RT France :Après la victoire de Trump, François Fillon devance Alain Juppé. Est-ce encore une défaite des sondages ?
David Desgouilles (D. D.) : Oui. En fait, il me semble que les sondages jouent beaucoup moins avec les électeurs que les électeurs ne jouent avec les sondages. Aux Etats-Unis comme en France, on voit vraiment l’apparition (ou plutôt le développement) de ce qu’on appelle des électeurs stratèges, qui regardent les sondages avec attention, et, finalement, leur jouent des tours. Ensuite, parce qu’ils sont bien informés, ils sont des sortes de panneaux indicateurs, les médias les prennent souvent comme des prédictions. Or, ces électeurs stratèges peuvent changer à tout moment – donner des fausses indications, puis changer. Ce qui fait qu’il y a trois semaines François Fillon était donné à 9 par les études et qu’il finit à 44%.
François Fillon s’est affirmé souverainiste, il a parlé de souveraineté nationale, mais il a parlé beaucoup plus des Etats-Unis que de Bruxelles et Berlin
RT France : Comment expliquer cette fulgurante progression de François Fillon ?
D. D. : Il faut vraiment revenir au début. Certes, François Fillon restait bas alors qu’il avait annoncé sa candidature depuis très longtemps. Il avait alors à ce moment un simple discours économique que je qualifierais d’ «ordo-libéral» à la Wolfgang Schäuble [le ministre des Finances allemand]. C’est-à-dire qu’il faut souffrir : depuis trente, ou plutôt quarante, ans on n’a pas assez souffert, on a vécu au-dessus de nos moyens, et donc il nous faut souffrir – c’est de l’ordre de «du sang et des larmes», si vous vous voulez. Puis, cet automne, il a élargi son offre politique. Il a beaucoup moins parlé d’économie pour aborder des thèmes divers. Il y en a trois principaux. Le premier : il a commencé à affirmer qu’il était souverainiste, a rappelé son compagnonnage avec Philippe Séguin qui menait la bataille contre le traité de Maastricht en 1992. François Fillon était un de ses principaux lieutenants. Il s’est affirmé souverainiste, il a parlé de souveraineté nationale, mais il a parlé beaucoup plus des Etats-Unis que de Bruxelles et Berlin. Malgré tout, il y a cette affirmation et, aujourd’hui, en France, ce n’est pas facile de s’affirmer souverainiste sans subir les attaques de la majorité de la presse. Deuxièmement, il a publié un livre qui s’appelle Vaincre le totalitarisme islamique. Il s’est positionné très durement sur ce sujet-là. Et même si les gens n’ont pas forcément lu ce livre, ils en ont vu le titre qui était très parlant. Troisième chose : il a conclu une alliance avec un mouvement qui s’appelle «Sens commun» - en réalité une branche de «La manif pour tous» au sein du Parti républicain. Il a ainsi montré son conservatisme sociétal. Avec ces trois solutions en plus de son offre économique, il a élargi son champ. Il apparaît vraiment comme un troisième homme à partir de là : les gens commencent à voir en lui une autre solution. Et il a fait de très bonnes émissions de débats. La semaine dernière cela s’est joué ainsi : il a siphonné Juppé et Le Maire d’un côté, commençant à apparaître comme une solution supplémentaire pour ceux qui ne voulaient pas de Sarkozy – et ils sont très nombreux. Nicolas Sarkozy a un socle de fans, mais il y a beaucoup de gens qui veulent «tout sauf Sarkozy». Il a ensuite siphonné un petit peu Nicolas Sarkozy, qui est descendu de 26-27 à 21, parce qu’il est apparu comme le meilleur candidat pour battre Alain Juppé. Il s’est ainsi retrouvé à 44%.
Il y a la volonté de se débarrasser de Nicolas Sarkozy, parce que, lui, ça fait 15 ans qu’il domine la droite française
RT France : Cette montée de Fillon est-elle encore un signe de défiance à l’égard des élites politiques ?
D. D. : C’est difficile d’affirmer cela, parce que François Fillon est dans le circuit depuis plus de 25 ans. Il a été ministre en 1993 pour la première fois. Il est à peu près de la même génération que Nicolas Sarkozy. Je crois qu’ils ont démarré en même temps en politique. François Fillon a même été député sept ans plus tôt que Nicolas Sarkozy. Donc, on ne peut pas parler de rejet de la politique. En revanche, il y a la volonté de se débarrasser de Nicolas Sarkozy, parce que, lui, ça fait 15 ans qu’il domine la droite française. Alain Juppé, ça fait encore plus longtemps qu’il est dans le circuit : il a commencé auprès de Chirac, au début des années 70. Et il faut quand-même dire qu’il est très médiocre en campagne, c’est quelqu’un qui n’est pas fait pour une campagne électorale.
RT France : François Fillon a-t-il remporté la victoire des primaires dès leur premier tour ?
D. D. : Voilà, il y a vraiment une avance substantielle – là, ce ne sont pas des sondages mais des suffrages. Il a fait 44%. Alain Juppé est 16 points derrière. La seule candidate qui a appelé à voter pour lui, c’est Nathalie Kosciusko-Morizet, qui a fait 2,5%. Pour qu’il gagne il faudrait une mobilisation des électeurs de gauche et du centre beaucoup plus importante. Ce qui rendrait beaucoup plus difficile sa campagne électorale, car les électeurs de droite auraient l’impression de s’être fait voler leur victoire. Franchement, avec Nicolas Sarkozy qui a apporté son soutien à Fillon, ce dernier ne devrait pas avoir beaucoup de mal à passer au-dessus des 50. C’est sûr qu’il va y avoir un tir de barrage de la gauche. Elle parle déjà de ses liens avec Vladimir Poutine, puisque, effectivement, il est parmi les candidats celui qui est le plus favorable à la reprise du dialogue avec la Russie. Et puis il y a le côté «Manif pour tous». Tout ça fait que la gauche sociétale, le dépeint comme un réactionnaire. Je pense, qu’ils ont eu une semaine d’avance. Quand il sera candidat de la droite, ça aura un sens, effectivement – mais pour avantager la gauche, pour mobiliser la gauche. Or, c’est la droite qui s’est mobilisée hier avec quatre millions de personnes, et on ne voit pas des bataillons de gauche venir au secours d’Alain Juppé pour battre François Fillon. Je serais très surpris. Mais on a vu que c’était possible dans ces primaires.
Contrairement à Nicolas Sarkozy, qui est l’objet d’un énorme rejet des électeurs de gauche, François Fillon, ne suscitera pas autant d’amertume
RT France : Comment François Fillon devrait-il aborder la suite de sa campagne ?
D. D. : Il faut qu’il fasse une bonne campagne dès le premier jour, parce que il n’est pas dit que Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron ne puissent pas finalement venir sur la droite. Il a aussi un programme économique qui peut être très attaqué par la gauche et par la Front National. Vous entendez Florian Philippot, le numéro 2 du FN, qui l’attaque déjà sur le côté social. Le premier tour n’est pas gagné pour lui, ça n’est pas dans la poche. Face à Marine Le Pen au deuxième tour, en revanche, il aurait toutes les chances de la battre. Contrairement à Nicolas Sarkozy, qui est l’objet d’un énorme rejet des électeurs de gauche, François Fillon, ne suscitera pas autant d’amertume. Il y aura, dans le Nord-Pas-de-Calais ou en Provence-Alpes-Côte d’Azur par exemple, une mobilisation de la gauche pour battre le Front National. A ce moment-là je pense que François Fillon battra Marine Le Pen, d’autant qu’il est sur les thèmes identitaire, sur les relations avec la Russie, etc.
Dans le monde occidental, les électeurs sont aujourd’hui très volatiles
RT France : Quelle est votre prévision pour la présidentielle ? Croyez-vous que François Fillon pourrait être le prochain président français ?
D. D. : Ce n’est pas sûr. On n’est pas à l’abri de grandes surprises, on a vu que les électeurs, dans le monde occidental, peuvent vraiment chambouler les prévisions. Aujourd’hui, on ne sait pas ce qui peut se passer. Le premier tour est très ouvert. François Bayrou pourrait très bien être candidat, il y a aussi Emmanuel Macron… cela peut reprendre des voix sur la gauche de François Fillon. François Fillon est appuyé, il est vraiment devenu le champion de la droite depuis dimanche soir. Mais dans le monde occidental, les électeurs sont aujourd’hui très volatiles. On ne peut être affirmatif. La seule chose, dont je peux être vraiment à 90% sûr – est qu’il gagnera dimanche. La campagne est encore longue, et nous sommes au mois de novembre. Au mois de novembre, il y a 22 ans, Jacques Chirac était à 14% dans les sondages, Edouard Balladur était à 30%, puis Chirac est passé devant Balladur. La campagne est longue pour la présidentielle. Comme on l’a vu pour la primaire de la droite, la cristallisation électorale s’est faite dans les 15 dernier jours, et la cristallisation de l’élection présidentielle en France, elle, se fait en février-mars.
RT France : Pensez-vous que Marine Le Pen ait une chance de gagner ces élections ?
D. D. : C’est possible. Je ne dis pas que c’est probable. Il y a des tas d’événements qui peuvent complètement chambouler la donne. Effectivement, le Brexit nous a surpris, tout comme l’Autriche, ou encore les Etats-Unis avec Donald Trump. Donc, dire que Marine Le Pen ne peut pas être élue… on ne peut plus affirmer de choses pareilles en 2016. On ne peut plus être aussi affirmatif. Aujourd’hui les électeurs sont beaucoup moins attachés à leurs étiquettes qu’auparavant. Faire des prévisions aujourd’hui est extrêmement difficile, il faut être très prudent.