Passation de pouvoir en Gambie : l'intervention militaire étrangère est-elle encore nécessaire ?

Passation de pouvoir en Gambie : l'intervention militaire étrangère est-elle encore nécessaire ?© Afolabi Sotunde Source: Reuters
Des Gambiens descendent dans les rues de la capitale Banjul pour célébrer l'investiture du nouveau président Adama Barrow à Dakar tandis que la fin de l'ère Jammeh semble s'achever.
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Alors que Yahya Jammeh semble plus que jamais isolé, pour Jean-Claude Marut, chercheur associé au LAM, la résolution de la crise n'est plus qu'une «question d'heures». La mission militaire menée par le Sénégal est-elle toujours essentielle ? Analyse.

RT France : Les Nations unies, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et une partie de l'armée gambienne ont annoncé leur soutien au président-élu Adama Barrow dans cette passation de pouvoir tendue. Reste-t-il des soutiens au président sortant Yahya Jammeh ?

Jean-Claude Marut (J.-C. M.) : C'est difficile à dire. Si il lui reste des soutiens, il ne doit plus y en avoir beaucoup. Le chef de l'armée ne le soutient plus. Les soldats ne résistent manifestement pas à la pénétration étrangère sur le territoire gambien et fraternisent avec la population. Il reste néanmoins une inconnue : reste-t-il un noyau dur autour de Jammeh prêt à le défendre jusqu'au bout ? C'est finalement le seul risque : qu'il y ait une sorte de garde rapprochée prête à lutter jusqu'au bout pour lui dans une sorte de baroud d'honneur. Mais sur la base des informations dont on dispose, on a vraiment l'impression que ce n'est plus qu'une question d'heures. Yahya Jammeh ne peut plus tenir.

Au delà de l'attrait pour le pouvoir, je pense que fondamentalement, Yahya Jammeh a cette crainte de subir le même sort qu'Hissène Habré

RT France : Yahya Jammeh peut-il faire face à des poursuites judiciaires dans son pays ou dans d'autres tribunaux africains après son départ de la présidence ?

J.-C. M. : Je crois que c'est ce qui explique sa résistance et pourquoi il tente par tous les moyens de s'accrocher au pouvoir. Au-delà de l'attrait pour le pouvoir, je pense que fondamentalement il y a cette crainte de subir le même sort qu'Hissène Habré qui est rejugé en ce moment à Dakar. Il y a une certaine ironie de l'histoire. Je pense qu'il y a ça en toile de fond. Yahya Jammeh avait des garanties de ne pas être poursuivi non seulement du gagnant de l'élection Adama Barrow mais aussi de la CEDEAO et du Nigéria. Adama Barrow lui avait dit qu'il pouvait rester en Gambie. Le Nigéria voulait bien l'accueillir, tout comme d'autres pays. Yahya Jammeh a donc eu des assurances, mais il y a aussi eu des discours contradictoires de la CEDEAO et de l'entourage de Barrow. Certains reparlent effectivement de lancer des poursuites, mais ce qui compte aujourd'hui c'est de voir comment va se passer sa reddition. 

Attribuer un rôle important au Sénégal, non seulement militaire mais également politique, peut apparaître au minimum comme une maladresse

RT France : L'intervention militaire de la CEDEAO, ou du moins pour l'instant la menace et présence des troupes étrangères, est menée par le Sénégal. Alors que ce pays et la Gambie entretiennent des rapports conflictuels, ce choix peut-il être préjudiciable ?

J.-C. M. : Effectivement le rôle attribué au Sénégal par la CEDEAO est important puisque c’est un général sénégalais qui commande les troupes et qu'il y a un fort contingent venant de ce pays. C'est assez problématique car les relations entre le Sénégal et la Gambie sont depuis longtemps exécrables. On sait que pour le Sénégal, la Gambie a toujours représenté une gène politique et économique. Ce qu'on appelle au Sénégal la coupure gambienne est un frein à l'unité nationale. Par ailleurs, l'ouverture de la Gambie sur le commerce mondial crée une concurrence jugée déloyale à l'économie et aux finances sénégalaise. Je crois que c'est un enjeu géopolitique majeur pour Dakar d'une manière ou d'une autre d'essayer de supprimer cette gène. Il y a eu une tentative en 1981, à la suite d'une intervention sénégalaise en Gambie, de régler ce différend avec l'instauration d'une confédération. Mais il s'est avéré que cette confédération était largement dominée par le Sénégal et cela a laissé un mauvais souvenir aux Gambiens. Il y a une crainte et une méfiance incontestables à l'égard du Sénégal. C'est un élément à prendre en compte. On peut dire que cette volonté hégémonique sénégalaise a renforcé le nationalisme gambien. Il est vrai que le fait d'attribuer un rôle important au Sénégal, non seulement militaire mais également politique - puisque le pays a accueilli la prestation de serment d'Adama Barrow - peut apparaître au minimum comme une maladresse. Ce n'était peut-être pas le meilleur choix possible.

N'est-on pas parvenu à un point où l'on pourrait laisser les Gambiens régler eux-même le problème ? Si l'armée bascule, n'a-t-elle pas la capacité de régler cette crise avec le soutien de la population ?

RT France : Les recours à plusieurs médiations et le choix d'une intervention rapide dans les heures qui ont suivi l'investiture d'Adama Barrow, peuvent-ils être vus comme un signal, lancé par la CEDEAO à d'autres dirigeants africains qui ne voudraient pas quitter le pouvoir, que désormais les principes et transitions démocratiques devraient suivre leurs cours sous peine de menaces d'intervention ?

J.-C. M. : On peut considérer que cela a valeur d'exemple sur la base de la défense des principes démocratiques. Mais on peut aussi remarquer que pendant de nombreuses années, on n'a guère entendu la CEDEAO ou l'Union africaine condamner les atteintes aux droits de l'homme en Gambie. A ma connaissance, Yahya Jammeh a toujours été accueilli dans tous les sommets. Néanmoins, mieux vaut tard que jamais. Si c'est une volonté de démontrer un attachement aux principes démocratiques, tant mieux. Cela peut être considéré comme positif. Mais c'est d'autant plus facile que la Gambie est un adversaire militairement très facile à vaincre. Il est évident qu'il n'y a aucun risque militaire pour la CEDEAO. Pour l'instant, on n'en est qu'à la menace avec la présence des troupes étrangères sur le territoire gambien.

Cela soulève d'ailleurs une autre question. On a vu que la simple menace de la CEDEAO a suffi à faire basculer l'armée gambienne. C'était cela l'enjeu de cette crise : quelle allait être l'attitude de l'armée. Visiblement elle a basculé. Cela a commencé avec son chef d'état major et il semble que les troupes basculent également, même si ce n'est pas en totalité. Face à ce constat, on est en droit de se demander si une intervention militaire extérieure est toujours d'actualité et légitime. N'est-on pas parvenu à un point où l'on pourrait laisser les Gambiens régler eux-même le problème ? Si l'armée bascule, n'a-t-elle pas la capacité de régler cette crise avec le soutien de la population ? On est passé d'un conflit électoral classique en Afrique - voir également ailleurs - et interne à un problème externe avec une solution extérieure. On sait bien que toute solution externe a parfois des effets pervers. Cela renvoie à la question plus large du moyen de se débarrasser d'un dictateur.

Il n'y a pas de fatalité d'une poursuite de l'intervention militaire

Les exemples de l'Irak, de la Libye ou de la Syrie montrent que les interventions extérieures ont des résultats plus ou moins catastrophiques sur les équilibres régionaux. Je ne dis pas que la situation est similaire en Gambie, mais la question peut se poser. La pression extérieure a eu des effets. On peut parler de succès pour la CEDEAO, pour le président Barrow et peut-être aussi pour la population gambienne. Mais à ce stade est-il encore nécessaire de poursuivre l'intervention ? Cela dépendra de ce qu'il va se passer à Banjul autour du palais présidentiel et du résultat de la médiation avec Yahya Jammeh. Il n'y a pas de fatalité d'une poursuite de l'intervention militaire.

Lire aussi : Gambie : 45 000 personnes ont fui le pays, en majorité vers le Sénégal

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