Les disparités entre les plus riches et les plus pauvres augmentent mais la hausse des marchés financiers qui dure depuis huit ans est en train de s'arrêter, explique l'analyste financier Philippe Béchade.
RT France: Le récent rapport d’Oxfam parle des disparités, il s’agit notamment des huit hommes les plus riches du monde qui possèdent autant que 50% des habitants de la planète. Comment expliquez-vous ce phénomène ? Vous surprend-il ?
Philippe Béchade (P. B.) : Pas du tout. C’est la conséquence de l’inflation de ce qu’on appelle les «actifs financiarisés» – les dettes d’Etat, les émissions obligataires des entreprises, les actions et l’immobilier. Etant donné que les 0,1% des plus riches détiennent 80% des actifs financiarisés, que les 1% des plus riches en détiennent 85%, il n’est pas étonnant qu'avec la hausse des marchés la fortune des 0,001% qui doivent détenir environ 50% de tous les actifs cotés négociables, ait progressé six ou sept fois plus vite que la croissance mondiale réelle.
La hausse des marchés obligataires qui dure depuis 8 ans est en train de s’arrêter
RT France : Quelle sera la tendance pour le prochain rapport d’Oxfam ? Pensez-vous que ces inégalités vont encore s'exacerber ?
P. B. : Tout dépend du comportement des marchés financiers. Je pense qu’il y a déjà un moteur qui s’arrête : la hausse des marchés obligataires, qui dure depuis 8 ans, est en train de s’arrêter. Ceux qui ont de gros portefeuilles obligataires, vont commencer à faire des moins-values dessus.
Ils y a encore beaucoup de plus-values attendues mais je pense qu'elles ne vont pas augmenter. Après, il y a les actions, et leur hausse dépend des injections des banques centrales. L’argent injecté par les banques centrales, par un phénomène translation, se retrouve en fait dans la poche des 1%, voire des 0,1% les plus riches, ceux qui peuvent acheter des actions avec un effet de levier. L’argent étant gratuit, il y en a d’avantage, on peut prendre plus de levier et plus on a de levier, plus on fait monter les actions et plus ceux qui les possèdent s’enrichissent. C’est aussi simple que cela. Mais c’est un enrichissement fictif parce qu’en fait on n'est riche que le jour où on a pu vendre. Le problème c’est qu’aujourd’hui les ultra-riches ne peuvent plus se vendre qu’entre eux, et les autres n’existent pas.
RT France : Comment peut-on lutter contre ces inégalités ?
P. B. : Je pense qu’il suffit que les marchés financiers cessent de monter, que les actions qui sont arrivées à un niveau de bulle phénoménale, que cette bulle se dégonfle, et vous verrez tout de suite que les riches seront beaucoup moins riches. C’est vrai qu’aujourd’hui les huit occupants d’un Falcon 50 possèdent autant que les 3,6 milliards les moins riches. Il y a deux ans, ils fallait un Boeing 737 ou un Airbus A319 et ses 90 occupants, il y a 5 ans il fallait un Airbus A320 avec 200 personnes à bord. Je pense que là, avec le Falcon 50, on est arrivé probablement au bout du processus.
Le seul moyen de l’équilibre - c’est de modifier le partage de la richesse
RT France : Le risque politique influence-t-il d’une certaine façon ces évolutions ? Le Brexit de la Grande Bretagne et l’élection de Trump pourraient avoir un impact quelconque sur les marchés financiers ?
P. B. : Non, je ne le crois pas du tout. Je pense même que l’élection de Trump, s’il exécute son programme, va rendre les riches encore plus riches, il va encore accroître les inégalités, puisqu’il projette de baisser les impôts. Il y a 50% de la population américaine qui ne paie pas d’impôts, parce qu’ils sont trop pauvres. Si vous réduisez les impôts, vous ne réduisez que les impôts payés par les plus riches qui seront mécaniquement encore plus riches. Le seul moyen de rééquilibrer - mais c’est le moyen dont personne ne parle naturellement - c’est de modifier le partage de la richesse. Aujourd’hui, entre 50% et 55% de la richesse créée par les entreprises va aux actionnaires, c’est-à-dire, au 0,001% des plus riches. Les entreprises n’investissent pas, ne créent que peu d'emplois, et surtout elles ne partagent pas la richesse créée avec les salariés. Au début des années 1980, il y avait quelque chose qui fonctionnait pas mal : c’était un tiers de la richesse créée les salariés, un tiers pour las actionnaires, un tiers en réserve ou réinvesti. Aujourd’hui, on n’investit pas, puisque ça grêve la rentabilité. On n’investit plus, on n’augmente pas les salariés et on donne tout aux actionnaires. Voilà l’origine des inégalités, sur laquelle personne ne veut revenir et personne ne parle de revenir.
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