Turquie en Syrie : les déclarations d'Erdogan ne sont pas «crédibles»

Turquie en Syrie : les déclarations d'Erdogan ne sont pas «crédibles»© Brendan McDermid Source: Reuters
Recep Tayyip Erdogan
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La Turquie s'applique à renforcer ses positions en Syrie, mais ses possibilités sont limitées par d'autres acteurs de la région et les déclarations d'Erdogan sont donc peu crédibles, explique l'analyste Laurent Leylekian.

RT France : Que signifie la déclaration de Recep Tayyip Erdogan quant à ses velleités renverser Bachar el-Assad tout seul ?

Laurent Leylekian (L. L.) : On peut dire que ce n’est absolument pas crédible. La Turquie cherche actuellement à renforcer ses positions en Syrie, ce dont bien évidemment personne ne veut. Les Kurdes n’en veulent pas, le régime syrien n’en veut pas, et surtout les Russes n’en veulent pas. La Turquie est donc en train de voir ses ambitions et ses positions dans le nord de la Syrie limitées par les autres acteurs. C’est donc une déclaration d’intention et n’est pas crédible ni du point de vue pratique, ni du point de vue moral. Parce que quand on voit le bilan de Recep Tayyip Erdogan dans le sud-est de la Turquie après la destruction de villes comme Sarnak, on peut dire que, finalement, ce n’est pas mieux que Bachar el-Assad.

La Turquie est bloquée

RT France : L’armée turque va-t-elle renverser Bachar el-Assad toute seule, alors que tous les efforts de la coalition internationale n’y sont pas parvenus ? Cela veut-il dire que le président turc pourrait bénéficier d'un soutien tacite de l’OTAN ou d’autres alliés ?

L. L. : Il vend cette affaire-là à son opinion publique intérieure ou peut-être prend-il ses désirs pour des réalités. Mais il est très clairque la Turquie du président Erdogan a ce type d’ambition : il a parlé il n'y a pas si longtemps de frontière du cœur et des morceaux de l’âme turque, en évoquant l’ensemble des anciens territoires ottomans. Il manipule directement ou indirectement différentes milices dans le nord de la Syrie et maintenant l’armée turque y est présente. Mais il n’ira pas au-delà d'où il est actuellement. Son rêve d’installer une zone de sécurité au-delà de ce qu’elle est aujourd’hui, il n’y parviendra pas. Ce sont les Russes qui tiennent le ciel syrien, il n’y aura pas d’aviation turque, si les Russes le décident. Ce n’est pas réaliste. Si vous regardez ce qui se passe à Alep, les Turcs ont été contraints de retirer des forces pour reconcentrer ces forces dans le nord de la Syrie. Tout le monde sait maintenant qu'Alep va tomber. Je pense donc que la Turquie est bloquée.

Les Kurdes dans cette affaire ont servi de variable d'ajustement, d’abord dans les mains des Américains, puis dans les mains des Russes

RT France : Va-t-il se limiter à une opération dans le nord de la Syrie ? De quel côté les Kurdes vont-ils être dans cette opération ?

L. L. : Aujourd’hui le point de tension extrême ce n’est pas Alep (le sort d’Alep est réglé ou en passe de l'être) mais Al-Bab, où se cristallisent les ambitions turques d’aller plus loin à l’intérieur de la Syrie, peut-être jusqu’à Raqqa ; les ambitions kurdes d’établir la continuité territoriale entre les territoires qu’ils contrôlent déjà et les autres acteurs, en particulier Daesh, qui tient encore Al-Bab. Il est donc à craindre qu'Al-Bab 2016 soit un peu le Sarajevo de 1914. Cela risque d’exploser. Je pense que le dernier épisode où les soldats turcs ont été bombardés par l’aviation syrienne et non l'aviation russe (ce dont on a aujourd'hui la confirmation et il est clair que l’aviation syrienne n’aurait rien fait sans le consentement, sinon l’encouragement des Russes) c’est très clairement un signal de la Russie à la Turquie qu’il lui faut s’arrêter là et ne pas aller plus loin.

Les Kurdes de Syrie, dans cette affaire, ont servi de variable d'ajustement, d’abord dans les mains des Américains, puis dans les mains des Russes. La question est de savoir si l’une ou l’autre des deux grandes puissances va accorder aux Kurdes suffisamment de confiance pour les autoriser à créer leur Etat. Sous contrôle de qui ? Je ne suis pas sûr que les Russes souhaitent autre chose que les Kurdes comme variables d’ajustement. On ne sait pas ce que fera l’administration de Donald Trump, celle de Barack Obama a fait preuve de beaucoup de désinvolture et de cynisme là-dessus.

Le maître des horloges du déroulement de ce qui se passe en Syrie c’est Vladimir Poutine

RT France : Risque-t-il de se passer quelque chose concernant la question kurde, le temps que Donald Trump prenne la gouvernance américaine en mains ?

L. L. : Le maître des horloges et du déroulement de ce qui se passe en Syrie c’est Vladimir Poutine. Il ne tient pas à s'aliéner d'avantage les Turcs, parce que les Turcs sont engagés dans un processus de rapprochement avec le groupe de Shanghai et d'éloignement de l’UE. Et cela fait les affaires de Vladimir Poutine. Il ne veut certes pas que les Kurdes aient plus d’influence dans la Syrie orientale et dans le nord de la Syrie. Il doit également contrôler les Kurdes pour qu’il n’y ait pas une confrontation directe, car, actuellement, les Kurdes et les Turcs sont à moins d'un kilomètre de distance autour d’Al-Bab. On peut penser que Daesh sera rapidement défait. Ce n’est pas tout à fait la course pour Berlin, mais c’est la course pour Al-Bab. Après vous pouvez avoir les Kurdes et les Turcs ainsi que les milices ultra-nationalistes turques qui vont rentrer dedans. Je ne pense pas que cela fasse l’affaire de la Russie et je crois que les Russes sauront trouver les arguments pour éviter la confrontation directe.

Maintenant, la question est : qui va prendre Al-Bab ? C’est un vrai problème. Sans doute pas directement les Kurdes, ce serait insupportable pour les Turcs et sans doute pas les Turcs parce que les Russes ne le veulent pas. Peut-être l’armée syrienne tout simplement. Al-Bab est important, parce que c'est par là que passe l’une des routes qui mène à Alep. Dans l’hypothèse où la Russie soutient l’armée syrienne régulière, il ne serait pas illogique qu'elle laisse finalement l’armée syrienne régulière reprendre le contrôle d’Al-Bab.

Dans cette affaire-là c’est dramatique, mais ce n’est pas Le Bon, la brute et le truand. Il ne faut pas chercher des bons et des méchants. Malheureusement, il n’y a plus de bons. 

Lire aussi : La Turquie en Syrie : «Сela pourrait être le début d’une grande intervention»

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