Il se déroule aujourd'hui au Yémen un génocide culturel et religieux, démontre Catherine Shakdam, directrice des programmes à l’Institut Shafaqna des études du Moyen-Orient.
L’Ambassadeur saoudien aux Etats-Unis a qualifié les bombardements du Yémen dirigés par l’Arabie saoudite «justes» et «légitimes», tout en faisant comprendre qu'ils continueraient «quoi qu'il arrive». Il a été moins éloquent concernant l'utilisation par son pays de bombes à fragmentation.
Ces déclarations ont été faites lors d’une conférence sur les relations américano-arabes, financée par des sociétés américaines comme Exxon-Mobil et Boeing. Les frappes ne cesseront apparemment pas, et l'Arabie saoudite refuse toujours toute enquête indépendante sur le conflit au Yémen, malgré le nombre croissant d'accusations de crimes de guerre.
Riyad a désigné un avocat militaire pour examiner ces accusations. Mais le choix du colonel Mansour al-Mansour de Bahreïn a provoqué une vive polémique. Car l'homme a une réputation.
Nous sommes pris au piège entre la volonté politique, sur le terrain, de négocier une paix viable au Yémen et le désir de certains capitalistes de guerre de gagner plus d'argent sur le sang yéménite
RT : Des responsables politiques peuvent bien déclarer qu'il faudrait freiner les frappes saoudiennes, des sociétés d'armement y ont leur intérêt. Que les producteurs d'armes soient proches des décideurs vous préoccupe-t-il ?
Catherine Shakdam (C. S.) : Extrêmement. C'est une source de préoccupation depuis le début de la guerre en mars 2015. Les liens étroits avec le lobby des armes aux Etats-Unis et dans d’autres pays occidentaux sont, en Arabie saoudite, une réalité politique à laquelle il fallait faire face dès le début de cette offensive sur le Yémen. Et cela prouve que l’Arabie saoudite n’a aucun intérêt à arrêter l’assassinat aveugle de civils. Tout comme les lobbies de la guerre n’ont pas intérêt à voir s'arrêter le flux d’armemement vers l’Arabie saoudite. Ils gagnent des milliards de dollars. Pourquoi arrêteraient-ils ? L’industrie de la guerre, qui s'est jetée sur le désir de l’Arabie saoudite d’étendre son empire au Moyen-Orient, fait en effet des affaires très lucratives. Pourquoi arrêteraient-ils ? Le problème que nous avons aujourd'hui est que nous sommes pris au piège entre la volonté politique, sur le terrain, de négocier une paix viable au Yémen et le désir de certains capitalistes de guerre de gagner plus d'argent sur le sang yéménite.
Cette guerre contre le Yémen continue, parce que Riyad veut détruire un ennemi potentiel
RT : L'ambassadeur saoudien a déclaré que les frappes aériennes au Yémen continueraient «quoi qu'il arrive». Ce niveau d’orgueil vous surprend-il ?
C. S. : Non, pas du tout. Je pense que c’est exactement cela. Riyad nous a depuis très longtemps dit que cette guerre contre le Yémen en était une de restauration politique. Que ce qu'ils voulaient faire était de rétablir le pouvoir légitime et réel du Yémen par l’intermédiaire du président Abd Rabbou Mansour Hadi. Evidemment, ça n’a jamais été le vrai problème, ce n'est pas la raison pour laquelle cette guerre est menée. Cette guerre contre le Yémen continue, parce que Riyad veut détruire un ennemi potentiel, un concurrent potentiel dans la région, en termes de puissance militaire et économique. Bien que le Yémen soit très pauvre, il a un grand potentiel. C'est ce potentiel-là que les Saoudiens ont essayé de neutraliser, pour ne pas laisser le Yémen se développer pleinement.
A moins que la communauté internationale n'y mette fin, l’Arabie saoudite n'aura pas l'intention de terminer la guerre à Yémen, quoi qu'il arrive
Riyadh a donc envie de détruire le Yémen, volonté explicitée par l'ambassadeur. Ce que nous voyons aujourd'hui au Yémen est un génocide culturel et religieux. Il veulent faire complètement disparaître le Yémen en tant qu'entité politique, nation souveraine, puissance militaire et concurrent économique. Il y a plusieurs niveaux. A moins que la communauté internationale n'y mette fin, l’Arabie saoudite n'aura pas l'intention de terminer la guerre à Yémen, quoi qu'il arrive.
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