Une confrontation ouverte entre l'OTAN et la Russie ne servira les intérêts de personne, alors que l'existence d'une Russie forte permettra de rétablir le partenariat qui commençait à se former dans les années 2000, rappelle l'analyste Cyrille Bret.
RT France : L’OTAN a annoncé le déploiement de 300 000 soldats dans les pays baltes. Que cela signifie-t-il pour la sécurité de l’Europe ?
Cyrille Bret (C. B.) : Je crois que c’est le énième symptôme du fait que le dialogue OTAN-Russie est vraiment dans une impasse. Aucun des partenaires de ce duo n’a confiance en l’autre et interprète chaque geste de l’autre comme une menace. Cela couronne une séquence de trois ans de dégradation du dialogue OTAN-Russie qui est pourtant absolument indispensable pour la sécurité collective sur le Vieux Continent.
RT France : Pourquoi ce contingent est-il aussi élevé ?
C. B. : Je n’arrive pas à comprendre la logique arithmétique, la façon dont ce chiffre est obtenu. Ce serait un instrument de communication de la part de l’OTAN destiné à montrer sa volonté de solidarité avec les pays baltes et d’implantation durable dans ceux-ci. Le chiffre en lui-même n’a pas forcément de valeur opérationnelle, il a une valeur symbolique très forte, qui est celle de manifester la remontée de la puissance de l’OTAN sur le continent.
On se retrouve dans un face-à-face de deux puissances qui sont en train de se rejouer une pièce qui n’a plus lieu d’être : celle de la guerre froide
RT France : La menace de la Russie qui s’apprêterait à envahir les pays baltes, évoquée par le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, est-elle réelle ?
C. B. : Dans la lignéedes années 2015 et 2016 les deux partenaires – OTAN et Russie – ont requalifié symétriquement les dispositifs militaires et les initiatives de sécurité de l’autre comme un risque stratégique. Le 30 décembre 2015 la Russie requalifie l’OTAN comme un risque stratégique. Réciproquement l’OTAN au sommet de Varsovie [juillet 2016] a requalifié le dispositif militaire et la montée en puissance de l’armée russe comme un risque stratégique, ce qui fait que quelle que soit la réalité des risques, les menaces existent dans les représentations.
De ce point de vue-là, on est vraiment dans une spirale d’escalades. L’expansion de l’OTAN dans l’ancien bloc soviétique et même d'anciennes républiques de l’URSS au fil des années 2000, est perçue comme une menace par la Russie. Réciproquement, la remontée du rôle stratégique de la Russie dans ses espaces traditionnels d’influence – l’Arctique, la Baltique, l’Europe orientale et centrale, la mer Noire, le Moyen-Orient au sens large – et le retour de la puissance internationale russe sont considérés par l’OTAN comme une menace. Par conséquent, on se retrouve dans un face-à-face entre deux puissances qui sont en train de se rejouer une pièce qui n’a plus lieu d’être : celle de la guerre froide.
Si cet affrontement dégénère en un conflit armé, les objectifs de l’OTAN ne seront pas atteints
RT France : Le secrétaire général de l’OTAN a justifié le déploiement de forces supplémentaires par le développement de nouvelles capacités par la Russie…
C. B. : …et réciproquement la Russie fait monter son dispositif militaire dans les zones frontalières au motif que l’OTAN est en expansion. On est vraiment dans un cercle vicieux dont on voit mal comment il pourrait s’interrompre. A cela s’ajoute la plus grande préoccupation – il y a deux grandes différences entre ce face-à-face et la guerre froide : la première c’est qu’il n’y a pas d’alternative idéologique, la Russie ne proposant pas un autre type de régime idéologique ; la deuxième différence, c’est le fait que l’équilibre de la terreur durant la guerre froide a abouti à un gel de la conflictualité en Europe. Mais aujourd’hui, la conflictualité en Europe, elle est là, latente, notamment dans l'espace cyber. Il y a beaucoup d’acteurs, dont on ne sait pas s’ils sont étatiques ou non, qui font que l’Europe est déjà dans une espèce d’affrontement cyber en évolution assez rapide. C'est pour ça que l’équilibre de la terreur ne suffit pas à maintenir un faible niveau de conflictualité. Je pense que les initiatives qui sont prises actuellement de part et d’autre nous renvoient dans un scénario qui n’a pas lieu d’être.
RT France : Se prépare-t-on à un affrontement direct entre la Russie et l’OTAN ?
C. B. : Je ne vois pas quel serait l’intérêt de le faire pour la Russie comme pour l’OTAN. Pour les Russes, ce serait ruineux de s’engager dans un conflit où la puissance à la fois militaire mais aussi le soft power russe sont en train de se reconstituer. Ce serait une dégradation d’image terrible et une consommation de forces dont la Russie n’a pas besoin.
Pour l’OTAN, cela serait absurde aussi car ce dont a besoin l’OTAN c’est d'une Russie forte et capable de renouer le partenariat qui avait été poussé durant les années 2000. Si cela dégénère en un conflit armé, les objectifs de l’OTAN, à savoir une stabilité favorable aux intérêts occidentaux sur le continent, ne seront pas atteints.
Dans ces conditions un conflit me paraîtrait absurde.
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