Un renversement de Bachar el-Assad est «au-delà des moyens» du président turc. Néanmoins, la situation «peut dégénérer en un problème fatal dans le plus proche avenir», affirme le spécialiste en relations internationales Jamal Wakeem.
RT : Le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré le 29 novembre que l'armée turque était entrée en Syrie pour mettre fin au mandat du président syrien Bachar el-Assad, qu'il a accusé de terrorisme et de la mort de milliers de Syriens. Pensez-vous que cette déclaration aura des conséquences importantes ou qu'il ne s'agit là que de paroles en l'air ?
Jamal Wakeem (J. W.) : Je crois que ce sont des paroles en l'air. C’est bien au-delà de ses moyens et Bachar el-Assad non seulement peut compter sur une armée forte qui a su tenir le combat pendant les six années écoulées, mais bénéficie aussi du soutien d'alliés puissants, tels que la Russie et l’Iran, sans oublier la Chine. Le but de cette rhétorique est d’obtenir du soutien et de prendre une revanche sur les récents évènements, quand les avions de combat syriens ont ciblé l’armée turque : des soldats des troupes turques ont été tués lors de ces raids aériens et elles n’ont pu se venger. C’est là la raison principale de son discours.
Cependant, il faut admettre que la véritable intention de Recep Tayyip Erdogan était avant tout de limiter les capacités du PKK et des combattants kurdes en Syrie à élargir leur zone de contrôle à l’Ouest de l’Euphrate, et de créer une zone tampon dans le Nord de la Syrie qui s’étendrait jusqu’au territoire irakien.
La Turquie avait fait part de cette intention en 2002, et je pense que c’est la véritable intention [des Turcs].
Après l'intervention turque dans le nord de la Syrie, Recep Tayyip Erdogan est entré en jeu selon le plan américain, en établissant une zone nord qui n’est pas contrôlée par l’armée syrienne
RT : Quel en est l’impact sur les relations entre la Turquie et la Russie ?
J. M. : Il y avait des tentatives, me semble-t-il, essentiellement de la part des Russes, de se rapprocher de la Turquie, en particulier concernant les changements en Iran et en Syrie qui ont nui à la sécurité nationale de la Turquie. Toutefois, Recep Tayyip Erdogan ne pouvait pas se détacher de ses obligations à l’égard de l’Occident et surtout à l’égard des Etats-Unis. Après son intervention dans le nord de la Syrie, il est entré en jeu selon le plan américain, en établissant une zone nord qui n’est pas contrôlée par l’armée syrienne. Les Américains, grâce à l’appui des Kurdes dans l’est de la Syrie, ont alors été capables d’empêcher, jusqu’à présent, l’armée syrienne de répandre leur contrôle sur cette région. En même temps, en jouant la carte turque dans une autre partie de la Syrie du nord, ils renforcent leur contrôle dans ce secteur par proxy, au moment même où les Etats-Unis essaient de prendre le contrôle sur l'ouest de l’Irak et l'est de la Syrie. C’est pourquoi, après l’amélioration relative des relations entre la Turquie et la Russie, nous voyons que les Russes sont mécontents des événements liés à la Turquie. Et l’attaque syrienne sur les troupes turques n'aurait pu être lancée, sans le soutien la Russie. Je crois donc qu’il faut observer les développements à venir, car tout cela pourrait dégénérer en quelque chose de dramatique dans le plus proche avenir.
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