Avec l'affaiblissement de la livre et la chute boursière, les premiers jours d'après le référendum sur le Brexit ont été tendus pour le Royaume-Uni. L'économiste François Morin essaye de comprendre quel avenir est réservé aux finances du pays.
RT France : Le ministre des finances britannique George Osborne affirme que l’économie britannique est assez robuste pour affronter le défi et la chute des marchés britanniques actuelle.
L’économie britannique repose pour au moins 10% de son activité sur la finance avec la City
François Morin (F. M.) : L’économie britannique était assez forte avant le Brexit. Il y avait un taux de croissance relativement important. Par rapport aux autres pays européens, la livre sterling était en bonne santé. Il est clair que le Brexit va remettre tout ceci en cause. Les milieux d’affaires et surtout les milieux financiers n’imaginaient pas cette sortie de l’Union européenne. L’économie britannique repose pour au moins 10% de son activité sur la finance avec la City. Plusieurs centaines de milliers d’emplois sont directement dépendants de ce secteur financier.
A partir du moment où il y aura une sortie, l’entrée des capitaux qui pouvaient arriver en Grande-Bretagne pour s’investir en Europe sera rendue beaucoup plus difficile
Il est clair que s’il y a vraiment une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, ce secteur-là risque de connaître une forte baisse d’activité dans différents compartiments, que ce soit au niveau des opérations de change qui se font pour l’essentiel à Londres avec l’euro ou même sur les marchés des titres financiers il y aura une rupture d’activité qui sera assez considérable dans la mesure où les Britanniques n’auront plus ce qu’on appelle le passeport européen c’est-à-dire la capacité pour cette économie de pouvoir faire des opérations financières tout à fait librement avec l’Europe. A partir du moment où il y aura une sortie, il y aura une nouvelle règlementation et l’entrée des capitaux qui pouvaient arriver en Grande-Bretagne pour s’investir en Europe sera rendue beaucoup plus difficile. Les Japonais et les Américains passaient par la Grande-Bretagne pour avoir accès au marché financier européen. Tout ceci ne sera plus possible, en tout cas plus dans les mêmes conditions. C’est une des raisons pour lesquelles les bourses de façon générale ont chuté. Cela explique aussi le fait que la livre sterling ait perdu presque 12% de sa valeur. La dégradation de la note par les agences de notation découle très directement de cette perspective négative pour l’économie britannique.
Cela fait une vingtaine d’années que nous ne sommes plus dans une période normale
RT France : Certains experts affirment que la livre était déjà surévaluée donc sa chute aurait pu donner un certain coup de pouce à l’économie.
F. M. : Il est vrai que la livre sterling est forte, par rapport à l’euro et au dollar, étant donné la bonne santé relative de l’économie britannique. Le fait qu’elle ait perdu 12 à 13% de sa valeur est tout de même extrêmement inquiétant pour cette économie, d’une part parce que c’est une perte sèche pour cette économie dans la valorisation des actifs qui se trouvent donc diminués du fait de la dévaluation de la livre sterling. L’économie britannique était, avant la France, la cinquième puissance mondiale. Elle est reléguée maintenant au sixième rang et la France repasse devant le Royaume-Uni, tout simplement du fait de cette perte de richesse. Il y a donc un effet richesse négatif, sur le plan de la balance des échanges extérieurs, l’effet sera sans doute à moyen terme positif puisque le prix des exportations est évidemment réduit à cause de cette dévaluation alors que le coup des importations au contraire augmente. On peut peut-être espérer pour l’économie britannique la possibilité d’avoir une balance extérieure positive, ce qui permettrait de relancer une partie de son activité économique, car elle va probablement connaître un choc sérieux dans sa croissance.
Le plus inquiétant est que les marchés financiers risquent de très, très mal réagir aux incertitudes actuelles
RT France : D'après vous, quand pourra-t-on retourner à la normale ?
F. M. : Cela fait une vingtaine d’années que nous ne sommes plus dans une période normale. Nous sommes dans une période de très grande instabilité monétaire et financière à l’échelle mondiale. On ne sait plus ce qu’est être dans une situation normale. Il y a évidemment des chocs, il y a eu une succession de crises économiques et financières de par le monde, avec la dernière grande secousse de 2007-2008 dont on n’est pas encore sortis. Nous avons ici un choc brutal, qui est sans doute assez considérable, dont on va percevoir les effets seulement dans les prochaines semaines et les prochains mois, ce qui va très probablement se traduire en perte de points de croissance non seulement en Grande-Bretagne mais aussi en Europe et peut-être même plus largement aux Etats-Unis. C’est une secousse qui s’ajoute à d’autres secousses. Le plus inquiétant est que les marchés financiers risquent de très, très mal réagir aux incertitudes actuelles. D’autant que le gouvernement britannique a annoncé qu’il changerait de Premier ministre en septembre. On va donc avoir plusieurs semaines d’incertitude et ces incertitudes alimentent la déstabilisation des marchés financiers et les mouvements spéculatifs. On risque donc d’avoir d’autres chocs à cause de cette déstabilisation. Comme on annonce une période de deux ans de négociations pour trouver le nouvel arrimage de la Grande-Bretagne à l’Europe, j’ai très peur que cette période d’instabilité se poursuive et même s’aggrave pour finalement aboutir à de nouvelles catastrophes financières.
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