La Russie et l'Algérie pourraient-elles unir leurs forces pour restaurer la paix en Libye ? Tewfik Abdelbari, journaliste à TSA Algérie, revient sur cette idée en s'appuyant sur une source algérienne proche du dossier.
RT France : Vous avez récemment évoqué dans votre article sur les relations entre la Russie et la Libye certaines démarches effectuées par la partie russe afin de nouer des relations avec le maréchal Khalifa Haftar, chef de l'autoproclamée Armée nationale libyenne et allié du parlement de Tobrouk, opposé au Gouvernement d’union nationale (GNA) soutenu par l'ONU. Comment cette figure est-elle perçue en Algérie ?
Tewfik Abdelbari (T. A.) : Cette figure est devenue incontournable, notamment depuis qu’il a saisi ce qu’on appelle «le croissant utile» avec les ports et les terminaux pétroliers du pays. Il a été reçu en Algérie le 18 décembre dernier, c’est un acteur important dans le but de promouvoir une solution politique du conflit, avant une solution militaire, ce qui est la position de l’Algérie. Il est perçu en même temps comme un facteur potentiellement déstabilisant. Il prend beaucoup d’ampleur à l’Est, et il pourrait menacer le gouvernement d’union nationale qui est installé à Tripoli, sous la direction de Faïz Serradj. L’on a peur qu’il prenne les armes contre ce gouvernement et qu’il déstabilise ainsi la situation. Mais c’est néanmoins un allié objectif de l’Algérie, car il lutte contre le terrorisme, et notamment l’Etat islamique qui est très présent en Libye. A ce titre, c’est un allié, même indirect, de l’Algérie.
L’avantage de l’Algérie c’est d’avoir établi en Afrique une forme de neutralité, à équidistance différents acteurs. Ceci lui permet d’être un interlocuteur pour les uns, et pour les autres
RT France : Vous parlez de la neutralité de l’Algérie et surtout de son rôle de médiateur potentiel dans la crise libyenne. Cependant, on évoque un conflit possible entre le gouvernement d’union nationale et le Maréchal Haftar. Pensez-vous que l’Algérie va prendre le parti pour l’un des deux opposants dans le conflit, ou va-t-elle plutôt rester neutre ?
T. A. : Justement, l’avantage de l’Algérie c’est d’avoir établi en Libye une forme de neutralité, à équidistance des différents acteurs. Ceci lui permet d’être un interlocuteur pour les uns, et pour les autres – pour Haftar, et pour le gouvernement d’union nationale. C’est ce qui fait la force de l’Algérie, et je pense qu’elle va miser là-dessus. Elle a déjà commencé une médiation entre les différents partis. Mais, à part ces deux acteurs, le gouvernement algérien a également reçu Aguila Saleh, le président du parlement qui ne reconnaissait pas non plus l'autorité de Serradj. L'Algérie essaie de trouver un compromis entre les différentes parties impliqués en vue d'une solution politique.
L’Algérie joue donc déjà un rôle de médiation, et je crois que sa neutralité, au moins apparente, la renforce dans la perspective d’une éventuelle solution politique.
RT France : Pensez-vous que la solution politique est plus probable qu’un conflit réel entre les deux partis s'opposant en Libye ?
T. A. : La Libye est dans une période assez sensible : le général Haftar, qui devient incontournable, est très puissant et contrôle une grande partie du territoire, alors que nous avons de l’autre côté un gouvernement affaibli, malgré la reconnaissance de la communauté internationale. Il y a donc la possibilité que Haftar puisse prendre l’ascendant sur Sarradj. L’Algérie va essayer d’éviter un affrontement armé qui pourrait plonger le pays dans le chaos : en réaction, le gouvernement qui se sentirait légitime, au moins a l'international, aurait peut-être la tentation de prendre les armes, par exemple à travers les milices qu'il contrôle directement ou indirectement.
Dire que l’Algérie se range officiellement du côté de Haftar serait un pas en avant un hasardeux
RT France : Vous citez dans votre article une source proche du dossier. Il y avait également un article sur Middle East Eye où une source proche des militaires algériens dit qu’il faut «se rendre à l’évidence, on ne va pas attendre indéfiniment que les partis politiques parviennent à s’entendre, la Libye a besoin que la loi soit appliquée par tous les territoires, et surtout une armée forte, capable d’assurer la sécurité jusqu’aux frontières, et avec les Russes nous avons la même vision des choses». Pensez-vous que c’est l’avis de tout le corps militaire algérien ou juste une opinion individuelle ?
T. A. : Honnêtement, je ne saurais me substituer à l’armée ou à une institution pour donner un avis, je ne connais pas la source en question [MEE]. Haftar est un allié objectif, parce qu’il combat le terrorisme et assure une certaine cohérence à travers les territoires libyens qu’il contrôle en grande partie. On peut estimer que c’est un interlocuteur crédible et important. Mais dire que l’Algérie se range officiellement du côté de Haftar serait un pas en avant un peu hasardeux.
Par contre, il y a effectivement des liens avec la Russie, qui prend clairement position en faveur de Haftar, même si elle reconnaît aussi le gouvernement d’union national de Sarradj. C’est un facteur de rapprochement, vu que l’Algérie et la Russie sont alliées et ont de bonnes relations.
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