La victoire du candidat d’extrême droite au premier tour de la présidentielle autrichienne témoigne du mécontentement d’un petit pays prospère vis-à-vis des politiques qui sont perçues comme imposées par l’Europe, estime le politologue Cyrille Bret.
RT France : Que signifient pour vous les résultats de l’extrême droite en Autriche ?
Cyrille Bret : Cela signifie déjà le retrait de deux grands partis de gouvernement traditionnels, le FPÖ et le ÖVP, qui sont issus de la Deuxième Guerre mondiale. Cela confirme la tendance des deux décennies que la classe politique traditionnelle autrichienne est bousculée par de nouveaux entrants. Cela se voit bien sûr à travers les résultats du FPÖ, qui accuse un résultat historique, mais aussi à travers le résultat des écologistes et d’un candidat outsider qui est au-delà des 20%. Donc ça signifie une lassitude à l’égard des élites politiques traditionnelles.
Le thème des réfugiés est en train de devenir un thème transcontinental avec un bloc de l’Europe Centrale et de l’Europe Orientale très hostile aux mouvements de population
RT France : Le dossier des réfugiés a-t-il joué un rôle dans ce vote ? Quelles sont les raisons de ces résultats ?
C.B. : Depuis l’accession de Jörg Haider à la tête du FPÖ en 1983 et depuis le tournant des années 90, le parti s’est déclaré hostile à l’immigration en provenance des pays islamiques, et pas seulement des réfugiés. La question de l’islam dans la question des ressortissants de pays musulmans, qu’ils soient immigrés, naturalisés ou étrangers, est au centre de l’identité politique du FPÖ et non seulement en Autriche, mais dans toute la Middle Europe, ça se voit en Suisse, suite au référendum sur les minarets ; ça se voit également dans les positions prises par le président slovaque et par le président hongrois, également par le gouvernement polonais concernant l’islam. C’est un marqueur politique très fort et le thème des réfugiés est en train de devenir un thème transcontinental avec un bloc de l’Europe Centrale et de l’Europe Orientale très hostile aux mouvements de population.
RT France : Que signifie cette poussée de l’extrême droite au niveau européen ?
C.B. : C’est délicat de dire extrême droite pour la FPÖ. Bien sûr, c’est un pays qui a été fondé et dirigé dans les années 50-60 par d’anciens officiers, donc nécessairement l’héritage de l’extrême droite est très fort. Mais c’est aussi un parti qui a été très longtemps avant les années 80, très pro-européen et très fortement marqué par le libéralisme. Donc c’est délicat de le qualifier d’extrême droite, même si le FPÖ actuel est un parti qui est clairement identitaire avec un parti qui est clairement populiste. Il a opéré depuis la dernière élection présidentielle le même virage que le Front national en France, celui de la normalisation et de la «desextrémisation» de ses positions.
Une nouvelle offre politique est en train de se dessiner à travers l’Europe
Je pense que ça montre que d’une part les partis politiques populistes qui avaient un fort marqueur identitaire progressent et pas seulement dans les pays où la situation économique est précaire. Ce n’est pas tellement en Hongrie et en Slovaquie que ces partis-là progressent, mais également en Pologne et en Autriche qui ont des situations économiques bien plus favorables. Cela ne peut pas être une victoire simplement du mécontentement économique et social qui assure son rôle en Hongrie et en Slovaquie. Le deuxième élément que cela montre, l’islam européen, c’est que l’Est et l’Ouest de l’Europe ont des difficultés à communiquer, redoublées actuellement par la crise d’immigration, que la solidarité intra-européenne est mise à rude épreuve, exactement comme elle l’avait été durant la crise de l’euro, selon des limites qui sont différentes. Et puis, cela montre aussi que les partis traditionnels, que ce soit socialistes, socio-démocrates, conservateurs ou libéraux, éprouvent vraiment beaucoup de difficultés à renouveler leur offre politique, que les partis un peu plus outsiders, un peu moins installés, même si le FPÖ est un parti très fortement ancré dans le paysage autrichien. Bien plus d’ailleurs que le Front national en France, parce qu’il gère des régions depuis très longtemps et c’est un vrai parti du gouvernement alors que le Front national reste encore un parti un peu marginal. Cela montre qu’une nouvelle offre politique est en train de se dessiner à travers l’Europe, bien sûr avec des modalités différentes selon les pays.
L’avertissement est bien que l’Est et le Centre de l’Europe ne sont pas en ligne avec les positions françaises et surtout avec les positions allemandes en matière de migration
RT France : Cet effondrement des partis politiques autrichiens est-il un avertissement pour l’Europe ?
C.B. : C’est toujours délicat, exactement comme le cas du référendum néerlandais sur l’accord d’association avec l’Ukraine, l’agenda politique intérieur prévaut en fait sur les questions européennes. Les opinions publiques européennes sont en fait assez peu préoccupées, sauf en signe de protestation, par les questions de politique européenne. Là c’est vraiment le mécontentement d’un petit pays prospère vis-à-vis des politiques qui sont perçues comme imposées par l’Europe, par l’Allemagne et la France en matière de migration. L’avertissement est bien que l’Est et le Centre de l’Europe ne sont pas en ligne avec les positions françaises et surtout avec les positions allemandes en matière de migration.
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