gains économiques contre les pays du sud sont vus comme moins répréhensibles que ceux qui défendent les restrictions en matière de visas... surtout s’ils condamnent ouvertement les restrictions en matière de visas.  

Les libéraux, par exemple, ont loué l’ancienne secrétaire d’Etat, Madeleine Albright, qui a déclaré qu’elle était «prête à devenir musulmane en signe de solidarité» contre Donald Trump. La même Madeleine Albright a dit un jour que la mort d’un demi million d’enfants (dont la plupart était musulmans) en Irak à cause des sanctions, en «valait la peine».

Il faudra donc inviter John McCain, aspirant bombardier de Téhéran, à une prochaine manifestation en «Solidarité avec les musulmans»

Madeleine Albright va-t-elle susciter des protestations de grande ampleur lors de sa prochaine visite au Royaume-Uni pour avoir soutenu cet infanticide en Irak ? Ne retenez pas votre souffle. Elle est contre «le Donald», donc elle c'est une bonne personne. Le belliciste en série John McCain est aussi sorti pour critiquer l’ordre exécutif de Donald Trump. Un homme qui, quand on lui a demandé ce qu'il ferait face à l’Iran s’il devenait président, a chanté «Bomb, bomb, bomb Iran», sur la mélodie des Beach Boys, Barbara Ann.

Combien de musulmans auraient été tués, si John McCain avait bombardé l’Iran ? Mais bon, il s’oppose à l’interdiction de visas de Donald Trump, alors ce doit être un gars vraiment super. Il faudra donc inviter l'aspirant bombardier de Téhéran à une prochaine manifestation en «Solidarité avec les musulmans», n’est-ce-pas ?

En 2015, un rapport intitulé «Décompte des morts», établi par les Physicians for Social Responsibility [professionnels de la santé pour le désarmement nucléaire et la prévention de la violence], les Physicians for Global Survival [Médecins pour la survie mondiale], et l’IPPNW [Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire] ont révélé qu’au moins 1,3 millions de personnes avaient péri dans la «guerre contre le terrorisme» menée par les Etats-Unis, en Irak, en Afghanistan et au Pakistan. Comme je l'écrivait à l’époque : «Cela peut sembler horrible, mais le total de 1,3 millions de morts n’inclut pas les victimes d’autres zones de conflit, telles que le Yémen – et les auteurs soulignent que ce chiffre est une "estimation prudente"».

La grande majorité des gens tués de par le monde sont des musulmans. Comme il est dommage que leurs morts, aussi bien que les morts de beaucoup d’autres personnes dans les opérations de changement de régime effectuées par les Américains ou au cours de leurs «interventions libérales», n’aient pas causé le même niveau d'«indignation synchronisée» que l’ordre exécutif de Donald Trump.

Du même auteur : Imaginez... que les troupes russes soient massées aux frontières de l'Amérique