Pénuries de vaccins : «On découvre seulement maintenant qu'il faut des stratégies d'anticipation»

Pénuries de vaccins : «On découvre seulement maintenant qu'il faut des stratégies d'anticipation»© Eric Gaillard Source: Reuters
Une pharmacie
Suivez RT en français surTelegram

Une pénurie généralisée de vaccins touche les pharmacies françaises. Plus largement, d'autres médicaments manquent aussi. Claude le Pen, professeur d'Economie de la Santé à l'Université Paris Dauphine, pointe un système d'anticipation défaillant.

RT France : Comment expliquer la pénurie généralisée de vaccins mais aussi de certains médicaments que rencontre en ce moment la France ?

Claude Le Pen : Cette pénurie s'observe partout dans le monde, et pas seulement en France. Ce phénomène est complexe et a plusieurs explications. D'abord la forte croissance de la consommation pharmaceutique dans les pays émergents. Auparavant 80% de cette consommation était faite aux Etats-Unis, en Europe de l'Ouest et au Japon. Certains pays comme la Chine ou le Brésil ont des croissances à deux chiffres dans la demande en médicaments. Cela créé forcément des tensions car la production de matières premières ne suit pas nécessairement. Cette tension se retrouve aussi du côté de l'offre. Il y a là des problèmes récurrents de qualité, d'autant que les Etats-Unis imposent des normes très élevées, ce qui a pu aboutir à des fermetures d'usines et des interruptions de la production. L'accès aux matières premières est aussi devenu problématique. La France, comme d'autres pays, a totalement abandonné la production de matières premières.

RT France : Cette pénurie s'explique donc par la mondialisation du marché du médicament ?

Claude Le Pen : Désormais les pays asiatiques, et l'Inde en particulier, fabriquent pratiquement toute la matière première des médicaments dans le monde. Prenez le paracétamol, pourtant une molécule toute simple, qui était fabriquée encore il y a peu en France. L'usine a été transférée en Chine, et nous dépendons désormais de ce pays pour ce médicament de base. Des exemples comme celui-là sont nombreux. La Chine veut exporter plus de médicaments et a dû mettre en place un programme d'évaluation de la qualité des produits, ce qui a abouti à la fermeture d'usines de production. L'offre mondialisée s'en est ressentie.

RT France : Mais n'existe-t-il pas des mécanismes légaux pour palier à cette pénurie? 

Claude Le Pen Ces mécanismes existaient déjà mais n'ont pas été suffisants. L'agence nationale de sécurité du médicament publie régulièrement la liste des médicaments manquants. C'est là un problème nouveau qui existe depuis quatre ou cinq ans seulement. D'autres mécanismes d'alerte se mettent en place progressivement. Le gouvernement a ainsi pris une mesure nouvelle dans la dernière Loi Santé : la publication d'une liste de médicaments indispensables dont le manque pourrait se révéler dangereux pour les malades. Les laboratoires auront désormais une obligation de vigilance et devront avertir les autorités sanitaires, les personnels de santé du risque de pénurie. On pourra alors décider d'importer d'autres pays, trouver une alternative thérapeutique, mettre en place des stratégie de veille et d'alerte. La France veut désormais développer l'anticipation et ne plus être surprise par une quelconque pénurie.

RT France : Cette situation de pénurie peut-elle s'avérer dangereuse pour certains malades?

Claude Le Pen : La situation est-elle dramatique pour eux ? Oui et non. C'est bien sûr ennuyeux que des médicaments manquent. Mais il est assez rare qu'on ne trouve pas en France une alternative thérapeutique. Un médicament peu manquer mais un autre peut le remplacer pour une maladie spécifique. Cela souligne bien l'importance d'une diversité dans l'offre, et qu'il ne faut pas se contenter d'un médicament par pathologie. Cette pénurie ne va pas se résorber comme par miracle et il faudra encore vivre avec elle quelque temps. 

RT France : Au-delà de la question de la mondialisation, que révèlent spécifiquement ces pénuries du système de santé français ?

Claude Le Pen : L'industrie du médicament est une industrie stratégique. Il est dangereux pour un pays comme la France de ne vivre que de médicaments importés car il devient dépendant des pays exportateurs. Il est donc important d'avoir sa propre production nationale. Est-ce parce que la France dépend trop de la production externe qu'il y a eu cette pénurie? La question mérite réflexion. Pourtant, pour les risques de bio-terrorisme, la France a organisé des stocks stratégiques de produits absolument vitaux. Par exemple, s'il y avait une attaque à l'anthrax, des stocks d'antibiotiques puissants sont prévus. Au-delà des questions militaires, les autorités commencent à comprendre que le médicament a une importance stratégique aussi pour des questions de santé publique. Les autorités doivent comprendre qu'il faut une stratégie d'approvisionnement et d'anticipation et on découvre seulement cela maintenant. 

Pénuries de vaccins : «On découvre seulement maintenant qu'il faut des stratégies d'anticipation»© Eddie Keogh Source: Reuters
Une vaccination

RT France : On observe aussi une mise en accusation des laboratoires qui n'auraient pas anticipé ces pénuries.

Claude Le Pen : J'entends dire qu'ils ont organisé la pénurie de médicaments pour faire monter les prix. Or il faut savoir qu'en France, les prix ne sont pas libres et sont fixés par les autorités. Ce n'est parce qu'il y a pénurie de vaccins que leurs prix vont augmenter. Certains disent aussi que ce serait dû au fait que les laboratoires préfèrent satisfaire les marchés rentables et ne fabriquer que certaines sortes de médicaments. Or les Etats-unis souffrent aujourd'hui beaucoup plus de cette pénurie, alors que ce pays pratique des prix de médicaments très élevés. 

RT France: Lors de notre enquête, certains pharmaciens ont évoqué l'existence d'un marché parallèle qui les priverait d'approvisionnement en médicaments. Qu'en pensez-vous?

Claude Le Pen: En Europe il existe effectivement un commerce parallèle qui permet aux grossistes répartiteurs français d'acheter des médicaments à des laboratoires et de les vendre à des pharmaciens d'autres pays, tout cela au nom de la liberté de circulation des marchandises. Ces grossistes achètent au prix français fixé par l'Etat, qui est assez bas, puis revendent dans des pays où les prix sont plus élevés. Ce système est légal et les pharmaciens ont raison de pointer cela. Mais la France n'est pas non plus un pays très exportateur vers ce marché parallèle. Cela n'explique pas les pénuries. De toute façon, les autorités ont prix des mesures pour limiter ce marché parallèle. Mais il est vrai que celui-ci demeure un problème et n'est pas très sain. 

RT France: On observe en France une vraie crispation autour des questions liées à la santé et au poids des laboratoires. Ainsi la pétition du professeur Joyeux qui dénonce la sur-vaccination a déjà recueilli plus de 530 000 signatures. Qu'en pensez-vous ?

Claude Le Pen : Il y là une irrationalité dans le rapport aux laboratoires. On les accuse de tout et de rien. On est plus largement dans une crise de l'autorité des «sachants», ceux qui possèdent le savoir, scientifique ou autre. Savants et politiques sont discrédités et cela se traduit par une sorte de repli et de la méfiance. Cette pétition est caricaturale et est amplifiée par les réseaux sociaux.

RT France : Cette méfiance se traduit-elle dans les statistiques officielles de vaccination? 

Claude Le Pen :  Il y a un lobby anti-vaccin en France, lequel est quand même paradoxalement le pays de Pasteur et de l'invention du vaccin. Mais son influence ne se traduit pas vraiment dans les chiffres. Les parents français continuent à faire vacciner leurs enfants, les chiffres n'ont pas baissé. Ce sont plutôt les chiffres des adultes qui ont baissé. Par exemple, on a constaté une baisse générale sur le vaccin contre la grippe, l'hépatite B. 

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

Raconter l'actualité

Suivez RT en français surTelegram

En cliquant sur "Tout Accepter" vous consentez au traitement par ANO « TV-Novosti » de certaines données personnelles stockées sur votre terminal (telles que les adresses IP, les données de navigation, les données d'utilisation ou de géolocalisation ou bien encore les interactions avec les réseaux sociaux ainsi que les données nécessaires pour pouvoir utiliser les espaces commentaires de notre service). En cliquant sur "Tout Refuser", seuls les cookies/traceurs techniques (strictement limités au fonctionnement du site ou à la mesure d’audiences) seront déposés et lus sur votre terminal. "Tout Refuser" ne vous permet pas d’activer l’option commentaires de nos services. Pour activer l’option vous permettant de laisser des commentaires sur notre service, veuillez accepter le dépôt des cookies/traceurs « réseaux sociaux », soit en cliquant sur « Tout accepter », soit via la rubrique «Paramétrer vos choix». Le bandeau de couleur indique si le dépôt de cookies et la création de profils sont autorisés (vert) ou refusés (rouge). Vous pouvez modifier vos choix via la rubrique «Paramétrer vos choix». Réseaux sociaux Désactiver cette option empêchera les réseaux sociaux de suivre votre navigation sur notre site et ne permettra pas de laisser des commentaires.

OK

RT en français utilise des cookies pour exploiter et améliorer ses services.

Vous pouvez exprimer vos choix en cliquant sur «Tout accepter», «Tout refuser» , et/ou les modifier à tout moment via la rubrique «Paramétrer vos choix».

Pour en savoir plus sur vos droits et nos pratiques en matière de cookies, consultez notre «Politique de Confidentialité»

Tout AccepterTout refuserParamétrer vos choix