RT France : 180 000 civils ont réussi à quitter Mossoul et ses environs et ont rejoint différents camps d'accueil. L'OMS s'attend d'ici à la fin de l'offensive a plus de 700 000 déplacés. Avez-vous (Terres des hommes et les autres ONG sur place) les moyens de faire face à la situation ? Ou se dirige-t-on vers une catastrophe humanitaire ?
Steve Ringel (S. R.) : Il y a aujourd'hui moins de personnes déplacées que prévu. Les ONG ont par conséquent les moyens de faire face à la situation. Les populations déplacées qui ont accès aux camps ont davantage de chances d'être à l'abri d'une crise humanitaire. Par contre, les populations qui n'ont pas la possibilité de fuir les combats à l'est de Mossoul ou sur le territoire contrôlé par Daesh autour d'Hawija ou de Tal Afar sont en situation de catastrophe humanitaire. Les prix des denrées de base ont été multipliés par dix dans les zones contrôlées par Daesh et l'accès aux soins est très restreint. La vie des populations locales y est devenue extrêmement difficile au quotidien.
Pour notre ONG Terre des hommes, les principales préoccupations et actions ne sont pas liées à l'assistance dans les camps, mais bien au soutien aux personnes déplacées qui vivent hors des camps, sur les lignes de front et dans les zones difficiles d'accès comme à Shirqat et au sud de Tal Afar. Mais l'accès aux populations déplacées sur les zones militaires reste difficile.
Les enfants reproduisent la violence et la guerre dans laquelle ils vivent depuis deux ans
RT France : La plupart des civils qui fuient Mossoul ont vécu pendant plusieurs années sous le joug de l'Etat islamique, certains jeunes enfants n'ont rien connu d'autre. Présentent-ils des signes de traumatisme ? Comment gérer ces souffrances psychologiques qui s'ajoutent à la douleur de la fuite et aux conditions de vie difficiles ?
S. R. : Les enfants n'ont pas été scolarisés depuis juin 2014 sur les territoires contrôlés par l'Etat islamique. Trois années scolaires ont donc été perdues. Beaucoup d'entre eux ont été témoins de scènes de violence qu'aucun enfant ne devrait jamais vivre. Le traumatisme qu'ils ont subi se répercute sur leur comportement. Les enfants reproduisent la violence et la guerre dans laquelle ils vivent depuis deux ans. Terre des hommes a mis en place pour ces enfants ce que nous appelons des «Child Friendly Spaces» (espaces adaptés aux enfants). Ce sont des lieux encadrés et animés par des professionnels du soutien aux enfants, dans lesquels ils se sentent en sécurité et où ils se retrouvent entre eux. Ils y trouvent des activités de jeux et d'expression artistique, mais aussi, et c'est important, un soutien psychologique d'urgence si besoin. Nous avons également mis en place des lieux d'apprentissage scolaire temporaires, afin de faciliter leur future intégration à l'école. Car c'est bien l'objectif visé, leur permettre de retrouver le plus rapidement possible leur vie d'enfant, aller à l'école, jouer avec des copains, apprendre à lire et à écrire.
Les forces de mobilisations populaires chiites sont des acteurs incontournables pour nous permettre de fournir une assistance humanitaire d'urgence
RT France : La coalition internationale et les forces irakiennes sur place vous fournissent-elle une aide ?
S. R. : Terre des hommes est financé en Irak par l'Union européenne [via le service de la Commission européenne à l’aide humanitaire et à la protection civile (ECHO)], la coopération étasunienne (USAID/OFDA) et la coopération suisse (DDC). Notre mission est de fournir aux populations qui fuient les combats au plus proche des lignes de front une aide d'urgence en eau potable et en assainissement, des articles de première nécessité, et de mettre en place des mesures de protection de l'enfance ainsi qu'un soutien éducatif. Au-delà de ces financements, nous n'avons pas sollicité d'aide spécifique à la coalition internationale pour la mise en œuvre de ces projets. Par contre, les forces de mobilisation populaire chiites sont des acteurs incontournables pour nous permettre de fournir une assistance humanitaire d'urgence aux populations déplacées dans les zones difficiles d'accès comme Tikrit, Baiji, Shirqat et Tal Afar.
Lire aussi : Alep-Mossoul : un traitement de l’information à géométrie variable