Un récent rapport du renseignement US, dont le tiers est consacré à RT, vise à persuader le public que la Russie a influencé les élections américaines. Mais pour le journaliste Bryan MacDonald, le document est tout bonnement lacunaire et incohérent.
Le rapport tant attendu du directeur des services de renseignement nationaux (DNI) intitulé «Evaluation des activités et des intentions de la Russie dans les récentes élections américaines», n’avait vraiment pas besoin d'un titre aussi bavard. Ils auraient du l’intituler tout simplement : «Nous avons vraiment pris RT en grippe.»
Presque chaque grand média occidental a diffusé cette histoire. Mais la version la plus amusante était peut-être celle du New York Times.
Le «journal de référence» des Etats-Unis a acclamé le travail du DNI, le qualifiant d'«accablant et étonnamment détaillé». Quelques paragraphes plus loin, il est admis que l’analyse ne contenait aucune preuve concrète.
Ainsi, dans quelques colonnes de la Dame en Gris (le New York Times est surnommé «The Gray Lady»), après la description du rapport du DNI comme quelque chose de convaincant, il est reconnu qu'il ne s'agit là que de pures conjectures. «Le rapport déclassifié ne contient pas d’informations concernant comment les agences de renseignement ont recueilli leurs donnés ou comment ils ont tiré leurs conclusions», nous explique un certain David E. Sanger, journaliste. Ensuite, il sort un autre tour de son sac pour nous prévenir que le rapport «est voué à être attaqué pas les sceptiques».
Ce document semble avoir été préparé par un groupe d'individus ayant à peine une notion de ce qu'est la Russie
Oui, les sceptiques. Les affreux ! Ils ne prendraient pas pour argent comptant un document des services secrets. Surtout quand ce dernier prévient qu’une superpuissance militaire possédant des armes nucléaires intervient dans le processus démocratique américain, mais, ensuite, ne présente pas la moindre preuve de ces assertions. Sans mentionner le fait qu'il semble avoir été préparé par un groupe d'individus ayant à peine une notion de ce qu'est la Russie.
Par exemple, des émissions de RT telles que «Breaking The Set» et «The Truthseeker» sont mentionnées dans une partie supposée raconter comment RT a prétendument contrarié l’élection de Hillary Clinton. Mais les deux émissions ne sont plus diffusées depuis environ deux ans.
A l’époque, Clinton n’était même pas candidate du parti démocrate dans la course électorale de 2016. En plus de cela, curieusement, cela semble faire partie d’un très vieux rapport, anoté d'un minuscule avertissement à ce sujet.
Le flot d'informations obsolètes ne tarit pas. Les lecteurs peuvent être persuadés que le chef de RT en arabe est Aydar Aganin, et que le bureaux de Londres est dirigé par Daria Pouchkova. Le problème est qu'aucun d'entre eux ne travaille plus pour RT, et ce depuis longtemps déjà. Ils se concentrent sur la dernière, probablement parce qu’elle est définie comme «la fille d’Alexeï Pouchkov, l’actuel président du Comité des affaires étrangères du Parlement russe».
Mais, même si elle travaillait sur RT, y aurait-il quelque chose d’inhabituel à cela ? Après tout, beaucoup de journalistes ont des membres de leurs familles s'étant engangés dans la vie politique à un moment ou à un autre. Par exemple, James Rubin, époux de la présentatrice de CNN Christine Amanpour, était conseiller d’Hillary Clinton et a servi comme sous-secrétaire d’Etat américain sous son mari Bill Clinton.
Le fait d’avoir un point de vue ne correspondant pas à ceux des médias populaires libéraux est considéré comme un acte hostile par les services américains
En explorant les profondeurs
Alors, ce rapport, à quel point est-il mauvais ? Si vous deviez le noter sur une échelle de 1 à 10, il serait à 11. Le message essentiel semble être le suivant : le fait d’avoir un point de vue correspondant pas à ceux des médias populaires libéraux est considéré comme un acte hostile par les services américains. C’est tout particulièrement la vision du monde des médias libéraux qu’ils défendent ici. Maintenant, c’est à vous de juger si ce soutien, par des acteurs publiques, est légitime ou non.
Le rapport de la direction du renseignement est apparemment un travail d'experts du renseignement aux compétences exceptionnelles. Et pourtant, tout ce que vous apprenez sur RT est issu d'interviews accessibles au public et de tweets publiés par les employés de la chaîne. Et nous sommes toujours supposés croire que ce sont les meilleurs des cerveaux «russes» des trois agences – la CIA, le FBI et la NSA – qui ont travaillé pour produire ce truc ? Cela étant dit, la dernière agence mentionnée ne semble pas assumer pleinement ses responsabilités, faisant preuve, face au rapport, d'une confiance «modérée», par opposition à la «confiance élevée» des deux autres.
Il semble que ces «renseignements» ont été rassemblés en se basant sur des articles vieux de dix ans et mal traduits ainsi que sur des statistiques obsolètes depuis longtemps
Approximativement un tiers du rapport se focalise sur RT. Et nous devons avaler le fait que RT avait eu du succès là, où la puissance combinée de CNN, NBC, CBS, The Washington Post,The New York Times et des autres a échoué : influencer les élections américaines. Sans même mentionner la réalité, où 500 médias américains ont appuyé Clinton et seulement 25 d’entre eux le président élu Donald Trump. Il est temps de crier : «Stop !»
Il semble que ces «renseignements» concernant RT et qui sont proposés ici ont été rassemblés en se basant sur des articles vieux de dix ans et mal traduits ainsi que sur des statistiques obsolètes depuis longtemps. Par conséquent, le seul truc qui est vraiment pertinent quant à l’élection de 2016, se résume à l'idée suivante : «La Russie a piraté les élections des Etats-Unis, parce que RT a critiqué Clinton.» Evidemment, l’absurdité d'une telle affirmation échappera aux auteurs du rapport.
Ces erreurs sont le résultat inévitable du fait que le financement des études russes a été réduit à peau de chagrin aux Etats-Unis après l’effondrement de l’Union soviétique
Des faits bien fragiles
Les fautes sont innombrables. Les chiffres d’audience sont obsolètes. Tout cela donne une impression générale de sorte de compilation amateur faite par un think tank. En fait, on peut même dire que de nombreux rapports antirusses de firmes de lobbying sont bien plus brillants que ce résultat. Mais ce sont des aventuriers, avec de faux titres pseudo-académiques, alors que le rapport du DNI est supposé mettre en avant les esprits les plus éclairés des services de renseignement américains.
Bien sûr, on pourrait affirmer que c’était là le résultat inévitable du fait que le financement des études russes a été réduit à peau de chagrin aux Etats-Unis après l’effondrement de l’Union soviétique. Nombreux sont ceux ayant exprimé cet avis. Il est absolument évident que les trois agences doivent de toute urgence engager de meilleurs experts pour les bureaux russes. Par exemple, des personnes qui y ont passé un peu de temps et qui ont une connaissances rudimentaire de la langue.
Et il y a encore de nombreux points obsolètes. Concernant le nombre de vues sur YouTube, la rapport donne un chiffre de 800 millions pour RT. Alors qu'il est cinq fois plus élevé que ça, ayant atteint les quatre milliards. En fait, la chaîne en anglais à elle seule peut être fière de ses 1,5 milliards de vues.
Ce rapport est plus que mauvais. C'en est effrayant quand on pense à quel point le Président sortant Obama a intensifié sa pénible lutte diplomatique avec la Russie
Il faut se poser la question, car elle montre à quel point ce rapport est pitoyable. Les compilateurs n'ont même pas pris la peine d’engager un stagiaire pour mettre à jour leurs chiffres avant publication. Ca en dit long. Il en va de même lorsqu'un un article de Kommersant daté du 07/04/2012 est annoncé comme datant du 4 juillet, et non du 7 avril. Parce que vous imagineriez bien que les espions spécialisés sur la Russie seraient capables de comprendre le système de dates à l'européenne, n’est-ce pas ?
Ensuite, il faut voir comment les «enquêteurs» font référence à Dmitri Kiselev et Vladimir Jirinovski comme à des gens qui auraient de l’influence. Ils affirment que l’émission du premier privilégiait la candidature de Donald Trump. Mais il s'agit d'une émission nationale, en russe, visant les personnes qui habitent en Russie et qui ne peuvent pas voter aux élections américaines. De la même manière, la présence dans le rapport de Jirinovski est bizarre (il est décrit comme un «proxy du Kremlin»), car il n'est qu'un clown vieillissant. En outre, son commentaire invitant à «boire du champagne» à l’occasion de la victoire de Trump, était plutôt assez anodin compte tenu de sa réputation. Il s’agit d’un homme qui a pu un jour prédire que les soldats de George W. Bush seraient «mis en pièce» en cas d’invasion d’Irak. Jirinovski n’est pas vraiment Nostradamus. Et son influence sur Poutine se situe probablement entre «faible» et «nulle».
Le rapport du DNI est plus que mauvais. C'en est effrayant quand on pense à quel point le Président sortant Obama a intensifié sa pénible lutte diplomatique avec la Russie en se basant sur le travail de services de renseignement dépourvus de perspicacité et de qualité. En fait, vous pourriez affirmer qu’un groupe d'étudiants pourrait assembler quelque chose de semblable en ayant tout simplement lu de vieux articles de New York Times. Mais la conclusion la plus importante est qu’il est clair que le niveau de connaissance de la Russie aux Etats-Unis est médiocre, si non sinistrement bas. Et si on pourrait s’en amuser, les implications politiques actuelles sont plus que dangereuses.
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