Les anciens de la politique comme Alain Juppé, Nicolas Sarkozy ou Marine Le Pen risquent de se faire balayer par la population avide de renouvellement, estime le professeur en sciences politiques de l'University College de Londres Philippe Marlière.
RT France : Etes-vous d’accord avec l’hypothèse selon laquelle le vainqueur de la primaire de la droite sera le prochain président français ?
Philippe Marlière (P. M.) : Vraisemblablement oui. En effet, celui qui gagnera la primaire à droite aura toutes ses chances de se retrouver d’abord au second tour contre Marine Le Pen et de la battre. Elle n’aura pas un réservoir de voix suffisant pour gagner au second tour. Il y aura toujours un électorat centriste très modéré, peut-être une partie de l’électorat socialiste qui devant ce choix votera pour le candidat de la droite.
Il y a un risque que l’électorat aille vers Marine Le Pen puisque Nicolas Sarkozy dit presque la même chose – autant essayer Le Pen qui n’a jamais été au pouvoir
RT France : Qui sera ce candidat de la droite ?
P. M. : Un candidat avec un profil plus centriste comme François Fillon ou Alain Juppé aura plus de chances que Nicolas Sarkozy qui est plus proche de Marine Le Pen. Selon moi il y a un risque que l’électorat aille vers Marine Le Pen puisque Nicolas Sarkozy dit presque la même chose – autant essayer Le Pen qui n’a jamais été au pouvoir. Pour gagner, la droite doit choisir un candidat plus modéré.
L'autre inconnue c'est quelle sera l'offre électorale pour cette élection. Là on ne sait pas vraiment.
RT France : La donne change-t-elle avec l'annonce par Emmanuel Macron de sa candidature ?
P. M. : Lui aussi va jouer la carte du centre - centre-droite ou centre-gauche. S'il crée la surprise en se qualifiant au second tour il sera aussi en position de gagner.
On se demande également qui sera le candidat socialiste. Sera-ce François Hollande ou pas ? Jean-Luc Mélenchon, va-t-il continuer à rester dans ce score de 15 à 20 % ou va-t-il redescendre ? Cela dépendra aussi de l’offre électorale à gauche. Y aura-t-il un candidat de gauche autre que François Hollande, quelqu’un comme Emmanuel Macron qui parviendrait à mobiliser une bonne partie d’électorat socialiste, tout en prenant sur l’électorat du centre droit ? Si Nicolas Sarkozy gagne la primaire à droite, Emmanuel Macron aura davantage de chances, parce qu’il a intérêt à avoir contre lui à droite quelqu’un très à droite, ce qui lui permettra de récupérer une partie de l’électorat centriste et de l’électorat de gauche.
Tous les débats de la primaire ont montré que Nicolas Sarkozy était au centre des critiques
RT France : La percée de François Fillon vous surprend-elle actuellement, étant donné que tout le monde prédisait un duel entre Nicolas Sarkozy et Alain Juppé ? Son passage au deuxième tour est-il vraisemblable ?
P. M. : La montée de François Fillon n’est enregistrée que par deux sondages. Mais c’est surtout Alain Juppé qui baisse. Mais il faut être prudent avec les sondages, parce que quand on voit ce qui s'est passé aux Etats-Unis...
François Fillon pourrait par exemple dépasser Nicolas Sarkozy, mais je pense qu’il ne rattrapera pas Alain Juppé, il pourra se retrouver en deuxième position et donc participer aux deuxième tour contre Alain Juppé. L’explication : les électeurs qui vont participer à la primaire ne sont pas très enthousiastes. On a deux figures de la droite très anciennes qui ont été au pouvoir, qu’on connaît bien. Alain Juppé joue la carte du rassemblement, d’une forme de conservatisme modéré, d’homme d’Etat. Cela peut rassurer, mais cela ne crée pas d’enthousiasme. C’est une espèce de papa gâteau, une figure un peu molle, sans grande énergie. Nicolas Sarkozy continue sa campagne de 2012 : pour gagner, reprend les thèses du Front national. Il est en partie là-dessus, mais manifestement cela ne marche pas dans un contexte où François Fillon parle beaucoup d’identité nationale, d’islam, du terrorisme.
Je pense que l’explication est le rejet de sa personne : il a été président, il est parti, il a été rejeté. Il avait annoncé qu’il quittait la politique pour revenir deux ans après, il n’est pas véritablement revenu avec des idées nouvelles et continue la campagne très à droite de 2012. Il est lâché par ses anciens soutiens dans son parti : son ancien Premier ministre qui est en train de le ballonner dans les sondages François Fillon, Valérie Pécresse qui fait des déclarations très anti-Sarkozy. Tous les débats de la primaire ont montré que Nicolas Sarkozy était au centre des critiques, Alain Juppé était en retrait, mais les autres candidats plus petits l’attaquaient.
On voit Alain Juppé, qui dans la plupart des autres pays, avec un tel parcours ne serait plus en politique
RT France : Donc pour vous il a peu de chances de sa qualifier au deuxième tour ?
P. M. : Il faut se méfier tout de même de Nicolas Sarkozy, étant donné que c’est le patron des Républicains et à ce titre il jouit d’une forme de légitimité et de popularité au sein des militants. Vont-ils se mobiliser pour créer la surprise ? Comme c’est une primaire ouverte, on peut participer en payant une petite somme d’argent, déclarant qu’on est sympathisant de droite. Cela dépendra d'une éventuelle importante participation extérieure, parce qu’elle sera contre Nicolas Sarkozy. Dès qu’on sort du parti, on a un phénomène de rejet assez important. Ces trois hommes, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et François Fillon, sont en politique au moins depuis une trentaine d’années. On voit Alain Juppé, qui dans la plupart des autres pays, avec un tel parcours ne serait plus en politique. Il y a une absence de renouvellement. Cela donne une chance à Emmanuelle Macron qui est jeune, qui ne se réclame pas ni de la droite, ni de la gauche.
Si Emmanuel Macron se qualifie avec Marine Le Pen au deuxième tour, il aura les chances de gagner
RT France : Après le vote sur le Brexit, les élections aux Etats-Unis, on parle du rejet des élites par la population. Peut-elle se tourner plus vers Emmanuel Macron que vers Marine Le Pen ? Elle fait la politique depuis très longtemps. Pourrait-elle, elle aussi, être rejetée ?
P. M. : Emmanuel Macron est une option qui permet d’avoir l’illusion de faire du nouveau, parce qu’il ne propose absolument rien de nouveau sur le plan économique notamment, il proposerait de continuer sur la voie de François Hollande au pouvoir, mais lui, c’est un autre style, il pourra à la fois attirer les plus jeunes, l’électorat modéré, le centre-droit. S’il se qualifie avec Marine Le Pen au deuxième tour, il aura des chances de gagner.
Je pense qu’en France pourrait se produire le même phénomène qu’aux Etats-Unis : Alain Juppé, Nicolas Sarkozy, François Hollande pourraient être balayés pour donner des possibilités aux candidats nouveaux. Marine Le Pen n’est pas nouvelle, mais elle peut dire qu’elle est nouvelle, parce qu’elle n’a pas été au pouvoir, elle n’est même pas député. Cela peut se jouer, la nouveauté comme garantie du changement.
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