Même si le président turc s'aventure réellement dans une «Reconquista ottomane de la Syrie», il existe beaucoup trop de forces pour lui répondre et très peu pour le soutenir, estime le politologue franco-syrien Bassam Tahhan.
RT France : Le président turc a déclaré une offensive sur la Syrie avec le but de «renverser Bachar el-Assad». Pensez-vous qu’il prévoit une intervention de grande ampleur ? Que voulait-il dire par cette phrase ?
Bassam Tahhan (B. T.) : Je crois qu'Erdogan n’est pas vraiment sérieux dans ce qu’il dit pour la simple raison que déclarer une guerre à la Syrie aujourd’hui c’est pratiquement déclarer la guerre à la Syrie, au Hezbollah, à l’Iran et peut-être bien à la Russie. Cela m’étonnerait fort que Poutine laisse passer cela sans aucune réaction. Poutine est pratiquement sûr de pouvoir stopper Erdogan soit par les voies diplomatiques, soit par d’autres voies.
Erdogan fait cette déclaration c’est un peu pour gonfler le torse et montrer ses muscles pour dire que «Je peux»
RT France : Pourquoi le président turc a-t-il fait cette déclaration ?
B. T. : C’est face à la guerre qu’il perd en Syrie. Ceux qui voulaient renverser Bachar el-Assad sont en train de broyer du noir parce qu’ils ont vu qu’ils perdaient. La présence russe et son intervention efficace avec ses alliés a changé le rapport des forces. Donc quand Erdogan fait cette déclaration c’est un peu pour gonfler le torse et montrer ses muscles pour dire que «Je peux». Pour obtenir des concessions.
Erdogan est le champion de la surenchère
RT France : Des concessions la part de qui ?
B. T. : Peut-être de la part de la Russie, de la part des Occidentaux. Pour avoir plus d’argent en disant : «Vous voyez ; je continue alors que vous avez abandonné votre projet de renverser Assad pour le moment et vous pouvez compter sur moi, je suis votre joker.» Surtout qu'Erdogan sait très bien que l’OTAN est en faiblesse aujourd’hui après l’élection de Trump qui dit que l’OTAN coûtait trop cher aux Etats-Unis d’une part, après le grand succès de Fillon aux primaires de l’autre part où il dit qu’il faut une indépendance française face aux Américains, des accents gaullistes qui n’échappent à personne. Le projet d’Erdogan d’établir une zone pacifiée, d’exclusion aérienne bat de l’aile donc il faut faire de la surenchère et c’est le champion de la surenchère. Cela me fait penser à un coq qui fait cocorico.
Il ne faut pas sous-estimer la force de frappe de l’armée syrienne
RT France : L’armée turque est-elle capable d’envahir la Syrie ?
B. T. : Avec les S-300 et S-400 sur les bases de Khmeimim, Lattaquié et Tartous ce n’est pas Erdogan qui osera envahir la Syrie et même pas l’OTAN ou les Américains parce qu’ils savent que cet armement peut faire tomber l’aviation de l’ennemi comme des mouches en quelques heures. Mais à part cela il ne faut pas sous-estimer la force de frappe de l’armée syrienne qu’elle n’a jamais utilisée jusqu’à maintenant parce que la Syrie il y cinq ans, avant le «printemps maudit» était prête à toutes les guerres sauf à une guerre civile. Et puis la Syrie possède des missiles de longue portée et elle peut frapper n’importe quel point en Turquie. Je ne crois pas qu'Erdogan ose s’aventurer dans une Reconquista ottomane de la Syrie. C’est des velléités qui peuvent lui coûter trop cher parce que les Syriens avec leurs alliés sont capables d’agiter le problème kurde dans l’est de la Turquie qui compte aujourd’hui plus de 20 millions d’habitants. Il suffit qu’ils aient le soutien des Iraniens – sans que les Russes interviennent –, ils sont capables de réduire au silence tout le feu de l’armée turque. Je ne pense pas que l’OTAN qui s’entend mal actuellement avec Erdogan va intervenir pour le défendre.
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