Inattaquable dans son essence, le «dispositif d'hébergement citoyen» de réfugiés ayant obtenu l'asile cache, pour Damien Lempereur, l'impuissance du gouvernement à trouver une réponse à la crise migratoire qui continue de faire le jeu des passeurs.
RT France : Que pensez-vous du dispositif citoyen d'accueil annoncé hier par la ministre Emmanuelle Cosse ?
Damien Lempereur (D. L.) : Ce dispositif en soi n'est pas critiquable. Il touche exclusivement des réfugiés ayant obtenu le droit d'asile. C'est tout de même l'honneur de la France que d'accueillir des personnes persécutées dans leur pays que ce soit politiquement, sexuellement ou physiquement. Mais il faut rester vigilant. Que cela ne devienne pas un argument pour détourner ce droit. Il ne faut pas qu'il y ait d'élargissement aux migrants économiques, par exemple. Il est important également, face à de tels dispositifs, que le droit d'asile soit strictement respecté. Que toute personne ne pouvant être éligible à ce droit soit reconduite à la frontière. On sait très bien aujourd'hui que cela ne concerne que 5% des gens entrés illégalement sur le territoire. Il faut faire attention à ne pas suivre la théorie «des petits pas» qui commence avec les seuls réfugiés statutaires avant de s'étendre à un système généralisé à tous les migrants. On sait bien que c'est souvent comme ça que procède le gouvernement.
On est dans l'illustration parfaite de l'expression «L'enfer est pavé de bonnes intentions»
RT France : Vous parlez de vigilance, de besoin de fermeté. En dehors de la question du détournement du droit d'asile, que craignez-vous voir découler de cette politique ?
D. L. : Pour moi, on est dans l'illustration parfaite de l'expression : «L'enfer est pavé de bonnes intentions». D'un point de vue humain, si ça peut aider ces 1 300 personnes, c'est très bien pour eux. Et chacun, à titre personnel, peut apporter son aide. Mais quelque part le gouvernement envoie un mauvais signal. Avec de tels dispositifs, on crée un appel d'air qui consiste à faire venir encore plus de monde. Le message envoyé c'est : «Venez, vous serez logés ! On a des budgets pour cela.» Or, les passeurs ne s'embarrassent pas d'expliquer que ces aides ne sont possibles que pour des cas très précis. Ce genre de mesures ne pourra qu’entraîner encore plus de drames humains, plus de noyés dans la Méditerranée. On reste quelque part l'idiot utile du crime organisé des passeurs et des mafias qui font leur bénéfice sur le trafic des êtres humains et qui continueront à s'enrichir. Je pense qu'on devrait plutôt envoyer un signal de fermeté comme en Australie, où en communiquant sur la difficulté d'entrer sur le territoire, on évite des drames et des morts dans l'océan Indien.
Il faudrait aider ces populations à se stabiliser chez elles
RT France : Le problème n'est donc pas l'existence d'un tel dispositif, mais la communication qui est faite autour par le gouvernement ?
D. L. : Disons que je comprends tout à fait que des églises, des citoyens à titre personnel, se trouvent un devoir d'apporter leur aide à des personnes qui sont dans la difficulté. Pour moi, les familles qui accueilleront ces réfugiés sont dans une démarche honnête, humaine et extrêmement respectable. La notion d'accueil a une essence profondément chrétienne. Dans le cadre du droit d'asile, il est normal qu'il y ait un soutien de l'Etat auprès des associations qui gèrent au quotidien l'intégration des réfugiés en France.
Mais au niveau de l'Etat et du gouvernement, il faut raisonner de manière plus large que ce dispositif. Ce n'est qu'une goutte d'eau dans le problème migratoire. Il ne faut pas s'en contenter. Il faudrait plutôt aider ces populations à se stabiliser chez elles. Il faudrait arrêter de faire la guerre en Libye ou en Syrie. Le gouvernement se donne bonne conscience alors qu'il provoque le chaos par ailleurs. C'est un peu la charité du XIXe siècle : se donner bonne conscience à moindre frais alors qu'on crée les conditions propices au chaos et au profit de ceux qui capitalisent sur la misère humaine.
Les décisionnaires ont voulu supprimer les frontières, mais ils ne regardent pas ce qui se passe au delà de ces frontières
RT France : En Allemagne, des dispositifs de ce genre ont été mis en place dès l'été 2015, avec un enthousiasme notable des citoyens. Les associations allemandes investies dans ces actions notent désormais un essoufflement de cette solidarité. Maintenant que l'élan de soutien est passé dans les populations européennes, n'est-il pas trop tard pour instituer de tels engagement nationaux?
D. L. : Le gouvernement a toujours des années de retard. On voit bien François Fillon qui veut nous faire le programme de Margaret Thatcher. Il a 35 ans de retard. On ne tire pas les enseignements de ce qui s'est passé en Allemagne et des troubles à l'ordre public qui ont pu suivre. Il est d'ailleurs évident que dans ce dispositif, tout ne sera pas un succès. Il suffit de regarder les exemples d'accueil qui ont été un échec chez nos voisins. Les Français le voient bien, mais pas les décisionnaires. Ils ont voulu supprimer les frontières, mais ils ne regardent pas ce qui se passe au delà de ces frontières. C'est totalement schizophrénique d'avoir un regard uniquement centré sur la France.
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