Le spécialiste du renseignement Eric Denécé affirme que pour l’instant aucun élément public d'information ne permet de dire que le résultat des élections françaises pourrait être influencé par des cyberattaques.
RT France : Le ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian met en garde contre une éventuelle ingérence étrangère, notamment russe, dans l’élection présidentielle française. Est-ce une crainte justifiée ?
Eric Denécé (E. D.) : Pour l’instant aucun élément public d'information ne permet de dire que cette crainte est justifiée. Peut-être le ministère de Défense dispose-t-il d'éléments qui lui permettent d’avancer de tels propos. Il y a deux choses qu’il faut garder à l’esprit : aujourd’hui on assiste à une multiplication quasi-exponentielle des cyberattaques sur toutes sortes des sujets que cela concerne le ministère de la Défense, les services publics et bien évidemment tous les pays, pas spécifiquement la France ou les Etats-Unis, s’attendent à ce que des perturbateurs pas nécessairement étatiques puissent venir interférer dans les élections. La France ne fait pas exception à cela mais en même temps on n’a pas d’éléments pour l’instant qui permettent de le penser.
Au-delà des Etats qui sont très actifs en cyberattaques, on va trouver aussi toute une série de groupes non-gouvernementaux qui vont perturber les systèmes informatiques de leurs adversaires
RT France : La menace des cyberattaques est donc réelle ?
E. D. : Oui. La cyberguerre est quelque chose qui est devenu de plus en plus marqué dans le monde d’abord du fait des Etats. Il faut rappeler que parmi les Etats qui font le plus de cyberattaques on trouve les Américains – c’est notamment la mission de la NSA –les Chinois et les Russes, qui sont très au point, les Israéliens et les Anglais. Les Français et les Allemands sont un peu plus loin parce que nous n’avons pas les mêmes moyens. Et puis, au-delà de ces Etats qui sont très actifs en cyberattaques, on va trouver aussi toute une série de groupes non-gouvernementaux – des anarchistes, des libertaires, des activistes pour la liberté, pour la Défense de Snowden, pour la lutte pro-Palestinienne ou pro-Israëlienne –, les uns ou les autres vont perturber les systèmes informatiques de leurs adversaires.
Ce ne sont pas les cyberattaques en tant que telles qui permettent d’influencer, ce sont plus les médias
RT France : Pensez-vous que ce soit possible d’influencer le résultat des élections en France par le biais de cyberattaques ?
E. D. : Quand on parle d’ «influencer les résultats des élections» il faut séparer deux notions : est-ce qu’on peut influencer les élections ou leurs résultats. Est-ce qu’on peut influencer le résultat – à mon sens non, dans la mesure où le vote électronique reste extrêmement marginal où ce sont des gens qui déposent les bulletins de vote dans des urnes l’impact des cyberattaques ne peut pas fausser le résultat en tant que tel. Au-delà de ça il y a peut-être des possibilités de faire des manœuvres d’influence – mais cela n’a rien de nouveau. Tout au long de la guerre froide, avant et après, les grands Etats ont essayé d’influencer systématiquement les résultats électoraux, les personnes qui arrivent au pouvoir en certain nombre de pays. Nous, les Français, l’avons fait dans nos anciennes colonies d’Afrique, les Américains l’ont fait lors de la guerre froide pour lutter contre l’Union soviétique, cette dernière l’a fait pour lutter contre les Etats-Unis. Tout cela a toujours existé. Cela s'est bien sûr considérablement amplifié dans la société moderne de l’information parce que l’utilisation des canaux médiatiques permet des manœuvres d’influence plus importantes. Mais ce ne sont pas les cyberattaques en tant que telles qui permettent d’influencer, ce sont plus les médias.
Aujourd’hui les Américains ont besoin d’un adversaire, ils ont besoin de recréer le climat de la guerre froide pour justifier un certain nombre de dépenses concernant la modernisation de leur appareil nucléaire
RT France : Pour l’instant les services de renseignement américain n’ont pas apporté de preuves concrètes de l’ingérence russe dans l’élection présidentielle. Comment expliquez-vous la tendance d’accuser la Russie ?
E. D. : Il y a plusieurs éléments. D’une part, les Russes, comme les autres Etats, sont très actifs et parfois très agressifs en matière de cyberattaques. Ce n’est pas une exception, ce n’est pas particulier à la Russie, les Américains le font aussi et encore davantage que les Russes. Cela veut dire que du côté de Washington on observe d’une manière concrète un accroissement des opérations russes.
Deuxième chose – et c’est cela qui est important – , aujourd’hui les Américains ont besoin d’un adversaire, ils ont besoin de recréer le climat de la guerre froide pour justifier un certain nombre de dépenses concernant la modernisation de leur appareil nucléaire, le renforcement de l’industrie de la Défense et de la sécurité. Ils ont besoin de cette menace à la fois pour obtenir de l’argent du Congrès mais également pour resserrer autour d’eux les rangs des Européens qui avaient tendance à prendre leur distance vis-à-vis des Américains. Et on voit que la crise de l’Ukraine et les accusations d’invasion de la Crimée, qui ont été formulées à tort à mon sens, ont permis de réunir autour de Washington toute une série d’acteurs européens qui ont tendance à partir chacun de leur côté.
Tout l’establishment de Washington qu’il soit républicain ou démocrate se rend compte qu’avec l’arrivée de Trump à la Maison blanche un grand ménage va être fait
Le dernier élément qui n’est pas négligeable, c’est que tout l’establishment de Washington qu’il soit républicain ou démocrate se rend compte qu’avec l’arrivée de Trump à la Maison blanche un grand ménage va être fait et qu’ils vont, dans leur majorité, perdre leur poste et que la politique qu’ils ont mise en place sous les derniers présidents va être mise en cause. Donc ils essayent autant qu’ils peuvent de saboter l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, en tout cas pour l’empêcher d’avoir une marge de manœuvre et essayer de faire en sorte que la politique de tension qu’ils ont encouragée depuis plusieurs années puisse rester en place.
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