Surprenantes, effrayantes, absurdes… Les histoires concernant le président russe alimentent la presse et font vendre plus que jamais. Bryan McDonald, journaliste irlandais basé en Russie, déconstruit la machine à propagande de l’Occident.
Vladimir Poutine a-t-il a fait équipe avec un reptile extraterrestre pour divulguer les «Panama papers» et ainsi discréditer David Cameron et forcer la sortie des Britanniques de l’UE ?
Percy Bysshe Shelley a écrit : «Tout autour, à l’intérieur, en dessous, au-dessus il y a la mort – et nous sommes la mort.» C’était il y a 200 ans. Si le remarquable poète anglais écrivait ces vers aujourd’hui, il pourrait sans doute remplacer la mort par Poutine. En effet, d’après les medias britanniques, «Poutine est ici, Poutine est là, Poutine est partout».
Prenez le Daily Mail par exemple, un quotidien qui se préoccupait surtout de tout ce qui pouvait vous provoquer un cancer. Mes préférés étaient l’huile de foie de morue, la paternité, les bains de bouche et les rapports sexuels, qui sont sans doute bons aux yeux des ignorants qui ne lisent pas le Daily Mail. Aujourd’hui, Poutine semble avoir remplacé le cancer et les prix de l’immobilier en Angleterre. Ces deux dernières semaines seulement, le journal a publié d’étonnantes, parfois effrayantes, histoires à propos du président russe. Il a notamment révélé que Poutine était «de mèche avec un reptile extraterrestre». Et si cela n’était pas assez bizarre, des chasseurs d’OVNI possèderaient une vidéo d’un vaisseau extraterrestre volant au-dessus de la maison du président. «Ce n’est pas la première fois que Poutine est accusé de recevoir des technologies de pointe des extraterrestres ou de complicité avec eux», a prévenu le deuxième journal le plus lu d’Angleterre.
Poutine fait vendre. Et les histoires montées de toutes pièces le concernant se vendent encore mieux
Le lendemain, le Daily Mail criait sur tous les toits que Poutine avait laissé de côté les extraterrestres pour acheter un appartement à «une reine de beauté de 40 ans sa cadette». Le journal s’inquiétait de la réaction de Wendi Deng, une femme d’affaires chinoise et, selon la plupart des medias occidentaux, la petite amie actuelle de Poutine.
Cependant, le lendemain même, le quotidien affirmait que «Deng et Poutine n’avait jamais été vus ensemble». En outre, étant donné que Poutine vit la plupart du temps à Moscou (et passe presque toutes ses vacances à Sotchi) et qu’il n’y a aucune trace d’un récent voyage de Deng en Russie, je parierais mon dernier kopeck que ces deux-là ne se sont jamais rencontrés. A moins que «Dengput» entretiennent une relation à distance par Skype ou autre. Mais cela semble peu probable après que Poutine a déclaré qu’internet était un «projet de la CIA».
Sexe, mensonges et vidéo
La couverture médiatique acharnée des aventures de Poutine a continué avec un coup monté du Kremlin contre l’opposant et ancien Premier ministre, Mikhaïl Kassianov. Cette fois, Poutine aurait attiré Kassianov (connu sous le nom de «Micha 2%» en Russie) et une femme politique du parti de Poutine dans un hôtel où il aurait filmé leurs ébats. Poutine doit être drôlement diabolique pour forcer le pauvre Kassianov, marié de surcroît, à participer à ce genre d’atrocité contre sa volonté.
Pour la petite histoire, Kassianov est connu sous le nom de «Micha 2%» non pas pour son soutien électoral (qui a surement diminué depuis), mais pour son habitude à empocher 2% dans les affaires de corruption alors qu’il était au gouvernement. Après l’affaire de la sextape, il a été renommé «Micha 2 cm».
Poutine fait vendre. Et les histoires montées de toutes pièces le concernant se vendent encore mieux. Pourquoi sinon le Daily Mail aurait créé une section spéciale dédiée à Poutine sur son site internet? Le Daily Mail n’est d’ailleurs pas le seul à s’y être mis.
L’UE sans les Britanniques serait également plus unie, sans les eurosceptiques anglais et la machine médiatique enragée de Londres qui génère une division constante
Brexit
Dans les médias anglais, le soutien de Poutine à la sortie du Royaume-Uni de l’UE n’en finit pas d’attiser le débat sur le «Brexit». Les journaux dits «de qualité» comme The Telegraph, The Guardian et The Times en parlent depuis des mois. En réalité, je ne suis pas si sûr que le Brexit profite à la Russie.
Certes, Moscou en veut à Washington de contrôler l’Union à la dérive, mais une sortie du Royaume-Uni de l’UE pourrait aggraver les choses pour le Kremlin. En effet, le rôle dominant de l’Allemagne s’intensifierait dans une Union amputée de son troisième plus puissant membre. L’UE sans les Britanniques serait également plus unie, sans les eurosceptiques anglais et la machine médiatique enragée de Londres qui génère une division constante. En outre, une fois sorti de l’Union, pour préserver ses relations avec les autres puissances européennes, le Royaume-Uni devrait s’impliquer davantage dans l’OTAN, renforçant ainsi l’importance d’une alliance que la Russie déteste bien plus que l’UE.
Bref, toutes ces histoires ont pris forme ce weekend. La Brookings Institution, possiblement le think tank américain le plus influent, a suggéré que la Russie était responsable de la divulgation des «Panama papers», qui font les gros titres dans le monde entier depuis une semaine.
D’après Clifford Gaddy, rédacteur à la Brookings Institution, si aussi peu d’Américains ont été exposés dans l’affaire des «Panama papers», cela signifie que les services secrets russes utilisent les informations dont ils disposent pour faire chanter des dirigeants occidentaux. Mais l’hypothèse de Gaddy n’explique pas pourquoi les dossiers sur la famille de David Cameron ont été divulgués. Il y a fort à penser que le Premier ministre britannique aurait cédé au chantage pour garder secrets les comptes offshore de sa famille.
Les médias occidentaux, les universitaires soutenant la classe dirigeante et les think tanks ont un réel problème avec Poutine. Mais le président russe n’y est pour rien
L’idée que Poutine ait conspiré pour apparaître dans tous les médias occidentaux comme le vilain de l’affaire est également peu vraisemblable. Ou était-ce un brillant coup monté pour s’assurer qu’il ne figurerait pas sur la liste ? S’il n’est pas le principal méchant impliqué dans l’affaire, alors il doit être le principal méchant derrière l’affaire. Je ne suis pas sûr que Sigmund Freud pourrait analyser ça.
Sauf si la Brookings Institution veut nous faire croire que Poutine a décidé de détruire la réputation de Cameron afin de diminuer sa crédibilité et d’augmenter les chances d’un vote en faveur du Brexit lors du referendum de juin ? Ce serait d’une absurdité incroyable.
Les médias occidentaux, les universitaires soutenant la classe dirigeante et les think tanks ont un réel problème avec Poutine. Mais le président russe n’y est pour rien. Ben Laden, Saddam et Kadhafi morts, la machine à propagande a besoin d’un nouveau méchant. Pour le moment Poutine remplit toutes les conditions.
Mary Shelley, la femme du poète, est célèbre pour avoir écrit Frankenstein. Les médias occidentaux et le monstre de fiction ont souvent beaucoup en commun de nos jours
Pourtant, Poutine n’est pas le méchant dans James Bond ni le dirigeant fou d’un Etat totalitaire fantoche. Il est le chef (actuellement extrêmement populaire) de la seconde puissance militaire et sixième économie nationale au monde (source : CIA). En faire un Lex Luther ou un Ernst Blofeld, et continuer de publier des histoires montées de toutes pièces sur lui ne rend pas notre monde meilleur. Cela fait sûrement vendre davantage ou fait grimper le nombre de clicks sur internet. Cependant cela abaisse le dialogue entre l’Occident et l’Orient et promeut de faux stéréotypes sur la Russie et les Russes.
Mary Shelley, la femme du poète, est célèbre pour avoir écrit Frankenstein. Les médias occidentaux et le monstre de fiction ont souvent beaucoup en commun de nos jours.
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